Effets subaquatiques

Vancouver

Les grandes villes ne manquent pas de passages bétonnés, pollués par un trafic dense et peu engageant pour les piétons et cyclistes qui n’ont pas d’autre choix que de les emprunter. À Vancouver, un tunnel pour bus prend vie par la lumière grâce à l’installation artistique, tout autant que fonctionnelle, signée Jill Anholt Studio. Jeux de reflets maritimes pour ce projet lauréat des IALD Awards, qui donne toute sa place aux déplacements doux.

On pourrait, à tort, considérer ce projet comme un pis- aller. Sûrement pas, tant cette typologie de passages sous des immeubles, des axes routiers ou ferroviaires est courante en zone urbaine ou périurbaine. Souvent imaginés à une époque où les piétons n’avaient plus vraiment leur place en dehors de centres-villes piétonnisés, ils font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière et souvent l’occasion de mises en lumière originales, ludiques et interactives. Ici, c’est à deux pas du port de North Vancouver que se situe ce tunnel de 4,30 mètres de hauteur et quelque 35 de long, dédié à la circulation de véhicules. Notamment celle des bus qui rejoignent la gare routière et le quai Lonsdale, point central de la vie locale, avec son marché couvert qui anime cette partie de la ville depuis le milieu des années 1980. Cette zone en mutation attire de plus en plus de visiteurs. La Ville a d’ailleurs entrepris une rénovation et une amélioration de ce quartier « pour en faire un nouveau centre culturel, résidentiel et commercial passionnant », décrit Jill Anholt qui répond dans ce cadre à un appel à projets. Pour la conception technique, elle s’entoure de deux conceptrices lumière Janelle Drouet et Yuliya de La Calle qui œuvraient alors chez Arup, maître d’ouvrage du projet.

DES EFFETS IMMERSIFS ET INTERACTIFS

« Ce tunnel, vieux de 34 ans, avait grand besoin d’une intervention artistique pour le rendre accueillant et sûr ». L’artiste et les conceptrices s’en sont remises à l’histoire du lieu, notamment grâce à une carte historique qui signifiait qu’il y a un siècle, avant son aménagement, la côte se situait à l’endroit où se trouve le tunnel. D’où l’idée de créer l’impression d’être plongé au cœur d’une vague. C’est aussi par là que passe The North Shore Spirit Trail, un chemin de randonnée côtier qui relie les sites occupés par les Premières Nations, les peuples autochtones du Canada, et a apporté sa symbolique au projet. Le contexte où se situe l’installation Sea Change exigeait un matériel « résistant, facile à entretenir et conçue pour permettre un démontage et une réinstallation faciles si le tunnel devait plus tard subir des réparations », détaille l’artiste. Avec un budget serré d’environ 50 000 dollars, il fallait imaginer les moyens de créer un effet subaquatique. Pour récréer cette onde, les concepteurs ont amplifié la qualité dynamique de la lumière avec une série de panneaux réfléchissants.

« Nous avons essayé le verre, mais ça ne marchait pas très bien, se souvient Janelle Drouet, et puis des matériaux qui réfléchissaient bien la lumière mais qui c’était trop éblouissant, alors nous les avons martelés. Nous avons ensuite passé la main à l’atelier de Jill qui a parfait ces panneaux. » Et Jill Anholt de poursuivre : « Notre équipe a mené de nombreuses expériences dans le tunnel et dans nos studios, avec à l’idée de reproduire l’aspect de la réfraction de la lumière voyageant dans l’eau. Nos explorations ont finalement abouti à un effet similaire en réfléchissant la lumière sur des panneaux d’acier inoxydable texturés et polis comme des miroirs. »


Les projecteurs à changements de couleur, de chez Lumenpulse, sont orientés vers des panneaux réfléchissants en inox texturés et polis. Comme rien ne pouvait être fixé sur la sous-face (le mur appartenant à l’immeuble au-dessus et pas à la Ville), un système d’accroche métallique a été créé spécialement.

LE BEL ART DE LA FUITE

Côté luminaires, le choix s’est porté sur des projecteurs Lumenpulse de la série Lumenbeam, de taille medium et large, classés IP66 et RGBW à changement de couleurs, adaptés à cette commande. « Les LED rouges étant inutiles, nous les avons remplacées par du bleu et du vert. Ce qui permet d’avoir des nuances plus saturées », détaille Janelle. Ce qui rend les effets si particuliers est que les conceptrices ont joué sur le reflet de chacun des pixels de couleur sur ces panneaux qui créent des effets de coups de pinceaux, comme si c’était une peinture. Elles ont aussi fait en sorte que la lumière déborde des panneaux et inonde les murs mais aussi la sous-face du tunnel. « C’est très confortable de marcher sous ce tunnel. Nous avons éliminé tout reflet handicapant », explique Janelle. Des capteurs Eaton situés à chaque extrémité de l’installation déclenchent chacun une vague de lumière. Ainsi, si deux piétons arrivent en même, les vagues se rencontrent et cela génère des scénarios différents. « Nous avons modifié le séquençage et la synchronisation de l’effet lumineux pour lui permettre de fonctionner étroitement avec le mouvement des passants grâce à des capteurs de mouvement et pour obtenir un “état de repos” plus doux et chatoyant lorsqu’il n’est pas activé. » L’effet aquatique est assuré.

Lucie Cluzan

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