Dans ce septième billet, Roger Narboni envisage les manières de concilier la présence, nécessaire, de la nature en ville avec l’éclairage nocturne, lui aussi souvent nécessaire. Pourquoi ne pas s’affranchir du « dogme archaïque de l’uniformité » et imaginer de nouvelles ambiances nocturnes?
Le changement climatique en cours, son accélération et la multiplication annoncée des périodes de fortes chaleurs, transforme la nuit en ville, et sa relative fraîcheur, en un territoire à explorer et une ressource à rechercher.
Face à ces transformations inéluctables de nos manières de vivre en ville, des élus affichent dorénavant en France leur volonté d’une végétalisation maximale et parfois exubérante des rues et des places afin d’y créer des îlots de fraîcheur et des zones d’ombrage dans le but affiché d’y abaisser la température diurne.
Renaturer, verdir, sont devenus des leitmotivs que l’on voit apparaître de plus en plus souvent dans les programmes de réaménagement des espaces publics.
Qu’en est-il alors de l’éclairage nocturne ?
On pourrait imaginer que ces nouvelles volontés politiques vertueuses engendrent de nouvelles manières de programmer et de penser l’éclairage public, compte tenu de la démultiplication des plantations aléatoires d’arbres et d’arbustes sur les trottoirs (voire parfois directement sur la chaussée), et de leur densification, qui limitent les possibilités d’implantation des candélabres et interdisent la pose des luminaires en console sur façade. Sans parler des ombres portées des feuillages qui contrecarrent la sacro-sainte uniformité d’éclairement encore trop souvent imposée.
Pourtant, dans un programme récent de réaménagement d’un très grand parvis à Paris, la Préfecture de police impose de « réserver la possibilité d’augmenter le niveau d’éclairement à 20 lux sur l’ensemble des très nombreux espaces piétons », alors même que l’enjeu majeur de ce projet est de planter et de verdir au maximum les surfaces minérales et que la maîtrise des dépenses énergétiques et la préservation de la biodiversité à Paris sont prioritaires…
La renaturation de la ville doit nécessiter de nouvelles manières de penser le rôle de l’éclairage nocturne, sans attendre la mise à jour des normes européennes d’éclairements qui prendra des années avant d’obtenir un consensus sur la prise en compte nécessaire et systématique des enjeux environnementaux et de biodiversité, qui devraient normalement baisser les niveaux lumineux de manière significative.
Il est donc temps d’imaginer le retour dans les villes françaises des luminaires suspendus que de nombreux pays voisins utilisent encore de manière importante. Ils permettent de s’adapter aux nouvelles canopées créées et de produire des ambiances lumineuses, agréables et confortables, si on s’affranchit en tout ou partie du dogme archaïque de l’uniformité.
On peut aussi concevoir autrement l’éclairage des espaces publics, de manière discontinue, en créant, au diapason et en écho aux îlots de fraîcheur, des espaces nocturnes de pause et de rencontre qui jalonnent les rues et proposent des moments de détente et de ressourcement, voir prochainement des offres ponctuelles de chromothérapie ou d’obscurothérapie.
L’arrivée massive de la nature en ville nous offre demain une chance unique de réétudier le profil des rues et de démultiplier les possibilités d’éclairages, en rupture avec la nécessité et la régularité des candélabres qui a façonné durant des siècles l’image diurne et nocturne des villes.
Ce découplage espéré des éclairages des chaussées, par rapport à celui dédié aux piétons, ouvre la voie à des ambiances lumineuses urbaines originales, disruptives et insolites, pour proposer de nouveaux usages nocturnes aux habitants des villes en quête de fraîcheur et de liens sociaux inédits.
Roger Narboni, concepteur lumière