Toucher les âmes

Parmi les nombreux joyaux de la peinture et de l’architecture qui parsèment la Sérénissime, la Scuola Grande di San Rocco témoigne du génie du Tintoret, enfant de Venise, peintre des ténèbres. À l’occasion du 500e de sa naissance, les peintures qui décorent la salle capitulaire sont aujourd’hui révélées aux visiteurs par une nouvelle mise en lumière signée par le Studio Pasetti Lighting en collaboration étroite avec le fabricant et sponsor technique iGuzzini. Entre nouvelle perception de l’art et expérience émotionnelle, la lumière, aux sources finement dissimulées, fait entrer ce patrimoine dans une nouvelle ère.

Dévoilée au son d’un chœur interprétant a cappella le Lux Aurumque d’Eric Whitacre1, la nouvelle illumination de la vaste salle capitulaire de la Scuola Grande de San Rocco fait, selon les termes de son directeur Franco Posocco, à la manière d’une épiphanie, « découvrir la vérité du message du Tintoret ». Jusque-là plongée dans une semi- obscurité qui ne mettait en valeur ni sa richesse picturale, ni son écrin architectural, elle témoigne désormais de la nécessité et la possibilité de renouveler la perception des œuvres artistiques par la lumière. Lorsqu’il fut consulté pour ce projet de rénovation, l’architecte et concepteur lumière Alberto Pasetti a immédiatement mesuré le besoin de mobiliser un partenaire afin de le mener à bien. Il se tourne alors vers iGuzzini engagée depuis plusieurs années dans la mise en valeur du patrimoine culturel mondial dont l’Italie est si riche.

1
2 – © Mark Edward Smith
3 – © Mark Edward Smith
4 – © iGuzzini
5 – © iGuzzini

ENTRE ÉMOTION ET INNOVATION

Érigée en 1477, la Scuola s’organise sur deux niveaux : en rez-de-chaussée, la salle dite Terrena et à l’étage, la salle capitulaire et, lui attenant, la salle dell’Albergo. L’ensemble est richement orné de panneaux de bois sculptés, de bas-reliefs et surtout des toiles du maître vénitien. La salle capitulaire, est de par son architecture naturellement baignée d’une faible lumière, ce qui incita un siècle plus tard le Tintoret à intensifier les effets de lumière par de forts contrastes. Mais avec le temps, la couche picturale des 33 toiles situées sur les murs et plafond illustrant le thème de la Vie, la passion et la mort de Jésus s’est altérée, certaines couleurs ont viré et les accords chromatiques se sont atténués, ce malgré l’utilisation de pigments de grande qualité. Il s’est alors agi pour le Studio Pasetti de faire réapparaître ces variations par une « lumière sage » qui permette en même temps une meilleure perception de l’espace. Par ailleurs, l’enjeu était pour le concepteur de placer le visiteur dans une situation semblable à celle d’un spectateur au théâtre, « de trouver un compromis entre émotion et recherche ». Côté émotion, les différents scénarios lumineux, ou « scènes d’interprétation », accentuent tour à tour certaines toiles ou détails ornementaux ; côté recherche, il fallait inventer un système d’éclairage « capable de valoriser le travail du peintre tout en obtenant une uniformité sur ces surfaces immenses », le plus discret et moins énergivore possible.

RESTITUER LES CLAIRS-OBSCURS

Jusque-là, la salle et les œuvres étaient éclairées par des lampes sur pied Fortuny, du nom de leur créateur, l’inventeur et artiste espagnol œuvrant à Venise Mariano Fortuny. Installées en 1937 à l’occasion d’une exposition consacrée au Tintoret, elles font alors entrer l’électricité dans le bâtiment. Après un an et demi de recherche, les solutions mises au point par le Studio Pasetti et iGuzzini sont localisées sur trois zones afin de mettre en lumière l’autel, les toiles situées sur les murs et celles au plafond. La question de l’éclairage de l’autel ne pose pas de problème particulier et est résolue par un système au sol à double flux lumineux : projecteur Palco optique 42° pour un voile diffus sur l’ensemble de la surface verticale, et Palco cadreur sur rails Low Voltage pour faire ressortir les bas-reliefs.

L’éclairage des peintures soulève d’autres questions, notamment l’intégration des sources dans un espace totalement recouvert d’œuvres et d’ornementations, ainsi que le rendu des couleurs et effet de lumière présent sur les toiles. « Cet objectif est atteint avec des flux qui touchent légèrement les œuvres, du bas vers le haut, en évitant les nuisances de réflexions et les halos mats qui en résultent », décrit Alberto Pasetti. Pour chaque toile, un rail électrique miniaturisé Low Voltage contenant de minuscules lentilles LED dirige le flux lumineux vers le haut (3 000 K, IRC +90 avec accent sur le rouge > 70 %). Sur ce même rail sont fixés des projecteurs Mini Palco qui assurent l’éclairage ponctuel (2 700 K) des sculptures situées en dessous qui reprennent corps et profondeur.

Attaché à conserver les lampes sur pied historiques signées Fortuny, Pasetti les a réutilisées (après restauration préventive) pour la mise en lumière du plafond et l’accentuation de certaines des 13 toiles qui le décorent. Deux types d’appareils sont dissimulés dans le volume concave du réflecteur : le projecteur Opti-Linear avec optique bande large (80°×106°) pour la mise en lumière indirecte et générale, le second View optique 16°, 28° et 46° pour l’accentuation.

Dans le domaine de l’éclairage culturel et patrimonial, outre les problématiques de conservation, la question de la perception devient centrale. Partant de l’obscurité, Pasetti a su dans ce foisonnement établir une hiérarchie, par la lumière et les différents scénarios proposés, et donne à lire la richesse du propos du Tintoret qui touchait les âmes par la lumière.

Lucie Cluzan

1 Datant de 2000, cette œuvre dont le titre signifie « lumière et or » s’inspire d’un poème en latin célébrant la naissance du Christ.

1. La salle capitulaire située à l’étage de la Scuola après la rénovation de l’éclairage qui relève et révèle les détails des peintures du Tintoret, autant que son architecture. Les huit lampes sur pied Fortuny restaurées éclairent les toiles au plafond.

2. Les lanternes de procession historiques placées en périphérie de la salle sont équipées d’appareils spécialement créés, à écran opalin, RGBW et diffusent une lumière très chaude (2 500 K). La couleur est réservée à des événements particuliers. On perçoit ici les rails électriques miniaturisés contenant les lentilles LED. Leur faisceau éclaire de façon uniforme du bas vers le haut.

3. Sur les douze cariatides et les panneaux décorés de bas-reliefs, les 2 700 K provenant des mini projecteurs placés sur les rails miniaturisés accentuent l’effet plastique et la matière du bois.

4. Vue extérieure de la chapelle. Avant la nouvelle installation, la salle capitulaire plongée dans l’obscurité malgré l’éclairage.

MISE EN LUMIÈRE DE LA SALLE CAPITULAIRE DE LA SCUOLA DI SAN ROCCO, VENISE
CLIENT
Confraternita della Scuola Grande di San Rocco
COORDINATION PROJET
Demetrio Sonaglioni
CONCEPTION LUMIÈRE
Studio Pasetti Lighting – Arch. Alberto Pasetti Bombardella, Arch.
Chiara Brunello et Arch. Claudia Bettini
LIVRAISON
novembre 2018
MATÉRIEL
iGuzzini

Laisser un commentaire