Hommage aux créateurs des lumières de Notre-Dame de Paris

© Concepto
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Au Moyen Âge, on appelait « lampiers » les lustres circulaires, de large diamètre, comptant de nombreux godets à huile ou des chandelles, apportant une faible et polluante lumière à l’intérieur des cathédrales. Avec leur double vocation, religieuse en plus d’éclairer, ces lustres n’étaient allumés qu’à l’occasion de fêtes ou solennités.

Depuis 1904, l’électricité a heureusement innervé la cathédrale. Quant à l’éclairage extérieur, il n’était bien sûr question, pendant des siècles, que de la lumière Divine, la première mise en lumière extérieure de Notre-Dame de Paris remontant à 19541. Alors que la cathédrale traverse une nouvelle période difficile, LUX rend hommage aux éclairagistes ayant contribué, depuis lors, à sa valorisation. Merci à eux… et à ceux qui s’annoncent.

L’éclairage intérieur de Notre-Dame de Paris comporte plusieurs strates réalisées en fonction des besoins. Sans remonter au Moyen Âge, l’éclairage « historique », mis en place par Viollet-le-Duc au milieu du XIXe siècle, en partie toujours présent2 (couronne de lumière, lustres, torchères, chandeliers), ne répondait plus aux besoins contemporains, notamment celui d’y voir. Aussi, avec « l’électrification » de la cathédrale, en avril 1904, l’éclairage fut progressivement amélioré tout en respectant la vocation spirituelle du monument.

« LE JOUR DU SEIGNEUR »

Le 24 décembre 1948, le père dominicain Raymond Richard obtient la retransmission de la messe de minuit depuis la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pour les besoins de la diffusion par RDF-Télévision Française, il fallait mieux éclairer, ce qui révéla, également, la richesse de la majestueuse architecture intérieure.


Ci-dessus. L’illumination de la cathédrale, signée par Roger Narboni (Concepto) et Louis Clair (LightCible), mêle éclairage de fond des façades et accentuations.


Ci-contre. La concepteur Armand Zadikian est l’auteur de l’éclairage de l’intérieur de la cathédrale. Ces dernières années, il a sorti de l’ombre la nef, la clôture du chœur et les 27 chapelles.

© Philips
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DAME DE CŒUR

Créée pour célébrer la cathédrale Notre- Dame de Paris, l’association Lux Fiat a été constituée pour produire le spectacle son et lumière intitulé « Dame de cœur », dans le cadre des célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale. Ainsi, en novembre 2017 et 2018, la scénographie du metteur en scène Bruno Sellier a, d’une part, été projetée sur la façade du monument. De plus, la nef de la cathédrale a été sublimée par les jeux d’orgues et de lumière d’Armand Zadikian. À noter que, au début des années 2010, Bruno Sellier et Benoît Quero, fondateur de la société « Spectaculaires », ont collaboré à la réalisation d’un premier spectacle leur ayant permis de faire « danserle French cancan » aux 28 statues de la Galerie des Rois de Notre- Dame de Paris.

Face au succès de cette première retransmission TV, le père dominicain a obtenu, à partir du 9 octobre 1949, la création d’une émission hebdomadaire catholique, baptisée le « Jour du Seigneur » le 5 décembre 1954. Pour concrétiser financièrement son projet, il fonde une structure associative de production, le CFRT (Comité français de radio-télévision)3.

En 1993, Armand Zadikian débute sa collaboration avec l’émission. Photographe de formation, devenu directeur de la photographie, il réalise, entre autres, l’éclairage de Notre-Dame à l’occasion de la cérémonie organisée, le 26 janvier 2007, pour les obsèques de l’abbé Pierre, transmise en direct par la télévision. Cette contribution lui a permis d’apporter son expertise à la longue histoire de la cathédrale en réalisant, de façon pérenne cette fois-ci, l’ensemble des éclairages intérieurs de cet édifice long de 150 m, large de 25 m et haut de 35 m. « La difficulté consistait à apporter une mise en valeur du lieu tout en étant le plus discret possible », explique-t-il. Pour y parvenir, il s’était fixé quatre impératifs :

  • respecter la beauté du lieu en créant une ambiance lumineuse douce et confortable (≈ 20 lux) ;
  • mettre en valeur l’architecture intérieure et les œuvres d’art ;
  • ne pas détériorer le site en s’adaptant au lieu (aucun percement des pierres) ;
  • rendre accessibles tous les équipements.

