Pont Gabriel de Blois, conception lumière et écologie par Virginie Voué

Nombreuses sont les conséquences de la pollution lumineuse sur la biodiversité. En effet, la lumière artificielle nocturne possède un pouvoir d’attraction ou de répulsion sur les animaux vivant la nuit, ce qui peut ainsi former des zones infranchissables et fragmenter les habitats naturels. C’est pourquoi la conceptrice lumière Virginie Voué s’est attaché l’expertise du groupe Artelia, leader européen de l’ingénierie indépendante et, en particulier, des écologues Jérémy Judic et Romain Barbé, pour la mise en lumière du pont Jacques-Gabriel, à Blois.

© Antoine Monié
© Antoine Monié
La mise en lumière propose une gamme de couleur allant de l’ambre/abricot en passant par plusieurs tonalités de blanc chaud et à un mauve.

De nuit, il est de plus en plus démontré que la lumière artificielle impacte les populations et la répartition des espèces. Certaines d’entre elles (notamment parmi les insectes, oiseaux, jeunes tortues marines…), attirées par les points lumineux, sont inévitablement désorientées vers des pièges écologiques, tandis que d’autres, qui fuient la lumière, notamment certaines espèces de chauve-souris, mammifères terrestres, lucioles ou vers luisants voient leur habitat se dégrader ou disparaître.

La Loire représente un corridor majeur et un espace naturel doté d’une riche faune aquatique, terrestre et aérienne. Aussi, l’appel d’offres de conception réalisation, lancé par la ville de Blois pour la rénovation de la mise en lumière du pont Jacques-Gabriel1, demandait de porter une attention particulière aux enjeux environnementaux, associés aux économies d’énergie. Bien entendu, la compétence en architecture du patrimoine était également obligatoire. C’est pourquoi, Virginie Voué, qui a répondu en cotraitance avec l’entreprise Citeos d’Orléans, s’est adjoint les compétences de Martine Ramat, architecte du patrimoine à Tours et a sollicité l’écologue Jérémy Judic afin de former une équipe complète et capable de répondre à toutes les composantes du projet.

ENTRE CIEL, TERRE ET EAU

Parmi la vingtaine de projets sélectionnés, par la ville, dans le cadre du programme national « Action cœur de ville »2, le pont Jacques-Gabriel a été le premier des grands monuments blésois à répondre à la mise en valeur de l’espace public et du patrimoine.

Dès la phase de concours, « nous avons pris en compte, à la fois, le caractère remarquable du patrimoine du site d’un point de vue historique, architectural et patrimonial, et, aussi, le patrimoine naturel exceptionnel que représente la Loire, classée au patrimoine mondial de l’Unesco », explique Virginie Voué. C’est pourquoi Jérémy Judic a tout d’abord effectué une analyse documentaire (dès la phase concours/esquisse préliminaire), complétée par des observations réalisées sur site en tout début d’étude, tant au niveau des écosystèmes terrestres qu’aquatiques.

« À partir de ces analyses, nous avons défini la localisation des sources et leur orientation ainsi que les gammes de couleurs utilisées déterminées selon les spectres lumineux colorés les moins impactant pour les espèces en présence », poursuit la conceptrice lumière, ce, tout en faisant en sorte de respecter la logique architecturale et le principe de mise en lumière. « En cohérence avec la fonction du pont, j’ai choisi de souligner ses éléments structurels et architectoniques (continuité et ancrage), ainsi que l’approche conceptuelle d’un trait d’union entre terre, ciel et eau. »

UN EFFET D’ÉVENTAIL LUMINEUX

Les données bibliographiques, complétées par des observations effectuées sur site par Jérémy Judic et Romain Barbé, ont révélé une saisonnalité importante de la présence des espèces se trouvant à proximité du pont Jacques-Gabriel, liée aux cycles biologiques des oiseaux, insectes, faune piscicole, mammifères semi-aquatiques… (migrations, reproduction, recherche de nourriture…), ainsi qu’une importante présence d’oiseaux remarquables, en particulier de sternes (pierregarins et naines notamment). Par ailleurs, il a fallu porter une attention particulière aux îlots de sable et de gravier, abrités en aval par les pieds des têtes de pile, formant des habitats intéressants à préserver, tout comme aux rives pour limiter les apports de lumière afin de préserver berges de Loire et leurs enjeux (zones de refuge et de déplacement terrestre, site de nidification d’hirondelles de rivage). Parce que « la lumière peut créer un problème de repérage dans l’espace, pour les espèces aquatiques autant que pour les oiseaux », Virginie Voué a travaillé l’éclairage des arches, constituant un enjeu principal pour donner la lecture de la continuité, en créant un effet « d’éventail lumineux ». Depuis les côtés des piles, cet effet diminue délicatement jusqu’à la partie centrale de l’arche, la moins épaisse, afin qu’elle soit un peu plus plongée dans l’ombre.

