Savourer la Voie lactée

Comment concilier vie nocturne, tourisme, biodiversité et observation astronomique ? Depuis 30 ans, l’île de Ténériffe où se situe l’Institut d’astrophysique des Canaries fait face à cette épineuse question. Protégé par une loi, le ciel fait l’objet de toutes les attentions, tout comme l’éclairage qui ne doit pas perturber sa clarté nocturne. Fruit d’une collaboration entre tous les acteurs de cette mélodie pour nuit préservée, un nouvel éclairage public prend place dans les rues de Puerto de la Cruz. Petit voyage dans les nuits étoilées.

© Daniel Lopez / IAC
© Daniel Lopez / IAC

L’origine de l’astrophysique à Ténériffe dans l’archipel des Canaries remonte à 1964 avec le premier télescope installé pour l’étude de la lumière zodiacale, ce fuseau lumineux qui apparaît en début ou fin de nuit en l’absence de lumière parasite qu’elle soit crépusculaire, lunaire ou artificielle. Les conditions d’observation restent ici exceptionnelles et c’est pourquoi s’y trouvent aujourd’hui notamment les meilleurs télescopes solaires d’Europe. En 1975 est fondé l’Institut d’astrophysique des Canaries (IAC) qui gère deux observatoires astronomiques, celui du Teide situé à Ténériffe et le Roque de los Muchachos situé sur l’île de la Palma, inauguré en 1985. D’un côté donc les chercheurs de l’IAC, de l’autre, les quelque quatre millions de visiteurs qui gravissent chaque année les pentes du mont Teide, sur lequel l’observatoire est situé, pour y contempler les constellations et les pluies de météorites. Lope Afonso, maire de Puerto de la Cruz, dont l’agglomération est avec ses 140 000 habitants la plus importante de l’île, constate que « même si c’est une ville touristique petite par sa taille, c’est une activité qui génère beaucoup de nuisances lumineuses ». Se pose alors la question de savoir comment éclairer sans nuire au travail des chercheurs et à l’activité touristique.


Le ciel des Canaries offre une qualité exceptionnelle pour l’observation astronomique protégée par la loi espagnole. Préservé sa clarté passe par une attention particulière aux émissions de lumière et leur contrôle. Dans le monde, plus d’un tiers de l’humanité ne peut pas voir la Voie lactée. Ici les touristes abondent pour la contempler.

À Puerto de la Cruz, sur l’île de Ténériffe, Signify a travaillé dans le cadre d’un projet pilote mené conjointement avec l’Institut astronomique des Canaries au développement d’un luminaire équipé d’une optique filtrant la lumière bleue et dirigeant celle-ci vers le sol. Un total de 6 000 luminaires a été installé. L’ensemble est contrôlé à distance grâce au système d’éclairage public connecté Interact City.


UN CIEL PROTÉGÉ PAR LA LOI

Le 31 octobre 1988, le gouvernement espagnol, sur proposition du parlement des Îles Canaries, adopte la loi du Ciel portant sur la Protection de la qualité astronomique des observatoires de l’IAC qui dispose d’un bureau technique pour la protection de la qualité du ciel qui orientent les citoyens sur la manière de se conformer à la loi et contrôle son application. La loi entrée en vigueur le 13 mars 1992 couvre quatre aspects fondamentaux :

Pollution lumineuse Il régule l’éclairage extérieur de l’île de La Palma et de la partie de l’île de Ténériffe qui offre une vue directe sur l’île de La Palma.

Pollution radio Il établit les niveaux de rayonnement électromagnétique de manière à ne pas perturber les équipements et les mesures des observatoires, en les protégeant de la contamination radioélectrique.

Pollution de l’air Contrôle les activités susceptibles de dégrader l’atmosphère dans l’environnement des observatoires en le protégeant de la pollution de l’air.

Itinéraires aériens Réglemente le trafic aérien au-dessus des observatoires en évitant les interférences causées par les routes aériennes.Source :

Institut d’astrophysique des Canaries (www.iac.es)

UN CADRE LÉGAL STRICT

En France, l’arrêté relatif à la prévention, à la réduction et la limitation des nuisances lumineuses date du 27 décembre 2018. Concernant les Canaries, dès 1988 a été votée par le gouvernement espagnol la Loi du Ciel qui réglemente quatre aspects fondamentaux pouvant porter atteinte à la qualité du ciel et donc à l’observation astronomique : pollution lumineuse, radioélectrique et atmosphérique et les routes aériennes. L’instance en charge du bon respect de cette loi est le bureau technique pour la protection de la qualité du ciel de l’IAC, créé au moment de son entrée en vigueur en 1992. Si sa vocation est de guider les prescripteurs et installateurs dans leurs choix et mises en œuvre, les habitants aussi sont informés grâce à de simples schémas, disponibles en ligne sur le site de l’IAC, reprenant les normes de base pour l’installation de l’éclairage. Y est très clairement indiqué ce qui est « incorrect », « acceptable » et  correct » en termes de direction du flux lumineux et type de source, suivant que l’équipement se trouve sur l’île de Ténériffe ou de la Palma. Dans tous les cas, la température de couleur devra être inférieure à 3 000 K. Il a également établi une très longue liste de luminaires d’éclairage public absolument proscrits depuis 2017 et une autre, actualisée début avril 2019, indiquant le matériel certifié qu’il est possible d’installer. L’attention des habitants est attendue, au point qu’une fiche de signalement des installations hors normes est également disponible en ligne.

UN DIALOGUE NÉCESSAIRE

La loi sur le ciel ayant été votée il y a plus de 30 ans, de nouvelles mesures sont instaurées suivant l’état des recherches et de l’innovation ; la mise à jour est continue. Si l’offre existante proposée par les fabricants répond pour certains produits aux spécifications définies par l’IAC, des évolutions sont encore possibles en travaillant sur à la fois sur l’optique et la source LED. « Nous avons collaboré avec Signify pour nous assurer que tous les luminaires installés sont placés à plat pour que la lumière ne se disperse pas vers le ciel. Nous altérons aussi l’émission de lumière grâce à une optique qui filtre la lumière bleue1 laissant uniquement passer la partie orange du spectre, la moins nuisible pour l’astronomie », décrit Federico de La Paz, directeur technique pour la protection de la qualité du ciel à l’IAC. La source LED Signify utilisée est environ 16 % plus efficace que les LED Ambre qui permettaient déjà d’atténuer de manière significative la nuisance lumineuse. Cette offre « Astronomy-Friendly » est complétée par une gestion des luminaires grâce au système d’éclairage public connecté de la marque, Interact City. La luminosité peut être ajustée. 6 000 luminaires ont à ce jour été installés, adoptant aussi une luminosité adaptée aux chauves-souris. Car ce qui est bon pour le ciel est bon pour l’ensemble de l’écosystème des Canaries, comme pour le nôtre, moins lointain mais tout aussi fragile.

Lucie Cluzan

1 La lumière bleue a une incidence directe sur l’observation des spectres visibles et non visibles.

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