Pour un bon éclairage en milieu professionnel, Dr Christophe Orssaud prescrit…

© Studio de Nooyer
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Dans le nouveau siège social d’Amvest à Amsterdam, signé par l’agence d’architecture Firm, la lumière naturelle joue un rôle primordial. Il faut toutefois veiller à ce que la luminosité ne soit pas une source d’éblouissement et d’inconfort visuel.

Comment définir un « bon » éclairage en milieu professionnel ? Pour l’ophtalmologue Christophe Orssaud, président du collège Santé de l’AFE1, c’est celui permettant d’obtenir une vision satisfaisante pour effectuer toute tâche, sans fatigue notable, sans risque d’altérer l’œil lui-même et sans risque de perturbation des rythmes biologiques. Sans qualité d’éclairage adaptée, quelles conséquences en découlent et comment prévenir les risques des problèmes de santé qui en résultent ?

L’article R 4223-2 du Code du travail stipule que l’éclairage doit éviter la fatigue visuelle et les affections de la vue qui en résultent. Cette formulation, qui semble évidente, reste toutefois peu précise sur plusieurs points. D’une part, il convient de cerner les causes de la fatigue visuelle et de préciser les types d’affections de la vue qui pourraient en résulter. D’autre part, les besoins visuels varient beaucoup en fonction des multiples activités professionnelles et des divers lieux dans lesquels celles-ci sont effectuées. Reconnaissons que le législateur ne pouvait donc évoquer les multiples cas particuliers.

QU’ENTEND-ON PAR FATIGUE VISUELLE ?

La « fatigue visuelle » est définie comme un ensemble de symptômes allant d’une irritation oculaire (sensation d’œil sec, présence de petites croûtes sèches dans les cils, le matin, appelée blépharite), à des épisodes de flou visuel ou de vision double en fin de journée, sans oublier des céphalées. Généralement concrétisées par une barre ressentie au-dessus des yeux, ces céphalées sont parfois plus diffuses. Cette « fatigue visuelle » peut dépendre de causes multiples et s’associer à d’autres types de douleurs, notamment cervico-dorsales. Par ailleurs, évoquons brièvement les facteurs psychologiques liés aux conditions de travail pouvant, par ailleurs, aggraver ces symptômes.

Une part de cette fatigue n’est pas liée à l’éclairage en tant que tel. Elle est due à une inadéquation entre l’éclairage,  les  locaux et l’organisation du poste de travail. C’est notamment le cas d’un poste « accueil / rendez-vous » dont l’écran d’ordinateur est placé de façon optimale par rapport à l’éclairage (artificiel ou naturel). Toutefois, cette implantation impose d’incessants mouvements de rotation pour que l’hôtesse d’accueil, assise, échange avec la personne debout devant elle. De plus, une telle implantation du poste de travail contraint l’œil de  passer  de  la  brillance de l’écran à une ambiance lumineuse plus basse, l’obligeant, en conséquence, à des adaptations permanentes. C’est dire l’importance d’associer les éclairagistes dans la réorganisation de postes de travail pour permettre d’optimiser l’orientation des sources lumineuses.

La qualité de la lumière joue également un grand rôle dans cette « fatigue visuelle ». En effet, le niveau d’éclairement doit être adapté à l’activité réalisée. S’il est trop faible, l’activité réalisée demandera une plus grande concentration générant une sensation de fatigue, pas seulement visuelle mais, aussi, parfois psychologique. Cet éclairage insuffisant, entraînant un risque d’erreurs et/ou d’accidents plus importants, occasionne un état de stress permanent.

