Urbanisme nocturne : l’exemplaire collaboration entre Brest métropole et Noz Breizh

« Accompagner et participer aux évolutions sociétales, technologiques et économiques du territoire breton en lien avec l’urbanisme nocturne », tel est l’objectif de la chaire Noz Breizh à l’Université Bretagne Occidentale (UBO) grâce à l’aide de Brest métropole. Saïg Potard, responsable « Éclairage public, signalisation lumineuse, réseaux de télécommunications » au sein de Brest Métropole et Edna Hernandez Gonzalez, coordinatrice de la chaire Noz Breizh, en résument les premiers travaux.

Pour Brest métropole, le projet Darker Sky permet une approche pluridisciplinaire d’une rénovation d’éclairage public avec la mobilisation de compétences très variées dans les domaines de la recherche : écologie, biodiversité, astronomie, optique, calcul d’éclairement, de niveaux de pollution lumineuse, psychosociologie, urbanisme, législation…

Rappelons que la chaire Noz Breizh (Nuit bretonne) est un consortium scientifique qui a vu le jour en 2022 au sein de l’UBO (Université de Bretagne Occidentale) et dont la création a été permise via l’aide de la Fondation UBO. Ses travaux portant sur l’urbanisme nocturne étudié dans une approche pluridisciplinaire, réunissent des chercheurs académiques, des collectivités (dont Brest métropole), ainsi que des opérateurs économiques du territoire breton.
Sa vocation ? « Produire une recherche spécifique au thème de la nuit », précise Edna Hernandez Gonzalez, coordinatrice de la chaire, en soulignant la variété des sujets traités (aménagement du territoire ; écologie ; infrastructures techniques ; pratiques de la ville…). Noz Breizh est organisée en trois axes de travail ayant vocation à établir un dialogue et à co-concevoir des outils théoriques et pratiques dans une approche interdisciplinaire. En voici le détail.

Axe 1 : Dynamique de la vi(ll)e nocturne

Consacré à l’analyse des pratiques sociales de la ville, la nuit. Ce premier axe de travail porte sur une prise en compte des usages et usager·e·s dans la fabrique de la ville nocturne et dans la gestion de la lumière urbaine. Par ailleurs, une réflexion est également développée autour de l’importance que peut avoir le réseau d’éclairage urbain sur les pratiques nocturnes.
Trois projets de recherche sont développés :

  • « Smart Noz » (2022-2024) a eu pour objectif de comprendre les perceptions et représentations qu’éprouvent les citoyen·ne·s au sujet de la nuit, et cela dans une perspective de sobriété énergétique et lumineuse. Cette recherche se centre sur les rôles que la lumière et la pénombre peuvent jouer sur les activités et les usages nocturnes ainsi que sur l’acceptabilité (ou non) d’une diminution de la luminosité de la lumière artificielle.
  • « Noz Num » (2022-2023), labellisé par la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne, est une étude dont l’objectif est de comprendre les représentations sociales liées à la marche et plus généralement lors des déplacements nocturnes ainsi que l’appropriation de l’espace urbain la nuit. Cette recherche s’est basée sur le vécu et les représentations sociales des femmes qui se déplacent la nuit, ce qu’elles ressentent, ce qu’elles craignent, quand et pourquoi.
  • « Droit à la ville ». Inscrit dans l’axe « dynamiques sociales » de la chaire Noz Breizh, ce projet vise à mieux comprendre comment la ville est vécue la nuit. Des étudiant·e·s du département de Sociologie de l’UBO ont ainsi participé à une enquête portant sur l’acceptabilité sociale de la diminution de l’éclairage urbain dans certains quartiers de la métropole brestoise, supervisé·e·s par une équipe d’enseignant·e·s-chercheur·se·s du LABERS (Laboratoire d’études et de recherche en sociologie). « Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les personnes qui ne se sentent pas en sécurité le soir préfèrent emprunter des rues peu éclairées pour ne pas être vues », considère Edna Hernandez Gonzalez.

Les études entreprises dans cet axe de recherche ont permis à Brest métropole d’appréhender la bonne qualité de la nuit ressentie dans des quartiers prioritaires de la ville. Les travaux de rénovation de l’éclairage public prévus dans ces quartiers ont été adaptés en s’appuyant sur les résultats des enquêtes et questionnaires : identification des zones sous-éclairées et suréclairées par rapport aux usages nocturnes du quartier, adaptation de l’ambiance lumineuse en fonction des retours des habitants. Cela a également abouti, par l’analyse des enquêtes vers les usagers pratiquant des activités vespérales dans les communes de la métropole, à la modification plus appropriée des régimes de fonctionnement initialement issus de la mise en place du plan de sobriété de la métropole en novembre 2022.

Aux abords de la plage de Moulin Blanc à Brest, des capteurs ont été installés, dans le cadre du projet Darker Sky, afin de déterminer notamment la présence d’oiseaux et en conséquence l’impact de l’éclairage sur eux.

