Contrairement à l’éclairage intérieur (avec l’UGR), nous manquons d’un modèle faisant consensus pour prédire le niveau d’inconfort dû à une installation d’éclairage routier ou urbain, à un panneau publicitaire ou aux phares automobiles. « Un tel modèle permettrait de limiter cet inconfort pour les différents usagers, notamment en ville », considèrent Céline Villa et Roland Brémond, qui résument les contributions de l’Université Gustave Eiffel1 dans ce domaine.
Le développement de la technologie LED renouvelle les questions de recherche portant sur l’éblouissement, principalement dans trois domaines. En éclairage extérieur, le fameux rapport, de l’ANSES, (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail), publié en 2019 et portant sur les effets sanitaires de l’éclairage LED (dont la lumière bleue), recommande de réglementer pour limiter l’intensité des phares, de manière à limiter l’éblouissement. Des recherches restent nécessaires pour fixer les seuils. En éclairage routier, le modèle GCM (Glare Control Mark) préconisé, dès 1976, par la CIE (Commission internationale de l’éclairage), pour estimer le niveau d’inconfort créé par un alignement de luminaires, n’est plus utilisable, en raison, à la fois, de l’évolution des photométries des luminaires et des sources. Des recherches sont donc nécessaires pour définir un modèle d’éblouissement inconfortable adapté aux sources actuelles. Enfin, en éclairage urbain, le développement des panneaux publicitaires lumineux et de l’éclairage commercial pose questions. En particulier au niveau de l’éblouissement causé par de telles sources de grande taille, mais aussi sur les réactions qu’elles provoquent (distraction) pouvant s’avérer dangereuses au niveau de la sécurité routière, voire pour les piétons (chutes).
L’ÉBLOUISSEMENT VOIT DOUBLE
Dans la littérature scientifique consacrée à l’éclairage, sont distingués deux types d’éblouissements :
– d’une part, l’éblouissement incapacitant dû à un voile lumineux se superposant à l’image rétinienne. Il dégrade les contrastes perçus et donc la capacité de l’observateur à détecter des obstacles (par exemple des piétons face à des phares de véhicules) ou à lire des panneaux. Pour contrôler ce type d’éblouissement, la norme NF EN 13201 recommande des valeurs d’augmentation, relative au seuil de perception (fTI%), fondées sur le calcul de la luminance de voile ;
– d’autre part, le subjectif éblouissement inconfortable. Il correspond, quant à lui, à la gêne ressentie en présence de sources éblouissantes
MODÉLISER LES PROBLÉMATIQUES
Ces dernières années, des travaux ont été menés à l’Université Gustave Eiffel pour répondre à ces problématiques, notamment en termes de modélisation.
- Prendre en compte le mouvement. En 2016, en partenariat avec Thorn Lighting (Zumtobel Group), ont été comparés les modèles proposés dans la littérature pour prédire l’éblouissement inconfortable ressenti, en ville, par des piétons sous différentes lanternes d’éclairage urbain. Pour ce faire, des données subjectives ont été collectées auprès d’un panel de 40 participants.
Ces modèles permettent de prédire le niveau d’éblouissement moyen à un endroit donné sous une installation, en fonction de la direction du regard de l’usager. Or, en ville ou sur la route, piétons ou automobilistes sont en mouvement. Le modèle GCM avait été développé pour prendre en compte cet aspect au niveau d’une installation d’éclairage public. Mais il n’est plus adapté aux technologies et aux sources actuelles, de plus, il ne traitait que d’éclairage public et pas d’éclairage automobile. « Dans ce contexte, nous avons encadré la thèse de Joffrey Girard2 visant à développer un modèle prédisant la probabilité d’être ébloui quand l’usager est en mouvement dans un espace comptant de multiples sources, comme c’est notamment le cas en urbain », explique Céline Villa en précisant que les résultats de ce travail sont en cours de publication. Trouver un consensus. L’Université a participé au comité technique 4-33 de la Commission internationale de l’éclairage faisant état des connaissances et des modèles portant sur l’éblouissement inconfortable dû à l’éclairage routier et automobile. Un rapport technique, en phase finale de rédaction, sera publié prochainement mettant en évidence le besoin de recherche pour valider les modèles déjà proposés dans la littérature (souvent à partir de données collectées en laboratoire) afin d’aboutir à un consensus. « Aussi, des travaux seront à mener sur le terrain, ces prochaines années », anticipe Roland Brémond.
