Lumières parisiennes : une histoire personnelle mouvementée ?

Ma première aventure lumière à Paris a eu lieu au début de 1989, lorsque je fus invité officiellement au concours pour la mise en lumière de la cathédrale Notre-Dame, concours gagné ex aequo avec l’équipe de l’architecte italien Italo Rota. Après des études contestées, le projet fut finalement réalisé avec des livraisons successives en 2002 pour la façade ouest, en 2005 pour le flanc sud et enfin en 2008 pour le flanc nord. Une première illumination en blanc chaud 3 000 K, encore unique à l’époque, et la mise en valeur des statues de la cathédrale, grâce à des générateurs de lumière et des fibres optiques. C’est là que j’ai découvert la complexité de notre travail lorsqu’on s’attaque à un monument religieux de cette importance. Mais quelle fierté pour toutes les équipes qui ont travaillé sur ce magnifique projet d’avoir réussi ce pari et inscrit la silhouette de Notre-Dame dans le paysage nocturne parisien, même si aujourd’hui et après l’incendie, tout est à refaire.

Dès 1990, nous étudions pour Paris le premier Schéma directeur d’aménagement lumière (SDAL) pour l’île de la Cité, et ensuite les SDAL des ponts du Paris de l’axe historique, des Champs-Élysées, de la ZAC Paris Rive Gauche, de la couronne parisienne, de la ZAC Clichy-Batignolles et du quartier Beaugrenelle. Des études longues, complexes, rarement appliquées, à part par nous-mêmes, lors de nos missions de maîtrise d’œuvre, et totalement ignorées des élus parisiens, même si certains ont encore récemment émis des vœux au Conseil de Paris pour l’étude d’un SDAL global de la ville, jamais vraiment lancé.

Paris, ce furent aussi des rencontres avec des gens passionnants et passionnés, mais aussi des projets abandonnés (le paysage nocturne des berges de la Seine, le dessous des ponts). Et trop souvent, une indifférence constante et continue des politiques à la nuit, à la lumière urbaine et aux ambiances nocturnes (sauf pour se préoccuper de la fête parisienne et des nuisances nocturnes qu’elle entraîne).

Paris, a été également pour l’agence Concepto l’occasion de réaliser des mises en lumière événementielles enfin colorées : la façade ouest du Grand Palais en bleu lors de l’exposition France Télécom en 1987, les Tours de la Liberté au Jardin des Tuileries en 1989, les ponts de Paris lors du classement en 1992 des berges de la Seine comme patrimoine mondial de l’Unesco. Et puis bien sûr des réalisations pérennes emblématiques comme la mise en lumière en 1991 du boulevard Richard-Lenoir et la mise en valeur des oculi sur le canal avec la toute première installation dans l’espace public parisien de générateurs de lumière et de fibres optiques.

Et aussi le tramway des Maréchaux, de la porte des Lilas à la porte de la Chapelle, où conformément à nos prescriptions du SDAL de la couronne parisienne nous avons orné les portes de Paris de verticales lumineuses colorées et fait enfin la part belle aux ambiances lumineuses piétonnes sur les liaisons Paris-banlieue. Le Paris nocturne c’est aussi pour nous une expérimentation étonnante de chronobiologie et de lumières colorées programmées sur les rythmes humains dans la rue Robert-de-Flers, située sous la dalle du Front de Seine dans le 15e arrondissement.

En 2011, nous remportons avec Evesa, le dialogue compétitif pour le MPE (NDLR, marché à performance énergétique) et nous imaginons la Carte lumière qui inverse la vision muséale et patrimoniale des illuminations parisiennes, pour privilégier enfin la nuit une vingtaine d’équipements municipaux parisiens contemporains du quotidien (crèches, écoles, collèges, gymnases, piscines, espaces culturels) et créer des ambiances nocturnes de proximité dans des places de quartiers. Une Carte lumière là encore totalement ignorée de la Mairie centrale mais soutenue par les services techniques, les élus d’arrondissement et les directeurs des établissements (avec une diminution significative de la consommation électrique pour ces réalisations qui fonctionnent sur des horaires adaptés aux usages, très loin du dogme habituel des illuminations à Paris).

Et enfin, un regard résolument tourné vers le futur avec des propositions pour le Paris nocturne de 2053, qui pourrait enfin faire la part belle à la nuit et à l’obscurité, avec des mises en lumière virtuelles et interactives. Et le souhait et l’espoir d’étudier enfin une trame noire, parisienne et francilienne, pour équilibrer les ambiances lumineuses, prendre en compte les besoins et les usages nocturnes de toutes et tous, sans se préoccuper uniquement des corridors écologiques.

Roger Narboni, concepteur lumière

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