Le projet Darker Sky

Depuis avril 2023, plusieurs pays de l’UE considèrent, pour la première fois, la pollution lumineuse dans leur législation nationale, notamment à destination des municipalités et des ports. Ainsi, dans le cadre du projet européen Interreg North Sea (fonds FEDER), dont l’un des quatre axes du programme 2021-2027 vise à « favoriser la résilience climatique, un environnement propre et une riche biodiversité », a été lancé le projet Darker Sky qui poursuit trois objectifs :

  • mettre à la disposition des collectivités des méthodes innovantes de mesure, de suivi et de co-conception pour la mise en place de nouvelles solutions de réduction de la lumière ;
  • favoriser l’échange transnational interdisciplinaire avec les bonnes pratiques et les démonstrateurs phares (techniques et systèmes d’éclairage respectueux de l’environnement sur 8 sites démonstrateurs dans des régions pilotes) ;
  • établir un dialogue entre les autorités publiques locales, régionales et nationales pour développer des plans d’action régionaux concrets et une stratégie transnationale pour l’adoption d’une politique durable en matière de réduction de la lumière à l’échelle de la Mer du Nord.
    Le projet Darker Sky (2023-2026) réunit 13 partenaires, dont Brest métropole et le laboratoire « Géoarchitecture » de l’UBO (Université Bretagne Occidentale), qui est le chef de file, représenté par Sébastien Gallet, maître de conférence en écologie et spécialiste en ingénierie écologique, et par Enora Morin, coordinatrice Darker Sky.

Axe 2 : Ville numérique et éclairage public

L’étude porte sur le rôle de l’éclairage public dans une perspective critique du territoire dit « intelligent », notamment en ce qui concerne l’utilisation des technologies numériques en lien avec le réseau d’éclairage. Grâce au développement technologique, les contrôleurs et les systèmes de communication sont de plus en plus accessibles et utilisés dans la conception des villes intelligentes. Il en va de même pour l’éclairage public et son étude est indispensable pour mieux comprendre son impact sur le comportement humain.
En effet, au cours des dernières décennies, les paysages nocturnes urbains ont été associés à un suréclairage, qui est devenu la norme. Si les systèmes d’éclairage jouent un rôle majeur dans la vie de la ville (sentiment de sécurité, développement d’une économie nocturne et pratiques nocturnes diverses), les impératifs de réduction des consommations d’énergie et de protection de la biodiversité doivent dorénavant être pris en compte lors de la conception de l’éclairage public, sans compromettre le sentiment de sécurité. Sont ainsi traités la simulation d’éclairage en réalité virtuelle, offrant la polyvalence nécessaire pour analyser différents paramètres d’éclairage, et les systèmes de détection de piéton (PDS) déterminant, rapidement, la présence d’un piéton à partir d’une ou plusieurs caméra(s). Pour Brest métropole, un outil développé en réalité virtuelle de visualisation 3D d’un secteur du cœur de ville couplé à une simulation de vision animale a permis, lors de manifestations ouvertes au grand public, à la fois une acculturation sur les ambiances lumineuses et une sensibilisation sur l’impact visuel de la pollution lumineuse sur certaines espèces en fonction des paramètres de l’éclairage.

Axe 3 : Pollution lumineuse et trame noire

Porté par des chercheur·se·s en écologie, biologie et botanique, cet axe de travail se consacre à l’identification de la biodiversité présente sur le territoire et plus particulièrement aux espèces dites « nocturnes », au-delà des espaces phares (chiroptères) très fréquemment étudiées. « La spécificité de cet axe exploratoire porte sur sa transversalité. Il vise ainsi à mettre en place une démarche intégrée entre biologie, urbanisme et aménagement du territoire », explique-t-on. Ainsi, cette coordination a choisi de cibler la pollution lumineuse due à l’éclairage public puisque celui-ci en représente 50 %. Les études permettent de déterminer les premiers seuils d’impact significatifs. En plus du diagnostic, des hypothèses sur l’impact d’une baisse de l’éclairage sont élaborées.

Dans ce contexte, l’an dernier, Xavier Dauvergne, maître de conférences en écologie générale et végétale, a déposé, sous l’égide de l’UBO et de Brest métropole, un dossier de recherche-action autour de la trame noire. « L’objectif principal de notre approche est de produire une modélisation des intensités d’éclairement au sol, à part des données du service éclairage public de Brest métropole. Cette première approche pourrait s’apparenter à des barrières écologiques », conclut-il.

Dans cet axe, Brest métropole peut s’appuyer sur les enseignements d’une approche novatrice de la définition de la trame noire avec un travail cartographique modélisant la visibilité directe des sources lumineuses par les observateurs dans les sous-trames : forêts, prairies, zones humides, en prenant en compte les modèles numériques de terrain et de surfaces. Ces éléments contribuent aux réflexions en cours sur la définition de la trame noire notamment dans le cadre de la révision du PLUi. JD

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