- Expérimenter des plots lumineux LED autonomes. Dans le cadre du projet de recherche européen IN- ROADS visant à la mise au point de plots routiers à LED, autonomes en énergie, ont été menées des expérimentations permettant d’établir des recommandations en termes d’intensité lumineuse, « pour que ces plots soient à la fois visibles de jour sans éblouir la nuit », précise Céline Villa.
DEUX CHERCHEURS DANS « L’UNIVERSITÉ DE LA VILLE »
Céline Villa et Roland Brémond sont tous deux chercheurs à l’Université Gustave Eiffel, la première dans le domaine de l’éclairage et de la visibilité tandis que le second, en tant que directeur de recherches, intervient dans celui de la vision dans les déplacements humains. Leurs travaux portent sur l’évaluation des dispositifs d’éclairage, ce qui implique, à la fois, de quantifier les apports de l’éclairage (par exemple la visibilité) et les nuisances (comme l’éblouissement).
Née de la fusion de l’Université Paris-Est-Marne la Vallée avec l’IFSTTAR (Institut français des sciences et des technologies des transports de l’aménagement et des réseaux), l’Université Gustave Eiffel, dite « Université de la ville », oriente les recherches de Céline Villa et Roland Brémond vers l’éclairage extérieur : éclairage automobile, routier, urbain.
LE VÉHICULE AUTONOME DANS LE MONDE DU VIVANT
« Si notre approche est centrée sur la perception de l’environnement par l’humain, d’autres aspects, tout aussi importants, pourraient prendre encore plus d’importance dans les années à venir », poursuit Roland Brémond en citant le monde du vivant et celui des capteurs associés au développement des véhicules autonomes.
- Rechercher des compromis. L’un des enjeux principaux de demain porte sur le développement des véhicules autonomes. Se conduisant seuls, ils utilisent des capteurs pour contrôler leur environnement, notamment des caméras. Il est donc nécessaire que ces équipements « voient » correctement l’environnement pour assurer la fiabilité de ces véhicules, « ce qui peut ajouter une nouvelle fonction à l’éclairage public et automobile », considère Roland Brémond. Pour lui, l’arrivée du véhicule autonome en ville ne fait que renforcer une question mal abordée jusqu’à présent. À savoir, « l’éclairage public éclaire, en même temps, de multiples usagers (piétons, cyclistes, malvoyants, automobilistes, etc.), ayant des besoins différents », explique-t-il, en estimant qu’il faut trouver des compromis acceptables.
De plus, en attendant l’arrivée des véhicules entièrement autonomes, se pose la question de la « reprise en main » du véhicule : lorsqu’un véhicule semi-autonome n’est plus en capacité de conduire, il doit rendre la main au conducteur. Mais si le véhicule est ébloui, il y a fort à parier que le conducteur l’est aussi. « Dans ce contexte, la reprise en main pose un problème de sécurité. »
- Définir des niveaux lumineux acceptables pour la biodiversité. Concernant le monde vivant, animal et végétal, on observe un débat animé autour des nuisances lumineuses, notamment par rapport à la biodiversité. L’arrêté du 29 décembre 2018, imposant notamment des horaires d’extinctions à certaines classes d’éclairage, en représente une bonne illustration. « Les connaissances sur ces sujets restant limitées, des recherches sont nécessaires pour définir des niveaux lumineux mieux adaptés à la faune et à la flore, s’appuyant sur une base scientifique indiscutable et acceptable pour les différents usagers, notamment en ville », conclut Roland Brémond.
JD
1 Ce nouvel établissement réunit depuis le 1er janvier 2020 une université (UPEM), un institut de recherche (IFSTTAR), une école d’architecture (Éav&t) et trois écoles d’ingénieurs (EIVP, ENSG et ESIEE Paris).
2 Soutenue le 17 décembre 2019, la thèse de doctorat de Joffrey Girard a porté sur la « Modélisation de l’éblouissement d’inconfort dans les situations dynamiques ». Soulignons que cette thèse, réalisée à l’Université Gustave Eiffel, s’est déroulée sous la direction de Roland Brémond et encadrée par Céline Villa.