« Renforcer l’intelligence de la connectivité »

LUMIÈRE COMMUNICANTE

« L’avenir du LiFi se construira sur la complémentarité technologique », a affirmé Micheline Perrufel, Project Manager LiFi, chez Orange, lors de son intervention au Global LiFi Congress de juin dernier, à Paris. Pour cette ingénieure de recherche, le défi de la lumière communicante est moins une problématique technologique qu’un mouvement à fédérer vers une complémentarité des systèmes qui fera la richesse de la connectivité.

COMMENT VOYEZ-VOUS LE DÉVELOPPEMENT DE LA LUMIÈRE COMMUNICANTE DANS LE PANORAMA DES TECHNOLOGIES DE COMMUNICATION DÉJÀ EN PLACE ?

Il faut en effet entendre qu’aucune technologie ne peut répondre seule à l’ensemble des usages. La lumière communicante est complémentaire aux technologies existantes, elle va compléter les connectivités radio pour des besoins bien précis. Mais elle a un grand avenir car l’éclairage est omniprésent dans notre environnement et maintenant les lampes LED peuvent être connectées à l’infrastructure en PoE du bâtiment, voire en courant porteur en ligne (CPL) dans les immeubles plus anciens. Et vous n’avez pas obligatoirement besoin de lampes dédiées ; des modems existent qui permettent de minimiser le remplacement des sources LED déjà en place, certains permettent de couvrir une zone de connectivité jusqu’à 25 mètres carrés.

Dans le tertiaire, l’intérêt de la communication par la lumière n’est plus à démontrer. De grands acteurs économiques – Air France, des banques, des hôpitaux… – utilisent déjà la lumière communicante en complément du WiFi ou du réseau mobile. Pour le secteur résidentiel, en revanche, il faudra attendre car les box actuelles n’intègrent pas le LiFi. Nous travaillons avec des fabricants pour préparer une nouvelle génération d’équipements pour la maison.

POURTANT, LE LIFI RESTE ENCORE ASSEZ PEU IMPLANTÉ. BEAUCOUP DE RÉALISATIONS SONT DES PROJETS PILOTES. IL N’Y A PAS ENCORE DE STANDARD, CE QUI POSE LA QUESTION DE L’INTEROPÉRABILITÉ DES SOLUTIONS PROPOSÉES. L’USAGE D’UN « DONGLE » ET LE PRIX DE CES SOLUTIONS PEUVENT ÊTRE AUTANT DE FREINS…

Pour lancer une technologie, il faut d’abord la vendre et créer de l’intérêt et du business. Pour mémoire, les premiers PC compatibles Wifi sont arrivés quatre ans après le standard, et pour les smartphones, sept ans après. Les premières solutions LiFi actuelles sont indispensables pour tester et faire avancer la réflexion. Quant à l’interopérabilité des systèmes, je peux vous dire que les échanges que nous avons avec l’instance de normalisation IEEE confirment sa nécessité. Un travail est d’ailleurs mené sur les composants afin qu’ils soient compatibles pour tous les équipements.

Maintenant, comme pour toute innovation, il s’agit de convaincre les industriels d’intégrer cette technologie dans leurs schémas de production de composants électroniques. Pour ces entreprises comme pour les start-up, il faut fédérer et jouer la complémentarité technologique. Chez Orange, nous avons développé le concept Physical Connect qui permet à tout utilisateur de recevoir ou d’envoyer des contenus par la lumière communicante. Pour faire simple, c’est du codage informatique que l’on intègre dans une application mobile afin qu’elle soit multiprotocole. Technologiquement, tout est transparent pour l’usager ; son application est compatible Bluetooth, LoRa, 3G/4G/LTE, OCC, ultrasons… Nous montrons ainsi aux industriels combien cette complémentarité permet de renforcer l’intelligence de la connectivité. Pour ce qui concerne le prix, là encore, chacun sait qu’une technologie est chère au départ et n’est pas facile à rentabiliser. Mais depuis peu, nous constatons une chute sensible du prix du LiFi : une dalle lumineuse LED communicante en LiFi 600 × 600 cm est actuellement vendue en moyenne à 400 euros. La clé USB LiFi qui permet de connecter un terminal à cette dalle est passée de près de 1 000 euros en 2016 à 200 euros aujourd’hui. Et la standardisation en 2021 va favoriser encore la chute des prix et naturellement amener les maîtres d’ouvrage à s’interroger sur cette technologie.

