Tribune – Virginie Nicolas, Présidente de l’ACE

14 décembre 2022

Au coeur du débat sur la sobriété énergétique, la flambée des coûts et les économies indispensables qui en découlent, un métier demeure ostensiblement dans l’obscurité : celui de concepteur lumière. Notre métier existe cependant depuis 30 ans et concilie – en permanence – qualité de vie ainsi que respect de l’environnement.

Nous sommes environ 300 acteurs en France qui œuvrons au bien-être des personnes tant dans l’espace public que dans les espaces intérieurs. Notre collectif évolue au quotidien dans l’environnement, sans aucune prise de conscience de notre savoir-faire. Pourtant, nous sommes porteurs d’un manifeste (rédigé en mars 2016) pour des projets d’éclairage raisonnés – ainsi que d’une charte déontologique – et assumons notre indépendance d’esprit, de pratique, de créations et réalisations. Nous ne portons le discours d’aucun lobby, nous ne sommes affiliés à aucun industriel. Nous sommes des artisans de la lumière qui revendiquons la discrétion voire la poésie.

Éteindre avec discernement. Les décisions radicales – prises à titre d’exemplarité – ne sont jamais porteuses de magnanimité, de données techniques étayées par des organismes indépendants. Elles s’accommodent souvent du superflu sans jamais mettre en perspective l’essentiel : le vivre ensemble
la nuit. La maîtrise de la consommation énergétique et la pollution lumineuse ne sont aucunement des sources nouvelles d’éveil des consciences dans notre filière. Depuis des années, nous nous appliquons à réduire drastiquement les nuisances portées aux étoiles, à la faune et la flore, ainsi qu’à l’Homme. La France interdit la mise en œuvre des LED froides (+ de 3.000 K) – véritables sources de pollution lumineuse et des dérèglements associés – ainsi que les éclairages dirigés vers le ciel mais beaucoup de gens semblent ignorer ce décret appliqué depuis 2018.

Insufflez de la nuance dans les mesures – et de la pédagogie dans les propos – nécessite d’interroger les professionnels indépendants – donc légitimes – que nous sommes. Reste qu’il ne faut pas assimiler le concepteur lumière à l’agenceur/aménageur de vitrines ou toutes autres publicités et enseignes
lumineuses, ni le caricaturer en artiste déconnecté du réel.

Sobriété sans austérité. Certaines municipalités s’érigent en dignes modèles de rigueur afin d’apparaître – aux yeux des citoyens/électeurs – comme d’implacables gestionnaires de la lumière et des économies affiliées. Reste que la radicalité devient source de malhonnêteté intellectuelle.
Comparons ce qui peut – et doit – l’être. Ne privons pas les gens du bonheur de s’émerveiller, rêver, s’enthousiasmer. Tout en préservant le ciel nocturne, l’attractivité d’une ville ne doit être ni minimiser, ni mise au ban d’une société en quête de vitalité et de gaité. Rappelons que le concept de trame noire est né – à Rennes – il y a déjà 10 ans. Eteindre l’éclairage urbain – à partir d’une certaine heure – n’est
donc pas une nouveauté.

La perception de notre travail doit se fondre dans l’espace, sans jamais en dénaturer l’essence ou la mémoire. En synergie avec le lieu, l’histoire, l’architecture, le mouvement et le vivant, nous nous adaptons aux usages et nécessités. Nous sommes les inspirateurs/concepteurs de la lumière qui colore une façade d’école, scintille sur le parvis d’une gare, marque un passage piéton ou une piste cyclable, illumine un bâtiment classé, joue avec l’architecture d’un pont ou d’un édifice municipal, file sous les bancs. Tant en extérieur qu’en intérieur, la lumière artificielle s’apprivoise et s’épanouie afin d’émouvoir et de magnifier la vie.

Apprivoiser la nuit. Concilier lumière et obscurité est un art où le juste équilibre oscille entre imaginaire, expertise et tempérance. Quand une levée de boucliers s’abat sur nos créations dites « énergivores » alors qu’elles ne consomment pas plus qu’un réfrigérateur ou une TV à l’échelle d’une
ville de centaines de milliers d’habitants, le sentiment d’injustice pointe et l’incompréhension de toute une profession se fait jour.

Intelligence collective. L’efficacité énergétique, nous la pratiquons depuis des lustres. La technologie LED est mûre depuis 15 ans et son usage est généralisé depuis 10 ans. Le temps de la maîtrise est largement assimilé. En France, le taux d’équipement LED des villes avoisine les 15 à 20%. Renouveler l’ensemble de l’éclairage public prendra 30 ans ! Donc, l’engagement éco-responsable mais surtout le geste efficace, serait de maintenir – dès à présent – l’effort du taux moyen de renouvellement à 3% par an. Mais l’évidence – voire l’urgence – serait d’ores et déjà de réviser certaines normes.

Dans l’Hexagone, les paradoxes sont nombreux. Nous devons nous battre afin de faire évoluer la législation, tant à l’échelle nationale qu’européenne. Les normes ont été rédigées dans un contexte d’abondance énergétique et peuvent inciter à éclairer trop. Ces injonctions normatives – pour certaines contradictoires – sont de vrais freins à consommer moins.

Les économies d’énergie sont concrètement réalisables, si nous nous allégeons de certaines classifications et normes ainsi que si, nous nous régulons quant à notre consommation. Oublions les dogmes et postures, le bien public partagé et le patrimoine commun demandent plus de rigueur, de considérations et d’aspirations. Alors, interrogeons-nous collectivement :
Quelles lumières sont utiles voire indispensables ?

  • Faut-il sacrifier la beauté nocturne des cœurs de villes quand l’efficience énergétique est plus que minime ?
  • Désirons-nous voir l’agora publique nocturne se déplacer dans les centres commerciaux qui – eux – resteront lumineux et attractifs ?
  • Comment ne pas ostraciser le visible donc le lumineux ?
  • Comment ne pas discriminer l’accès à la nuit, sachant que plus de la moitié des travailleurs actifs sont en horaires décalés ?
  • Comment sanctuariser le ciel nocturne et préserver la qualité des échanges et le tissu relationnel ?

Toutes ces questions demandent à être débattues avec respect et sérénité. La prise de conscience de devoir réduire notre empreinte, ainsi que les multiples expérimentations menées actuellement sur le territoire, nous enthousiasment et enrichissent notre réflexion. Faites-nous confiance.

NB I Le métier de concepteur lumière s’appréhende autour de cursus multiples et connexes : ingénieurs, économistes de la santé, diplômés d’écoles d’Art et de Design, diplômés en architecture d’intérieur, diplômés en droit immobilier, droit de la construction…

Naissance de l’ACE en 1995

Virginie Nicolas préside l’association depuis 2018

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