À L’ÉCLAIRAGE DE L’ÉCOLOGUE

« La biodiversité est de plus en plus prise en compte en amont des projets », se félicite Jérémy Judic qui nous définit sa mission. Le travail de l’écologue consiste à fournir des services de conseil et d’études spécialisés, gérer des projets, mettre en œuvre des politiques portant sur les thèmes de la conservation de la biodiversité et de l’ingénierie écologique, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. L’écologue participe à la préservation d’un environnement, d’une part, en identifiant les impacts de l’activité humaine sur le milieu naturel, et, d’autre part, en préconisant les mesures à prendre permettant de les éviter, de les réduire, et, en cas d’effets résiduels, de les compenser. C’est pourquoi Virginie Voué et Jérémy Judic ont décidé de collaborer et de partager leurs compétences respectives pour l’élaboration de la trame sombre de la Vendée projet porté par Alexandre Collonnier, DGA, directeur infrastructures au SyDEV (Syndicat départemental d’énergie et d’équipement de la Vendée).


© Antoine Monié

ÉTÉ ABRICOT, HIVER POLYCHROME

Ainsi, deux scénarios se déploient sur l’année, l’éclairage se déclenchant dès la tombée de la nuit et s’éteignant à 0 h 30 :

  • scénario été, du 1er avril au 30 septembre. Constituant un passage progressif du blanc chaud, dit « patrimonial », à l’abricot, cette solution autorise de nombreuses nuances se déroulant de façon très lente et progressive (au moment où la nuit est la plus courte, on n’observe quasiment que le tableau « abricot ») ;
  • scénario hiver, du 1er octobre au 31 mars. Se succèdent le blanc chaud, dit « patrimonial », le coloris « abricot », qui se mélange au blanc chaud, dit « patrimonial », pour atteindre le mauve, créant une boucle un peu plus dynamique et cadencée, durant approximativement le temps de la traversée du pont, pour en découvrir différents tableaux. À 22 h 30, le coloris « abricot » habille le pont jusqu’à son extinction, à 0 h 30.

Ainsi, sur le pont, aucune source n’est orientée directement vers l’eau pour ne pas affecter la faune aquatique. Parti pris concrétisé par un soin porté à la localisation, lors de la conception du projet, lors des piquetages et de la pose, ainsi qu’à l’orientation des flux lumineux, en particulier lors des opérations de réglages. Dans ce sens, plusieurs précautions ont également été prises, cette approche ayant permis d’étudier :

  • d’une part, le spectre de couleurs afin de privilégier les couleurs impactant le moins les espèces en présence (abricot ambré, par exemple) et de bannir les plus impactantes (le bleu et le vert, par exemple). « Tout en sachant que nos connaissances scientifiques actuelles restent, à ce jour, limitées » ;
  • d’autre part, les couleurs de l’éclairage adaptées entre le printemps et le début de l’été pour préserver cette période la plus sensible (pic d’activités des espèces, reproduction, déplacement). Tout en permettant de découvrir différents tableaux sur la période la plus animée de la nuit en hiver, l’aspect dynamique de l’éclairage sert aussi à faire évoluer les variations de couleurs entre ces deux saisons pour devenir, plus sage, plus lent et plus progressif, sur une période plus courte de la nuit en été.

Côté énergétique, les 64 projecteurs LED, fournis par Meyer (Nano 4) et positionnés aux angles et aux têtes des 20 piles du pont et les 8 projecteurs Martin (Exterior 210), sur les rives, totalisent une puissance installée de 4 300 W (contre 9 600 W auparavant).

JD

1 Lancé par le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, le programme « Action cœur de ville » vise à aider 222 villes moyennes à redynamiser leur centre-ville.

2 Du nom de son architecte, Jacques V. Gabriel (1667-1742), premier ingénieur des Ponts-et-chaussées. L’édifice mesure 302 m de long, la largeur de son tablier s’élevant à 14,95 m. Il compte 11 arches dont les traverses mesurent de 16,55 m à 26,30 m.

MISE EN LUMIÈRE DU PONT JACQUES-GABRIEL À BLOIS
ARCHITECTE DU PATRIMOINE
Martine Ramat
DRAC CENTRE-VAL DE LOIRE
Dossier suivi par Hélène Lebedel, conservateur régional des monuments historiques adjoint
CONCEPTION LUMIÈRE
Luminescence – Virginie Voué
ÉCOLOGUES Artelia Villes
et Territoires – Jérémy Judic et Romain Barbé
PROGRAMMATION
Lumières Utiles – François Guillet, Samuel Charrier, Aloïs Prévost)
INSTALLATION Citeos Orléans et Ville de Blois
BUDGET 370 000 €, dont 80 %
financés par l’État dans le cadre de la convention « Action cœur de Ville »
MATÉRIEL INSTALLÉ
Martin, Meyer

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