VOUS AVEZ BEAUCOUP PARLÉ DE L’OCC LORS DE VOTRE INTERVENTION AU GLOBAL LIFI CONGRESS, QUEL EST L’INTÉRÊT DE CETTE TECHNOLOGIE ?

L’Optical camera communication ou OCC est une technologie de communication par la lumière basée sur le standard 802.15.7. C’est un mode de communication complémentaire au LiFi, qui ne demande pas un très haut débit parce que le concept est basé sur la géolocalisation et la transmission d’informations contextuelles en quantité limitée à un smartphone. Si vous êtes dans un musée, devant un tableau, et si vous avez téléchargé l’application mobile du musée, vous recevrez du contenu lorsque vous serez à proximité du tableau, et si vous vous déplacez de quelques mètres, votre téléphone affichera une autre information… et vous pourrez faire usage de ce contenu, le transmettre via les réseaux sociaux, par exemple. De la même manière, dans un magasin, à partir d’un « tag  dynamique  »  transmis par la lampe, il est possible de fournir aux clients des informations sur un produit, de lui proposer des promotions dont il choisira de profiter ou pas… Cette interactivité ouvre des perspectives nouvelles pour tous les commerçants. L’éclairage, qui était jusqu’à présent considéré comme une charge d’exploitation, devient une source de revenus, un outil de communication qu’ils peuvent vendre aux marques. Cette technologie est déjà disponible, plus de 60 % des mobiles actuels en sont équipés et les centres culturels, notamment, s’y intéressent beaucoup pour éviter le coût des audioguides.

LA SÉCURITÉ EST UN DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU LIFI. LA CONNEXION PAR LA LUMIÈRE NE PASSE PAS LES OBSTACLES PHYSIQUES. LE LIFI EST-IL POUR AUTANT SI INFAILLIBLE ?

J’aime à parler de « deux modes de connectivité » : le LiFi en est un, la connexion à Internet en est un autre. Les données transmises par la lumière sont cryptées et les tests que nos experts mènent à ce niveau montrent une forte résistance de ce signal lumineux à une attaque. Nous avons de longue date, chez Orange, des unités de cybersécurité et une expertise très pointue dans ce domaine. Dans notre travail de recherche, nous menons des tentatives de piratage des signaux et les premiers résultats montrent que les risques sont quasiment inexistants. Mais je vous parle ici de hacking au niveau de l’accès au réseau lorsque vous êtes sous le cône de lumière. La problématique de la cyberattaque se pose surtout lorsque vous êtes connectés et surfez sur le Web. Selon nos experts, le danger d’une attaque est à 90 % lié à la navigation sur Internet. Je ne dirai donc pas que le LiFi est infaillible.

EN 2017, VOUS AVEZ ORGANISÉ LE PREMIER FORUM INTERNATIONAL DÉDIÉ AU LIFI. VOTRE PREMIÈRE PARTICIPATION AU GLOBAL LIFI CONGRESS, CETTE ANNÉE, SIGNIFIE-T-ELLE QUE CE FORUM RESTERA SANS SUITE ?

Non, pas du tout. Nous avons réfléchi à des échanges plus formels avec les principaux acteurs du secteur et d’autres acteurs qui interviennent sur des technologies complémentaires, comme LoRa ou Bluetooth. La Light Communication Alliance, créée en juin dernier par des leaders mondiaux de l’industrie des télécommunications, des fabricants d’éclairage et d’équipements, prépare une deuxième édition de ce forum international, selon le principe que nous avions mis en place en 2017, à savoir un programme de conférences et un espace d’exposition. Il se déroulera début 2020, au Luxembourg, et réunira non seulement les acteurs que je viens d’évoquer, mais également des représentants des instances de normalisation.

Propos recueillis par Pascale Renou

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