POUR LE JUBILÉ DES 850 ANS

En 2007, l’association Maurice de Sully4 et le recteur Monseigneur Patrick Jacquin décident la rénovation de l’éclairage intérieur de Notre- Dame de Paris pour son jubilé des 850 ans, en 2013. C’est à Armand Zadikian qu’est confié ce projet, mis en œuvre avec les luminaires LED de Philips associés à un système de pilotage adapté aux divers besoins de la cathédrale. Au total, 400 luminaires ont été utilisés, avec une puissance installée de 35 kW contre 150 kW auparavant. Pilotés par DMX à l’aide d’un système informatique à écran tactile en facilitant la commande, divers programmes de lumière sont enregistrés. « Le régisseur a aussi la possibilité d’ajouter des séquences supplémentaires », précise Armand Zadikian. Enfin, en octobre 2017, il participe avec Targetti à l’illumination des 27 chapelles latérales permettant, grâce à 96 projecteurs LED Ledo, de sortir de l’obscurité une centaine d’œuvres d’art.

RÉVÉLATION DE LA TRANSPARENCE DE LA FAÇADE

1989 ! La Caisse nationale des monuments historiques et des sites, ainsi que la Ville de Paris, décident de renouveler la « mise en lumière » extérieure, datant de 19545. Confié aux concepteurs Roger Narboni (Concepto), Louis Clair (LightCible), en collaboration avec l’architecte Italo Rota, il faudra toutefois attendre 10 ans pour débuter la mise en œuvre de ce projet… après une vaste campagne de nettoyage des façades. Ce délai nécessita une réactualisation complète du premier projet.

Le concept, qui a situé l’âme de la cathédrale au cœur du projet, a intégré la couleur retrouvée de la pierre, la nouvelle illumination adoucissant les contrastes et s’enrichissant d’une mise en valeur des statues. Réalisée en une seule température de couleur (3 000 K, IRC 85), cette mise en lumière se décline en un éclairage de fond des façades (lointains et diffus, projecteurs Thorn Contrast équipés de lampes à brûleur céramique 150 W) et un éclairage d’accentuation. Positionné sur le bâtiment, ce dernier est constitué d’enluminures venant souligner les portails, les détails architecturaux et les rambardes de pierre… notamment à l’aide de fibres optiques pour la galerie des Rois (générateur de lumière Flux équipé d’une lampe iodures métallique de 150 W et de filtres correcteurs de couleur).

À noter, également, l’ancrage au sol de la façade à l’aide d’une mise en lumière en contre-plongée des contreforts, au niveau de leur pénétration dans le parvis. Cet effet est obtenu à partir d’encastrés de sol Targetti Extérieur vert équipés de lampes à induction 85 W. Enfin, les baies de la galerie de la Vierge sont soulignées en contre-plongée à partir de projecteurs, fournis par Meyer, installés au sol. Au total, 110 points lumineux (6,5 kW de consommation), difficilement accessibles, étaient pilotés par un système de télésurveillance « Edelcom UDC » au niveau des générateurs et de chaque projecteur.

© Philips
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La clôture du chœur est un ensemble de sculptures en haut ou plein relief. Cette œuvre réalisée entre 1300 et 1350 par Pierre de Chelle, Jean Ravy et Jean Le Bouteiller, notamment remarquable pour l’expressivité des personnages. La mise en lumière signée Armand Zadikian lui redonne son éclat et la mesure de son ampleur.

