De la fonderie à la LEDification en passant par l’Art déco

La Ville de Paris compte 192 000 luminaires implantés sur 1 300 km de voies. Ce parc est réparti en trois typologies de luminaires : le mobilier fonctionnel, qui en représente 48 % (auquel il convient d’ajouter 22 % de luminaires souterrains) ; le mobilier patrimonial contemporain et les luminaires historiques, dits de « style » (10 % du parc), principalement concentrés sur les arrondissements parisiens centraux. Remontons l’histoire… jusqu’à il y a 350 ans.

Paris, première moitié du XIXe siècle, la population dépasse le million d’habitants, les rues sont étroites, sinueuses et mal éclairées… «Ouvrons de nouvelles rues, assainissons les quartiers populaires qui manquent d’air et de jour… et que la lumière bienfaisante du soleil pénètre partout dans nos rues. » Telles ont été les directives de Louis Napoléon, dont l’exil londonien, en 1831, lui a permis d’être fasciné par l’architecture aérée et moderne des quartiers ouest de la capitale anglaise. Devenu empereur, Napoléon III cherche l’homme de la situation. Son ministre de l’Intérieur, Victor de Persigny, lui présente Georges-Eugène Haussmann, alors préfet de Gironde. Ce dernier apporta notamment la lumière caractérisée par le développement, d’une part, du réseau gaz, passé de 565 à 1 864 km entre 1856 et 1880, et, d’autre part, du nombre de becs de gaz destinés à l’éclairage public (de 16 en 1829, à 32 022 en 1870).

Mais l’éclairage ne s’est pas limité à ce côté pratique. S’est aussi développé le mobilier urbain haussmannien, dont les lampadaires en fonte qui en éclairant les rues parisiennes sont devenus em blématiques du patrimoine urbain. En apportant une luminosité à des lieux autrefois sombres, ils ont également apporté une esthétique raffinée. En effet, souvent ornés de motifs élégants et de détails architecturaux, ils ont ajouté une touche de sophistication et de charme à l’ambiance nocturne, toujours appréciée aujourd’hui, l’électricité ayant progressivement remplacé le gaz. Le dernier lampadaire utilisant cette énergie, installé au bas des Champs-Élysées, n’a-t-il pas été mis hors service seulement en 1962 ?

180 ANS D’ÉCLAIRAGE PUBLIC ÉCLECTIQUE

Si, principalement à Paris, « l’année 1900 peut être considérée comme date repère durant laquelle l’élec tricité est devenue le symbole suprême du progrès et de la modernité », comme le rappelle Alain Briffaut (voir page 50), président de l’association MEGE (Mémoire de l’électricité, du gaz et de l’éclairage public), plusieurs expérimentations ont eu lieu durant le XIXe siècle. Il nous en liste les principales.

  • 1844, il y a tout juste 180 ans, premier essai d’éclairage électrique place de la Concorde. Léon Foucault (le créateur du pendule de Foucault), y a mis sous tension, à partir d’une pile, le premier luminaire de « très grande hauteur » équipé d’une lampe à arc installée sur l’une des statues dominant la place.
  • 1876, le russe Paul Jablochkoff éclaire la place et l’avenue de l’Opéra1. Il y utilise ses « bougies électriques » qui, au plus fort de leur succès, étaient fabriquées au rythme de 8 000 par jour. Mais arrivèrent les lampes incandescentes de Thomas Edison dès 1879…
  • Durant les premières années 1880, l’éclairage électrique progresse à Paris (place de la Bastille, Grands Boulevards, parc Monceau, parc des Buttes-Chaumont). Mais c’est l’Exposition universelle de 1900 qui en a réellement marqué l’avènement. En effet, pour l’Exposition Universelle de 1889, la tour Eiffel a été d’abord illuminée avec 10 000 puis 22 000 becs de gaz. C’est en 1900 que l’ensemble a bénéficié de l’énergie électrique.
  • Toujours en 1900, est inauguré le pont Alexandre III dont les 32 lampadaires de bronze ont directement été éclairés à l’électricité.
  • De 1890 à 1905, naissance et épanouissement de l’Art nouveau avec ses formes arrondies et végétales ayant influencé l’architecture, l’ameublement avec Louis Majorelle et les arts décoratifs, avec Émile Gallé… ainsi que la forme des réverbères et lampadaires.
  • De 1920 à 1930, naissance et épanouissement de l’Art déco dans le domaine de l’architecture avec Charles-Édouard Jean- neret-Gris, dit Le Corbusier, et des arts décoratifs, la forme des réverbères et lampadaires adoptant pour certains ce style géométrique caractérisé par son dépouillement décoratif. Dans le quartier d’Auteuil, à Paris, la rue Robert Mallet-Stevens en témoigne toujours. De même que les lumineuses créations d’Albert Laprade (voir encadré « Le Palais de la Porte dorée »).

