« Faire évoluer les regards »

À Maisons-Alfort et Fresnes, le concepteur parisien Timothé Toury signe deux illuminations ayant pour point commun la valorisation de logements sociaux par la lumière. L’un, un ensemble exceptionnel datant des années 1930, qui relève du patrimoine, l’autre, des tours d’habitation récentes, de ces édifices banals qui définissent aussi nos paysages urbains. Chacun aujourd’hui, à sa manière, modifie la perception sur le logement social et démontre que donner une nouvelle identité visuelle, sortir de la logique de l’éclairage sécuritaire et de ses 6 000 K, est possible… avec un peu d’audace.

Le groupe Valophis gère dans le Val-de-Marne près de 50 000 logements sociaux. Timothé Toury intervient une première fois en octobre 2015 sur l’un des immeubles du bailleur social. Le jour de sa démolition, la barre Flemming située à Bonneuil-sur-Marne prend vie pour la dernière fois avec un son et lumière projeté sur sa façade, mettant à l’honneur son volume et ses habitants, certains ayant vécu là près de 40 ans. Si le renouvellement urbain se fait au prix de souvenirs envolés, l’événement aura permis aux anciens locataires de célébrer en communion cette disparation. Plus récemment, c’est dans le cadre de réhabilitations que les projets de Maisons-Alfort et Fresnes ont été menés. Dans les deux cas, Valophis a fait le choix de donner une importance toute particulière à la mise en lumière de ces édifices, qu’il s’agisse pour le premier d’un ensemble de logements datant de 1934, inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, ou, pour le second, d’une barre à l’architecture tout à fait banale. Ces deux projets partagent une situation en bord de voie passagère : l’A86 pour Fresnes et la future gare RER Vert-de-Maisons du Grand Paris Express de Maisons-Alfort. Leur illumination les transforme en signaux, en points de repère dans le paysage ; les valorisent. Une volonté forte exprimée par Farid Bouali, directeur général adjoint de Valophis : « Nous mettons systématiquement une étude liée à l’éclairage au cahier des charges. » Aujourd’hui, l’ensemble de l’équipe est sensibilisé à l’éclairage.

Photos © Timothé Toury
Photos © Timothé Toury
Photos © Timothé Toury
Photos © Timothé Toury

Le square Dufourmentelle à Maisons-Alfort. Les bâtiments en brique, plus larges que haut, sont mis en valeur par des projecteurs à faisceaux serrés qui allègent l’aspect massif. 600 mètres de linéaires LED soulignent les arêtes. Les porches sont des éléments structurants du site ; ils sont éclairés d’un blanc chaud (3 000 K). L’architecture est révélée de nuit ; les cheminements des habitants sont sécurisés dans une ambiance lumineuse apaisante. La mise en lumière se gère automatiquement grâce à 17 horloges astronomiques.

HARMONIE AU SQUARE

« La mise en lumière du square se vit comme un élément fédérateur pour les résidents et tous les habitants. Elle souligne le caractère d’exception de ce bel ensemble architectural », constate Olivier Capitanio, maire de Maisons-Alfort. « La lumière vient désamorcer une problématique sociale », poursuit Timothy Toury, navré de voir que les niveaux d’éclairement dans un contexte urbain sensible relèvent le plus souvent de considérations sécuritaires, qu’une lumière blanche – et ses 6 000 K – est attendue. Ici, le choix s’est porté sur une température de couleur chaude, 3000 K, et l’accentuation des volumes. Si les architectes, André Dubreuil et Roger Hummel, de cet ensemble surent en leur temps faire entrer des familles dans la modernité en équipant les logements de deux points d’eau et d’un chauffage central, « pour le même prix qu’un mauvais éclairage », souligne Timothé Toury, grâce à la lumière les habitants se sont « aperçus qu’ils habitent un monument historique ».

Dans ce projet « délicat mais grandiose », l’architecte des Bâtiments de France Nathalie Barry a accompagné le concepteur afin de « ne pas dénaturer l’édifice ». L’architecture du square est marquée par des volumes bas. Chaque bâtiment de R + 4 à R + 6 semble massif. La couleur sombre de la brique participe également à cet effet. Le travail de la lumière en élévation sur les façades sur cour et sur rue, du bas vers le haut, par un faisceau serré, leur donne rythme et légèreté. Pour rester invisibles, les 250 projecteurs sont gris ou de couleur brique, les câbles se glissent entre les briques.

Photos © Frédéric Christopeidès
Photos © Frédéric Christopeidès

Les Étoiles – Val de Bièvres » à Fresnes. Côté jardins, les anciennes cages d’ascenseur ont été transformées en puits de lumière. Les couleurs évoluent tout au long de la soirée afin d’apporter un éclairage surprenant.

Photos © Frédéric Christopeidès

La mise en lumière de la façade principale visible depuis l’A86 se distingue par l’emploi de 22 projecteurs à quatre faisceaux qui dessinent des étoiles. En partie haute, des plots de balisage ont été détournés de leur utilité première et sont positionnés de façon aléatoire sur le bâtiment.

MISES EN LUMIÈRE DU SQUARE DUFOURMENTELLE À MAISONS-ALFORT ET « LES ÉTOILES – VAL DE BIÈVRE » À FRESNES
CLIENT
Groupe Valophis
CONCEPTION LUMIÈRE
Agence Timothé Toury
INSTALLATEUR LUMIÈRE
Sotralec
LIVRAISON
Février 2019
MATÉRIEL
Square Dufourmentelle : Derksen, Erco,
Feilo Syvania, Targetti

SCINTILLEMENTS

De l’autre côté du département, l’immeuble HLM « Val de Bièvre » domine l’A86. Afin de s’adapter à l’échelle de la façade qui affiche 30 mètres de haut sur 150 de long, Timothé Toury a imaginé une « illumination monumentale ». « L’objectif était d’améliorer le confort de vie des résidents mais aussi des riverains et plus largement de l’ensemble de la population », poursuit-il. Pour parer de lumière cette surface, qu’elle devienne un nouveau repère dans le paysage, il a travaillé par touches : 22 projecteurs à quatre faisceaux placés sur la partie basse dessinent des étoiles au scintillement poétique au vu de l’environnement urbain. « Les faisceaux se croisent et renforcent la présence lumineuse sur la totalité de la surface », décrit le concepteur. Sur le couronnement des plots de balisage sont détournés de leur usage premier. Timothé Toury a-t-il amplifié leur fonction à l’échelle du paysage ? Certainement. 

Lucie Cluzan

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