Vers de nouveaux codes d’éclairage

LAMPADAIRES SUR PIED ET LAMPES À POSER

L’offre en matière de lampadaires sur pied et de lampes à poser s’est largement étoffée en quelques années. Alors qu’elle a énormément progressé techniquement, la dalle de plafond n’aurait-elle plus la faveur des décideurs ? La réponse n’est pas aussi simple, d’autant plus que leurs performances peuvent être excellentes, mais de nouveaux codes dans les espaces de travail ont modifié l’approche des solutions d’éclairage.

Dans les années 1980, en Suisse, Regent proposait déjà des lampadaires sur pied pour l’éclairage des bureaux. Équipés alors de sources fluorescentes, certains de ces luminaires offraient un éclairage direct/indirect et permettaient de s’affranchir des dalles pour l’éclairage général. Pionnier à l’époque, le fabricant s’est heurté à un marché gagné aux carrés lumineux de 600 millimètres de côtés qui éclairent encore aujourd’hui la grande majorité des immeubles de bureaux. « Et la transition vers la LED, dans un premier temps, n’a pas joué en faveur du lampadaire, reconnaît Thomas Leroux, directeur général de Regent France.

© Humanscale
© Humanscale

Les espaces de travail évoluent vers des zones modulaires plus informelles dans l’esprit coworking. Ce changement impulse de nouvelles exigences pour l’éclairage qui doit s’adapter. Plus flexible et mobile, il doit aussi répondre au besoin de confort visuel de chacun.

Contrairement aux sources fluorescentes omnidirectionnelles, la LED exigeait un double éclairage pour fournir une lumière directe/indirecte avec, pour corollaire, un prix trop élevé pour pouvoir s’imposer sur le marché. Pendant deux ou trois ans, la dalle lumineuse a régné sans partage dans le tertiaire… Jusqu’en 2011, lorsque la révision de la norme NF EN 12464-1 sur l’éclairage intérieur des lieux de travail a porté une attention particulière à la qualité de la lumière et au confort visuel. »

Jusqu’alors, en effet, cette norme préconisait un niveau d’éclairement en fonction de la tâche à effectuer ; elle ne prenait pas en compte les zones annexes (murs et plafond), ni la problématique de l’éblouissement, ni celle de l’uniformité. Ces nouvelles exigences ont radicalement changé l’approche de l’éclairage, et ouvert la voie à la lumière directe/indirecte, une distribution que la dalle lumineuse, par principe, ne permet pas. Si les suspensions apportent une réponse à ce handicap des dalles lumineuses, les fabricants ont compris qu’il y avait un nouveau marché à saisir : depuis quatre ans environ, c’est le retour en force du lampadaire sur pied. Aujourd’hui, « même sans autre source d’éclairage, il peut répondre à la norme et, dans bon nombre de cas, il remplace les plafonniers, analyse Jean-Christophe Vasseur, directeur général de Waldmann France. Car si les dalles et les suspensions sont très performantes, elles sont fixes dans un environnement de bureaux devenu modulaire et régulièrement réaménagé qui exige un éclairage adaptable. »


UNE IDÉE FAUSSE SUR LE PRIX DES LAMPADAIRES SUR PIED

En dépit de ses nombreux atouts (performances, fonctionnalités, adaptabilité…), le lampadaire sur pied pâtit d’une image de produit cher qui freine les décideurs.

Des écarts parfois très importants entre le prix d’un lampadaire acheté directement au fabricant – entre 350 et 600 euros pour un luminaire avec capteur de luminosité et détection de présence – et le même produit proposé par certains revendeurs qui multiplient par trois ou quatre le prix. Cette pratique, qui fausse l’image du lampadaire sur pied, profite aux dalles lumineuses, négociées – pour celles qui ne sont pas dotées de fonctionnalités intelligentes – entre 30 et 100 euros l’unité. Un coût évidemment très inférieur, mais auquel il faudra ajouter celui de l’installation par un électricien, quand le lampadaire – éclairage devenu mobilier – se pose, se déplace et se branche simplement à une prise de courant pour un coût d’installation quasi nul.

© Sylvania
© Sylvania

Aujourd’hui, le lampadaire sur pied à flux direct/indirect peut répondre aux recommandations de la norme EN 12464-1 sans autre source d’éclairage. Souvent, il remplace les plafonniers, car si les dalles et les suspensions sont très performantes, elles sont fixes dans un environnement de bureaux devenu modulaire.