© Studio de Nooyer
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ATTENTION AU RISQUE DE FLICKERING

Le flux lumineux nécessaire varie d’une activité à l’autre puisqu’il faut tenir compte de la taille des objets/caractères à analyser, de leur contraste, de la vitesse attendue d’exécution et de l’âge des personnes réalisant ce travail. C’est pourquoi l’AFE (Association française de l’éclairage) a édicté des préconisations en fonction des activités réalisées (voir tableau). Par ailleurs, l’éclairage LED impose, également, de tenir compte de la température de couleur qui, trop froide, peut augmenter sur la fatigue générale en perturbant les rythmes circadiens et la qualité de sommeil. L’éclairage biodynamique ou modulé en fonction de l’heure pourrait pallier cet inconvénient. Mais cette solution présente peu d’intérêt pour des personnes qui cessent de travailler  plus  de  3  heures avant de leur coucher. Concernant l’indice de rendu de couleur (IRC), également à prendre en considération, il est recommandé, pour la plupart des activités professionnelles, qu’il soit supérieur à 80.


L’immeuble de bureaux Amvest répondent à la nouvelle organisation des espaces de travail telle qu’elle se développe aujourd’hui. Elle implique différentes manières d’éclairer, selon les tâches à accomplir et les activités.

Enfin, les sources lumineuses peuvent présenter des phénomènes de papilloements (flickering) en raison de leurs caractéristiques techniques. Ce flickering peut être responsable de phénomènes stroboscopiques, portant sur les objets en mouvement et pour une fréquence comprise entre 80 et 100 Hz, perçus par les bâtonnets de la rétine. Au-delà cette fréquence, seul un très petit nombre de personnes pourraient percevoir ce flickering. Travailler dans un environnement dont l’éclairage est source de papillotement ou d’effet stroboscopique entraîne des céphalées et une fatigue au travail. Ces sensations peuvent également provoquer des crises comitiales (épilepsies) chez des personnes ayant une susceptibilité particulière. Les éclairages de qualité professionnelle provoquent, heureusement, peu de phénomènes de ce type.

ÉVITER L’ÉBLOUISSEMENT

La norme NFX 35103 souligne l’importance de la distribution des luminances et la nécessité d’éviter l’éblouissement. Là encore, cette norme impose aux éclairagistes de tenir compte de l’agencement intérieur, et vice et versa, ainsi que de la nature de la surface sur laquelle est diffusée la lumière, sans oublier les relations entre éclairage naturel et artificiel. L’éblouissement est à la fois une sensation visuelle pénible, due à une exposition lumineuse dont l’intensité dépasse les capacités d’adaptation de l’œil ainsi qu’une gêne visuelle liée à une trop forte luminance. Notons que la notion de « capacité d’adaptation de l’œil » n’est pas constante dans le temps et varie avec l’âge du fait du vieillissement de l’œil. Ainsi, une lumière d’été sera « éblouissante » à la sortie d’un tunnel alors que cette même lumière est parfaitement tolérée quelques minutes après. En revanche, il existe des intensités lumineuses trop élevées qui seront toujours incompatibles avec une adaptation oculaire. Celles-ci sont rares. Un bon exemple est celui des projecteurs éclairant une scène de théâtre ou des phares de voiture. Ces deux aspects de l’éblouissement permettent d’en comprendre les conséquences à la fois sur le confort visuel et la fonction visuelle. Il existe une sensation d’inconfort, parfois de douleur, aboutissant à générer un sentiment de fatigue visuelle et de fatigue globale. Cette fatigue est majorée par le déficit visuel induit. L’éblouissement, en diminuant les contrastes et les couleurs, réduit l’acuité visuelle et la perception du relief. Elle crée également des zones dans lesquelles les objets sont mal perçus, noyés dans une tache blanche lumineuse. Cet éblouissement rend ainsi plus difficile une activité visuelle nécessitant une plus grande concentration. Les conséquences de l’éblouissement peuvent persister après suppression  de  la  cause. En effet, existe une persistance rétinienne pendant plusieurs secondes ou même plusieurs minutes, mettant en jeu la sécurité si l’éblouissement affecte une personne ayant un métier dangereux. Par exemple, les phares automobiles entraînent, la nuit, un éblouissement pouvant persister alors que la voiture, qui venait en sens inverse, vous a déjà croisé.