DONNER À LIRE

« Cette mise en lumière donne ainsi à lire, la nuit, la composition de la façade ouest. À savoir, le développement subtil de sa double peau de pierre », expliquent les deux concepteurs. La revue LUX a déjà témoigné de leur démarche. Notamment dans son édition 211 (janvier-février 2003), Louis Clair soulignait que « ce monument est, à lui seul, une création d’artistes. Nous n’avons pas à nous projeter sur lui mais à le suivre et à épouser sa richesse ». De plus, poursuit-il, « dans le respect de la vocation spirituelle de Notre-Dame, il convenait d’évoquer le mouvement vers le ciel qu’elle se doit d’inspirer ». C’est pourquoi le niveau lumineux augmente, du sol jusqu’aux sommets des tours, amenant le regard à s’élever en rencontrant, notamment, les fines colonnettes et les délicates arcatures de la galerie supérieure révélées par un éclairage latéral frisant, de bas en haut, réalisé à partir de projecteurs extra-plat Corus fournis par Comatelec. Dans cet esprit, « il eut aussi fallu allumer la lanterne du Bon Dieu en allumant les rosaces et fenêtre de l’intérieur », estime Louis Clair. Mais ce fut impossible à faire accepter par le clergé.

Quant à Roger Narboni, il expliquait que « l’éclairage devait faire ressortir la structure, étagée et imbriquée, sa répartition ternaire, sa transparence et sa double peau de pierre, de ses galeries et de ses colonnades ».

Enfin, Michel Peret, alors responsable « éclairage public » de la Ville de Paris, maître d’ouvrage de la mise en lumière de la cathédrale, précisait, quant à lui, « l’éclairage intégré à la façade obligeait à trouver ou faire réaliser des appareils discrets et à développer des astuces pour les accrocher, le percement de la pierre étant inenvisageable ».

DES PROJETS LUMINEUX

Et maintenant ? Après l’incendie qui a largement détruit Notre-Dame, quelles nouvelles lumières ? Alors que les modalités du concours de la reconstruction de la cathédrale ne sont pas encore connues, une douzaine de projets sont d’ores et déjà proposés. Cinq d’entre eux ont recours à la lumière pour notamment remplacer le toit et la flèche :

  • le graphiste breton Anthony Séjourné (Atana Studio) imagine un faisceau lumineux traversant le ciel ;
  • le studio slovaque Vizum Atelier propose, quant à lui, une tour surmontée d’un faisceau de lumière qui brillerait jusqu’aux cieux ;
  • le projet brésilien de AJ6 Studio est constitué d’une toiture et d’une flèche en vitrail, des éclairages illuminant les vitraux la nuit ;
  • Massimiliano et Doriana Fuksas (Studio Fuksas) ont dessiné une flèche inspirée du cristal de Baccarat qui se dresserait au-dessus d’une verrière entièrement illuminée la nuit ;
  • enfin, Christophe Pinguet, de l’agence parisienne d’événementiel Shortcut, a quant à lui imaginé une scénographie non permanente, baptisée « Que la lumière soit ». Elle est constituée de plusieurs faisceaux, dirigés vers le ciel, les uns situés aux quatre angles de chaque tour, un autre remplaçant la flèche de façon immatérielle.

Jacques Darmon

1 En 1930, une première expérience de mise en lumière a été réalisée par Fernand Jacopozzi, électricien français d’origine italienne. Considéré comme le premier concepteur lumière national, on lui doit, parmi plusieurs réalisations, l’illumination de la Tour Eiffel, en 1925, « sponsorisé » par André Citroën.

2 Lors de la rénovation de la cathédrale, par Viollet-Le-Duc, de 1844 à 1864, il dessina un grand lustre, de 5 m de circonférence, exécuté par l’orfèvre Placide Poussielgue-Rusand. Suspendu à la voûte du transept jusqu’en 2007, il est aujourd’hui installé à la Basilique Saint-Denis.

3 Aujourd’hui, hormis le journal télévisé créé en 1949, le « Jour du Seigneur » est la plus ancienne émission diffusée par la télévision française.

4 Du nom de l’évêque de Paris qui lança la construction de Notre-Dame en 1163. Elle fut achevée en 1345.

5 À l’époque des projecteurs Mazda, installés sur l’Hôtel-Dieu, pour la façade, et dans de faux kiosques de bouquinistes, côté sud, diffusaient une lumière orangée.

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