MOBILITÉ ET ADAPTABILITÉ

C’est un des atouts du lampadaire sur pied : il sait s’adapter à la modularité qui caractérise les espaces de bureaux d’aujourd’hui, comme l’explique Louis-Germain Scalbert, de SG Lighting : « Dans l’immobilier d’entreprise, les espaces de travail en open space s’adaptent aux évolutions actuelles avec la création de zones d’échange et de collaboration plus informelles, dans l’esprit du coworking. Cette tendance vers des espaces plus intimistes et modulaires influe logiquement sur l’éclairage qui doit répondre aux exigences de flexibilité dans un cadre plus “domestique”, plus humain, en accord avec les valeurs des actifs de la génération Y ou milléniale qui, lorsqu’ils sont en responsabilités, veulent se sentir au bureau comme chez eux. Nés à l’ère d’Internet, sensibles aux nouvelles technologies, le digital est dans leur ADN et ce changement générationnel impulse de nouvelles manières de travailler – et donc d’éclairer – avec, comme caractéristiques principales, la flexibilité et une conscience écologique plus marquée. » Louis-Germain Scalbert reconnaît que ce nouveau modèle n’est pas généralisé et qu’il s’étend surtout dans des entreprises en pointe ou qui cherchent à valoriser leur image, des start-up… Mais, rappelle-t-il, « il faut toujours des précurseurs pour imprimer le changement ».

Dans ce nouveau contexte, l’offre de lampadaires s’est élargie et énormément améliorée : « Il y a une dizaine d’années, les lampadaires sur pied étaient équipés de sources fluorescentes sans autre fonctionnalité que l’allumage/extinction, rappelle le DG France de Waldmann. Aujourd’hui, ces luminaires peuvent intégrer un système de détection de présence, un capteur de luminosité et de présence, autorisent la gradation, ils peuvent être connectés pour communiquer, pilotés seuls ou en groupes… Au-delà des significatives économies d’énergie réalisées, la lumière est moins agressive parce que plus diffuse, il n’y a pas, comme avec les plafonniers, cette problématique de la luminance et du risque d’éblouissement ; le confort visuel est exceptionnel », affirme-t-il.

© Xal
© Xal

La lampe à poser possède une capacité à créer une atmosphère « cosy » et aide à s’isoler de l’environnement ambiant pour mieux se concentrer sur sa tâche. Cet éclairage d’appoint a beaucoup évolué grâce à la LED pour devenir une solution technique et performante. Elle sera idéalement articulée, stable, capable de résister à des manipulations répétées, et son flux modulable pour pouvoir répondre aux besoins de confort visuel de chaque usager.

© Trilux
© Trilux
© Regent
© Regent

Évolution ou révolution dans la manière d’éclairer les bureaux ? Deux fabricants ont décidé de bousculer les codes : Trilux, avec Bicult LED, premier luminaire de bureau combinant un éclairage direct et indirect, et Regent, avec Stream, première lampe à poser à éclairage purement indirect.

ÉCLAIRAGE ET PAIX SOCIALE

Et le confort est devenu stratégique pour les entreprises qui cherchent à attirer de nouveaux talents, et qui veulent garder leurs collaborateurs, les voir concentrés sur leur tâche, au top de leur efficacité. L’éclairage fait partie de ces éléments de confort chers aux salariés, comme l’explique Santiago Pardo, de Humanscale, un des rares ergonomes diplômés à travailler pour un fabricant de luminaires et de mobilier de bureau : « Notre organisme perçoit la lumière comme une source de bien-être et de confort. Mais chacun a son idée du confort et il n’est pas possible de l’apporter par un éclairage général et une nappe lumineuse uniforme. Fournir un luminaire au salarié pour qu’il puisse ajuster l’éclairage à ses besoins, c’est lui laisser la liberté de se créer un environnement qui lui convient, où il se sentira bien. » Le lampadaire individuel est même devenu un élément de paix sociale, ajoute Thomas Leroux qui a constaté que « lorsque la présence syndicale ou du CHSCT (NDLR Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) est forte dans l’entreprise, elle agit comme un levier : en exigeant que chacun dispose de la “liberté d’éclairer” son poste de travail comme il le souhaite, cela favorise un meilleur climat social dans l’entreprise ».