La prévention de cet éblouissement repose sur une adéquation de la lumière, puisqu’il est difficile d’envisager de s’en protéger par le port de verres teintés dans le milieu professionnel, en dehors de quelques métiers particuliers exposés à des sources très lumineuses (travailleurs de hauts fourneaux, souffleurs de verre…).

LocauxTempérature de couleursEfficacité lumineuse en lumen/wattÉclairement (moyen à maintenir) en luxIndice de rendu des couleurs
Bureaux administratifs2 700 à 3 500100500> 85
Industrie
du vêtement, reprographie
4 000 à 4 50010050090
Ateliers de précision3 000 à 6 50010075090
Locaux industriels (à préciser…)3 000 à 6 500105> 200> 85
Locaux de stockage2 000 à 3 00050 à 15015030 à 60
Vestiaires3 500 à 4 50020080
Zones de circulation intérieures3 500 à 4 50010050 à 80
Escaliers intérieurs3 500 à 4 50015050 à 80

ENQUÊTE « ÉCLAIRÉE » AUPRÈS DES USAGERS

Le projet de recherche européen

« Repro Light », visant à aider l’industrie européenne de l’éclairage à évoluer vers un avenir plus durable et plus compétitif, a mené, en 2018, une étude portant sur un échantillon représentatif de 1 100 employés européens. Elle a mis en évidence l’impact de l’éclairage sur leur environnement et les conditions de travail :

  • l’éclairage a une influence sur la vigilance, 87 % des personnes interrogées estimant qu’il affecte leur performance ;
  • 85 % jugent que l’éclairage peut impacter leur humeur sur leur lieu de travail ;
  • 80 % souhaitent que l’éclairage de leur poste de travail s’adapte automatiquement à leurs besoins et 75 % d’entre eux qu’il change de couleur quand il fait nuit ;
  • 58 % aimeraient un meilleur éclairage de leur lieu de travail, en particulier les femmes et les employés de plus de 50 ans.

ATTENTION AUX FORTES LUMIÈRES

Les véritables pathologies ophtalmologiques, liées à une mauvaise qualité d’éclairage ou à un éblouissement, deviennent rares de nos jours. Les lésions rétiniennes ou cristalliniennes sont le fait de l’utilisation d’intensités lumineuses particulièrement forte (tel qu’un laser) et non de l’éclairage professionnel. Il faut mettre à part les photo-traumatismes liés à l’observation d’une éclipse sans port de protection adéquate. Par contre, des fortes lumières, y compris liées à un phénomène de réverbération sur l’eau ou sur la neige, peuvent créer une atteinte cornéenne (c’est la classique ophtalmie des neiges ou le coup d’arc électrique). Ces lésions cornéennes, causées par des lumières généralement sources d’éblouissement modéré, cicatrisent sans séquelles en quelques heures.

Par ailleurs, même si une lumière bleue intense présente, chez l’animal, un effet photo toxique sur la rétine, il faut, chez l’homme, une longue exposition à une lumière se projetant directement dans l’œil pour que surviennent des anomalies rétiniennes. On pourrait éventuellement évoquer un risque de dégénérescence maculaire chez des personnes travaillant en plein soleil en permanence. Mais, dans ce cas, on sort du domaine de l’éclairage…

Enfin, terminons avec les troubles de l’oculomotricité, au premier rang desquels il faut citer l’insuffisance de convergence. Pouvant être considérée comme une fatigabilité lors du maintien d’une vision de près ou à mi-distance (ordinateur) il ne s’agit pas réellement d’une pathologie, ce trouble fréquent étant par ailleurs parfaitement rééducable.

1 Christophe Orssaud est responsable de l’UF d’ophtalmologie, CRMR Ophtara, HEGP/GH Paris-Centre/AP-HP

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