Conceptrices, concepteurs lumière, quel avenir pour notre métier ?

Lorsque le métier de concepteur lumière est né, en France, il y a maintenant 35 ans, très vite il est apparu évident, puis essentiel, tant la dimension nocturne des villes, des aménagements extérieurs, du paysage, des architectures et des intérieurs avait été ignorée, depuis des décennies, de tous les acteurs de la ville. Les concepteurs lumière de l’époque, issus pour beaucoup du spectacle ou des arts plastiques, bénéficiaient, alors d’une aura de magicien qui se reflétait dans les yeux et dans l’appétence des jeunes générations, comme dans les commandes publiques et dans l’envie de collaborer exprimée par les autres maîtres d’œuvre.

Leur métier était alors en phase avec leur époque. Les événements, les fêtes et festivals de lumière, les illuminations de monuments, la création de paysages nocturnes, la mise en lumière des façades architecturales, l’extension des nocturnes dans les équipements culturels et commerciaux, l’originalité des éclairages intérieurs, l’avènement de la ville 24 heures sur 24 semblaient promis à un long avenir tranquille et radieux.

Roger Narboni, concepteur lumière

QU’EN EST-IL AUJOURD’HUI ?

Le dérèglement climatique, les pandémies mondiales, la hausse faramineuse et continue du coût de l’énergie, la compréhension des dommages majeurs créés par la lumière artificielle sur le vivant (humains, faune et flore), la recherche effrénée de la sobriété et la volonté de réduire les dépenses des collectivités, ont, en quelques années, impacté et profondément transformé le métier de concepteur lumière. Devenu totalement dépendant de la technologie LED, il est désormais sommé d’accompagner les extinctions, de promouvoir des éclairages frugaux et vertueux, de trouver des solutions pour diminuer la pollution lumineuse, de préserver la biodiversité coûte que coûte et de respecter les nombreuses normes et réglementations.

Son expertise professionnelle est remise en cause par les ingénieurs, les écologues, les biologistes ou les sociologues, qui, sans expérience ni vision d’ensemble, se prévalent d’une forme de compétence dans le choix des prescriptions techniques pour faire évoluer les éclairages existants, en proposant souvent des recettes simplistes voire dépassées. De plus, malgré tous les efforts déployés par l’ACE (l’Association des concepteurs lumière et éclairagistes qui vient de fêter ses 25 ans), aucune filière de formation au métier de concepteur lumière n’a été mise en place en France, alors que la majorité des autres pays européens y sont parvenus.

POURTANT, IL RESTE TANT À FAIRE !

Pour inventer les éclairages de demain et répondre aux changements sociétaux et environnementaux, pour accompagner l’appropriation nocturne des espaces publics et privés, extérieurs comme intérieurs, pour encourager le lien social à la nuit tombée, pour offrir aux citadins des ambiances lumineuses conviviales, du bien-être et de l’obscurothérapie, dans une nuit plus fraîche, plus inclusive et plus accueillante… Il reste beaucoup à faire.

Notre métier ne peut pas se réduire à appliquer les réglementations, à minimiser les niveaux lumineux, à choisir des spectres de LED adaptés, à proposer des plages d’allumage et d’extinction, à identifier les secteurs à préserver de l’éclairage, sans conception d’ensemble, sans stratégie innovante, sans composition nocturne ni poésie, sans pédagogie auprès du grand public

PROPOSER DE NOUVEAUX HORIZONS

Comme à la fin des années 1980, nous devons être inventifs, créatifs, imaginatifs pour proposer aux jeunes générations de nouveaux horizons : la bio-conception lumière respectueuse du vivant ; la conception obscure pour réenchanter la nuit des villes ; l’économie circulaire et le réemploi ; l’engagement dans la rénovation systématique des éclairages obsolètes ou encore l’urbanisme nocturne, représentent des pistes passionnantes à explorer. Il devient urgent de réagir si nous ne souhaitons pas, demain, au niveau de chaque nouveau projet d’éclairage, être rangés dans la catégorie peu alléchante des pollueurs de la planète.

Roger Narboni, concepteur lumière

Cette publication a un commentaire

  1. Thierry Walger

    Admettons aussi que des réalisations sont parfois discutables, car elles sont techniquement, esthétiquement et photométriquement pas adaptées aux lieux. Elles sont souvent conçues par des organismes qui n’y connaissent … pas grand-chose et cela nuit, bien sûr aux professionnels.
    Alors oui, la formation au métier de concepteur lumière n’a pas été mise en place en France, alors que la majorité des autres pays européens y sont parvenus. Et chez nous, le titre ce Concepteur Lumière peut être attribué à n’importe qui.

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