L’expert de Regent note cependant que la présence de ces grands luminaires sur les plateaux de bureaux peut devenir envahissante ; ces « forêts de mâts » finissent par saturer visuellement l’environnement de travail. On trouve bien sûr, chez presque tous les fabricants de lampadaires, des modèles à plusieurs têtes, qui limitent l’encombrement. D’autres, avec une tige moins haute, se fixent directement sur le bureau. Et puis, il y a, une autre solution qui tend à se développer même si elle n’est pas actuellement une tendance majeure en éclairage tertiaire : la lampe de bureau à poser.

REGAIN D’INTÉRÊT POUR L’ÉCLAIRAGE D’APPOINT

L’éclairage d’appoint a fait sa révolution depuis l’arrivée de la LED, pour devenir une solution beaucoup plus technique et performante qu’auparavant : flux orientable, modulable en intensité et en température de couleur, mémoire pour conserver les réglages, articulations pour

« Toute lumière qui vient au-dessus du niveau des yeux est agressive pour l’œil de l’usager et va avoir un impact sur son organisme, explique-t-il. Cette agression lumineuse va se traduire par des crispations de la mâchoire, du cou, des épaules… et créer une fatigue musculaire. Perturbé par la lumière, moins efficace dans son travail, le salarié va ressentir un sentiment d’échec, d’inefficacité… Tout cela est complètement inconscient, précise Santiago Pardo. Ces troubles ne se révèlent aux personnes que lorsque l’on vient modifier leur environnement de travail pour l’améliorer. »

« La norme EN 12464-1 recommande 500 lux pour le travail sur papier et 300 lux pour le travail sur écran, poursuit-il. Mais les salariés travaillent à la fois sur écran et sur papier. En fournissant 300 lux en éclairage général – l’éclairage général doit être un éclairage d’ambiance, selon lui – et 200 à 300 lux grâce à une lampe à poser, on apporte un éclairage adapté aux deux tâches avec une lampe dont l’usager pourra gérer librement la lumière. » Et si l’investissement initial est plus important, l’équation économique reste très favorable en coût global, assure-t-il en citant des études menées aux États-Unis qui ont donné des résultats significatifs dans ce sens. Mais cela suppose, pour chaque projet d’éclairage, de prendre en compte le coût lié à l’inconfort visuel, ce qui est rarement fait (lire l’encadré en page de gauche).

Bien qu’ils offrent des alternatives à l’éclairage par dalles lumineuses, les lampadaires et lampes à poser ne signent certes pas la fin des dalles lumineuses et des suspensions. Néanmoins, les plafonds techniques représentent un coût important dans le bâtiment, que les promoteurs et les architectes cherchent à réduire. Comme la foncière Officiis Properties (ex-Züblin Immobilière France) le propose déjà, certains projets immobiliers pourraient, à l’avenir, être réalisés sans l’éclairage, le choix des luminaires faisant alors partie d’un package séparé, à définir avec le locataire.

ERGONOMIE ET ÉQUATION ÉCONOMIQUE
Ergonome diplômé, Santiago Pardo regrette que la décision des entreprises de proposer aux collaborateurs un éclairage personnalisé soit d’abord motivée par la volonté d’attirer les talents, d’améliorer les performances des collaborateurs et de les garder au sein de l’entreprise.
Il préférerait que la motivation première soit la prise en compte de la santé du salarié : « On oublie trop le coût des troubles musculosquelettiques
liés à un mauvais éclairage. Pour une entreprise, c’est 24 000 euros par an et par salarié en coût direct. Les ergonomes devraient intervenir très en amont des projets, insiste-t-il. Nous sommes formés pour travailler avec les architectes, pour analyser les besoins et fournir des recommandations, mais c’est un surcoût que les investisseurs ne sont pas prêts à payer. » Si le discours des ergonomes ne passe pas en amont, il passe a posteriori, lorsqu’une entreprise fait face à un problème et ne sait pas comment y remédier.
Santiago Pardo note aussi qu’en France, lorsqu’une société fait appel à un ergonome parce qu’un salarié n’est pas bien à son poste, le coût de cette
intervention est pris en charge par les services santé. « Les responsables du projet ne sont donc pas informés des problèmes liés à l’éclairage qu’ils
ont mis en œuvre. » Difficile dans ces conditions de faire évoluer les pratiques vers une meilleure prise en compte de l’ergonomie visuelle.

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