Visions croisées de trois maîtres d’ouvrage

PENSER AUTREMENT LA LUMIÈRE

« Comment consommer moins en éclairant mieux ? », s’interroge le CCFL LED (Club des clients finaux de la LED). À partir des retours d’expérience de sa vingtaine de membres, il élabore sa réponse s’appuyant sur une double analyse : physiologique (sensibilité de la vision) et réglementaire (luminance trop peu prise en compte). Celle-ci fera l’objet d’une étude présentée au cours du 1er trimestre 2020. En avant-première, trois maîtres d’ouvrage, membres du Club, répondent à trois mêmes questions : Hélène Leclercq, ingénieur maîtrise d’ouvrage Sanef (Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France) ; Luca Chiadini, ingénieur Produits d’éclairage Alstom et Aurélien Rodon, responsable du pôle Équipements électriques au sein du département infrastructures DIAM/ADP (Groupe ADP).

EN QUOI LA TECHNOLOGIE LED A-T-ELLE MODIFIÉ VOTRE FAÇON DE PENSER LA LUMIÈRE ?

Hélène Leclercq Avant la  technologie LED, nous étions limités au concept d’« éclairer juste » dans le but de réduire notre impact environnemental global (réduction de l’énergie grise avec diminution de la hauteur des mâts, réduction de la pollution lumineuse, optimisation des flux sur les surfaces utiles), tout en restant conforme aux niveaux réglementaires ou normés. Lorsque le rendement des LED a dépassé celui des lampes sodium haute pression (SHP) et puisqu’il offrait un indice de rendu des couleurs supérieur aux SHP, nous avons réalisé, en 2016, une expérimentation au niveau de la gare de péage de la Veuve et de Mourmelon afin de vérifier s’il était possible d’« éclairer moins tout en éclairant mieux ». Le résultat a montré que l’on pouvait diviser par deux les niveaux d’éclairement en LED par rapport à ceux du Sodium. Ainsi, notre vision de l’éclairage a évolué, en se recentrant sur sa fonction, qui est de « voir », approche finalement cohérente avec une démarche d’analyse de la valeur. Des questions se sont posées alors concernant les niveaux d’éclairage prescrits dans les normes : comment serait-il possible de pondérer les niveaux prescrits en tenant compte de la vision réelle et donc de la qualité de la lumière ?

Luca Chiadini Chez Alstom, l’éclairage intérieur des trains était traité comme une « boîte noire ». Le fournisseur d’habillage concevait le système de façon autonome et attribuait une performance. L’arrivée de la technologie LED a bouleversé la manière de concevoir, en introduisant une liberté de géométrie, d’interfaces et de fonctionnalités. Par conséquent, Alstom a réinternalisé cette compétence en la centralisant au niveau mondial au sein du Centre d’excellence intérieurs de Valenciennes.

Aurélien Rodon Alors que la révolution LED reste récente, il est paradoxalement difficile de se remémorer la façon dont les projets d’éclairage étaient alors imaginés et traités ! Dans un premier temps, la démarche a consisté à trouver l’équivalent LED de nos produits en sources classiques. Compte tenu de l’offre particulièrement large (avec souvent une piètre qualité), nous avons rapidement axé les demandes de nos cahiers des charges sur d’autres facteurs techniques liés à la qualité de la lumière plus qu’à la simple quantité (binning, ellipses de McAdam, risques photobiologiques, impact de la gradation sur le facteur de puissance et les harmoniques). Il nous faut maintenant franchir un nouveau cap, en utilisant les propriétés et caractéristiques de la lumière LED en lien avec la vision, pour passer à une nouvelle ère : éclairer moins pour éclairer mieux.

EN FONCTION DE LA SPÉCIFICITÉ DE VOTRE ACTIVITÉ, COMMENT DÉFINISSEZ-VOUS UNE « LUMIÈRE DE QUALITÉ » ?

HL L’indice de rendu des couleurs (IRC) a une grande importance pour tous les secteurs d’activité, celui-ci ne prend pas le rendu de la couleur blanche. Dans notre métier d’autoroutier, cette dernière est essentielle puisque c’est avec elle que sont réalisés les marquages au sol (délimitations des voies, bande d’arrêt d’urgence, zébra…). Nous utilisons également beaucoup de vidéosurveillance, où les reconnaissances de teintes de véhicules sont importantes, et nous disposons aussi d’aires pour lesquelles la reconnaissance des visages importe. En conséquence, pour le secteur autoroutier, la lumière de qualité idéale serait celle assurant un IRC de 80 restituant au mieux la couleur blanche des marquages au sol. Par ailleurs, les barrières de péage pleines voies constituent des obstacles à grande vitesse, l’éclairage idéal est, là aussi, caractérisé par un IRC de 80 en lumière blanche. Mais l’éclairage devrait varier en cas de brouillard, il devrait « passer à une couleur orangée » afin de ne pas créer le phénomène de « mur de brouillard » dû à la diffusion de Rayleigh.