L’ÂGE DE LA FONTE

« Les candélabres, crosses et consoles des lu- minaires de style, majoritairement en fonte présentent des décors spécifiques qu’il convient de conserver, de restaurer, d’entretenir. » Cette directive parisienne rappelle la richesse que possède la ville, représentée par son parc de luminaires historiques en fonte d’acier dont l’aventure industrielle remonte à deux siècles, notamment à Sommevoire, au cœur du département de la Haute-Marne, l’un des premiers producteurs de fonte et de fer.

Fin des années 1820, apparaissent les premières productions de fonte d’ornement réalisées par Christophe-François Calla, tandis que Jean-Pierre-Victor André crée, en 1836, la fonderie de Val d’Osne pour répondre aux marchés de rénovation de Paris2. Elle fournit notamment à la ville la fameuse fontaine Wallace, dessinée par le nantais Charles-Auguste Lebourg. En 1859, Antoine Durenne achète la fonderie du Moulin neuf, à Sommevoire, d’où il développe l’aventure de la fonte d’art jusqu’à son décès en 1895. En 1971, après plusieurs vicissitudes, la SAEM Antoine Duvenne et Val d’Osne, créée en 1931, se « fonde » dans la GHM (Générale d’hydraulique et de mécanique).

LE SAVOIR-FAIRE PERDURE

Aujourd’hui, GHM Eclatec (groupe Angora-Makers) poursuit l’art de la fonte avec trois autres principales entreprises. Tout d’abord, le groupe VHM créé, en 1923, par Victor Heinrich, à Molsheim. L’entreprise al sacienne propose des produits associant une efficacité énergétique améliorée et la qualité traditionnelle à des impératifs fonctionnels et esthétiques en constante évolution. Ensuite, créée en 1933 par Léopold Lenzi, la société éponyme a fait en 1953 son entrée dans le secteur de l’éclairage public avec le marché de la rénovation des lanternes de Paris, en lien avec EDF et l’administration des Beaux- Arts. Enfin, l’entreprise familiale Fontes de Paris, fondée en 1985, est également engagée dans la préservation d’un savoir-faire et d’un patrimoine historique tout en le faisant vivre, le développant et en le modernisant grâce aux innovations technologiques. JD

1 En 1883, les 8 000 becs de gaz de l’opéra Garnier, inauguré en 1875, ont été remplacés par un éclairage électrique.

2 À la même époque, Pierre Adolphe Muel, issu d’une famille de maîtres de forges vosgiens, crée les Fonderies de Tusey tandis que, en 1823, trois générations de Ducel (Jacques, Jean-Jacques et Jacques Gustave) dirigeront la fonderie Ducel, en Touraine.