LC Pour Alstom, une lumière de qualité résulte de 3 facteurs : d’abord, un IRC 80, capable de restituer les bonnes couleurs des objets. Ensuite, une température de couleur adéquate au matériel roulant. Par exemple, dans un métro, la lumière doit transmettre un message de propreté et de sécurité, tandis que dans un train grand lignes l’accent porte plutôt sur le confort. Enfin, un flux lumineux adapté, ou, mieux encore, variable en fonction de paramètres extérieurs afin d’améliorer l’expérience passagers. Cette solution fait l’objet d’un brevet déposé par Alstom.

AR Pour les projets menés par le Groupe ADP, la qualité est directement liée à la sécurité, à la sûreté et au confort des passagers et des différents intervenants sur nos plateformes. Cette notion de qualité n’a, finalement, pas été bousculée par l’arrivée de l’éclairage LED : il nous faut toujours éclairer juste et bien, c’est-à-dire permettre à chacun d’effectuer sa tâche sans être gêné.

Depuis  quelques  années,  on   ajoute au critère de qualité l’aspect environnemental en recherchant le meilleur compromis pour éclairer en consommant au plus juste : cette optimisation se fait notamment au travers des systèmes de commande et de gradation.

SELON LE CONCEPT GLOBAL « D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE », LES INSTALLATIONS LED SONT-ELLES RÉELLEMENT ÉCONOMIQUES PAR RAPPORT AUX INSTALLATIONS TRADITIONNELLES ?

HL Avec la technologie LED, nous disposons d’énormes choix de courbes photométriques. Ce qui permet d’installer, sur chaque emplacement, le meilleur couple photométrie/puissance. On parvient alors à réduire, à la fois, coûts de fonctionnement et d’investissement en ciblant la surface à éclairer. Nous avons retenu des luminaires LED à longue durée de vie et faible perte de flux (L90B10 à 100 000 heures), avec drivers et modules LED accessibles et donc remplaçables. Nous rétrofitons également les anciens luminaires sodium en LED lorsque le fabricant le propose. Pour les auvents de péage, le rétrofit permet de diviser par 3 la puissance mise en œuvre, sans changer le câblage. Donc pour nous les installations LED sont réellement économiques en théorie.

Cependant, nous n’avions pas réfléchi à l’impact de la qualité du raccordement électrique sur la durée de vie des plateaux LED… Avec les anciens luminaires à miroir, un presse-étoupe mal serré n’avait aucune conséquence. En revanche, avec les modules LED installés en point bas des luminaires, c’est différent ! Pour preuve, nous avons dû rééquiper quatre projecteurs au bout de 5 ans de fonctionnement au lieu de 25 ans. Nous espérons que ce défaut de pose ne représente qu’un cas isolé, notre parc comptant actuellement un millier de luminaires. Notre prescription va forcément s’étoffer. Ultérieurement, nous sélectionnerons des luminaires avec raccordement en sous-face, et donc presse-étoupe en point bas, afin qu’ils ne présentent pas de risque de non étanchéité. Nous serons alors plus confiants sur la pérennité du parc en place.

LC L’économie est vérifiée ! Nous avons réduit de moitié les consommations électriques par rapport à l’utilisation de tubes fluorescents, ce qui nous a ainsi permis de réduire le volume des batteries dans chaque voiture. Cela est bon pour l’environnement tout en allégeant également nos trains. De plus, grâce aux LED, nous pouvons faire varier l’intensité lumineuse et la couleur afin de transmettre de l’information par la lumière. C’est un plus pour le voyageur, tout en nous permettant, également, de simplifier le design de certains systèmes qui coûtent ainsi moins chers.

AR Il est clair que les efficacités énergétiques ainsi  que  l’augmentation  de la durée de vie des luminaires LED ont un impact très positif. En balisage, alors que le relampage était réalisé tous les 6 mois pour les feux halogènes, le sujet de maintenance ne concerne désormais plus les lampes mais le contrôle commande des équipements. Même constat pour nos installations d’éclairage extérieur, notamment par rapport aux iodures métalliques. En revanche, il n’est pas possible de confirmer aujourd’hui un réel intérêt économique de la LED en termes d’économie circulaire. L’un des points que nous étudions désormais, et qui sera notamment au centre de nos réflexions pour le Terminal 4 de CDG, concernera la maintenabilité des luminaires LED. Nous sommes à ce titre très intéressés par le label d’écoconception « Lighting for Good »1, créé par le groupe LVMH, afin d’analyser la manière dont nous pourrions œuvrer de la même façon pour cet ouvrage colossal.

Propos recueillis par Jacques Darmon

1 Voir LUX 303, septembre-octobre 2019, p. 23 à 37.

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