L’AVÈNEMENT DE LA FÉE ÉLECTRICITÉ

Si une œuvre majeure évoque l’avènement de l’électricité, c’est bien celle commandée, par la CPDE (Compagnie parisienne de distribution de l’électricité), à Raoul Dufy, pour l’exposition internationale des arts et techniques organisée, à Paris, en 1937. Pour quel objectif ? Démontrer qu’art et technique ne s’opposent pas. Au contraire, « le beau et l’utile » doivent être indissolublement liés. Dans ce contexte, la composition de 600 mètres carrés de Raoul Dufy met en valeur le rôle de l’électricité dans la vie nationale en dégageant le rôle social de premier plan joué par la lumière électrique. Aujourd’hui admirée dans le Musée d’art Moderne de Paris, en 1937, elle a été découverte dans le hall du Palais de la lumière et de l’électricité édifié par Robert Mallet-Stevens sur le Champ-de-Mars.


LENZI, 350 ANS APRÈS
Il y a plus de trois siècles et demi, Louis XIV ordonne à son lieutenant général de police, Gabriel Nicolas de la Reynie, « la mise en place d’un éclairage des rues, du 1er novembre au 1er mars, réalisé par des lanternes à bougies uniformisées. Le service d’éclairage public est alors véritablement né ! » En 1766, apparaît ainsi la lanterne créée par l’inventeur du réverbère Bourgeois de Châteaublanc1, composée d’une armature, d’un bec à huile et de réflecteurs métalliques « réverbérant » la ou les flammes. Entre 1769 et 1782, environ 1 200 réverbères de ce type ont été installés dans les rues de Paris. « Il s’agit réellement de la premièrelanterne ayant été posée en série dans la ville de Paris », rappelle Antoine Bonneville,président de la société Lenzi qui, aujourd’hui, fabrique toujours cette même lanterne, électrifiée et LEDifiée sous l’appellation Lavoisier.
1 Dominique-François Bourgeois, connu sous l’appellation Bourgeois de Châteaublanc, était un ingénieur mécanicien qui a revendiqué l’invention du canard artificiel de Vaucanson.  

UN MATÉRIAU PRATIQUE

Si la fonte est connue depuis le Moyen Âge, son essor coïncide avec la révolution industrielle et la modernisation urbaine tout d’abord sous l’Empire, ensuite lors de la révolution industrielle. Ce matériau résistant et adapté à la construction, peut, grâce à sa technique de fabrication, le moulage, s’appliquer à une infinité de formes variées. De plus, lors du déploiement de la rénovation haussmannienne, les candélabres fonte ont permis d’y véhiculer des conduits gaz, verticaux et sécurisés. (Source : Cahiers de l’École du Louvre)

© Rocio Perera

L’inauguration du pont Alexandre III, en 1900, marque l’avènement de l’éclairage public directement électrifié avec 32 lampadaires de bronze. Un complexe projet de rétrofit LED est envisagé

ART DÉCO : LA REVUE LUX EN A TÉMOIGNÉ
Au Palais de la Porte Dorée, de nombreux luminaires représentatifs du style Art déco ont été installés dans les espaces de circulation. Dans les années 1920, la recherche sur la lumière devient une préoccupation majeure des architectes et des décorateurs (l’architecte du palais Albert Laprade lui-même travailla autour de cette question, notamment au garage Marbeuf tout près des Champs-Élysées), soucieux d’un éclairage rationnel et confortable et en même temps propice à créer une ambiance. À la même époque, en 1928, la revue LUX voit le jour et, en 1933, est fondé le salon de la Lumière, sous les auspices de la Compagnie parisienne de distri bution d’électricité. La tendance se porte alors vers un éclairage indirect, d’où la mode des vases réflecteurs (la source lumineuse est cachée), des lampadaires à cône renversé (un écho à la fleur de lotus, motif en vogue depuis la nouvelle vague d’égyptomanie qui suit la découverte de la tombe de Toutânkhamon en 1922) ou des appliques, qui projettent une lumière douce sur le plafond ou sur les murs. L’Exposition Coloniale de 1931 fut elle-même l’occasion d’expérimenter de nombreuses solutions d’éclairage artificiel déve loppées pour illuminer les monuments la nuit. (Source : Monument du Palais de la Porte Dorée)

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