CIE FRANCE
C’est une évidence ! L’éclairage du XXIe siècle doit répondre aux besoins des usagers dans leurs environnements en s’appuyant sur les nouvelles connaissances des systèmes visuel et non visuel, sur les opportunités qu’offrent les nouvelles technologies, et, aussi, sur l’impact des innovations sur l’usager. En effet, l’éclairage peut avoir des effets bénéfiques mais aussi négatifs sur l’usager et son organisme. Aussi, est-il de la responsabilité de tous les acteurs du domaine de l’utiliser à bon escient. Des experts de CIE France (voir encadré), dont son président, Gaël Obein, apportent leur expertise prospective.
La volonté de réduction de la consommation d’énergie et l’utilisation de nouvelles technologies ne doivent pas se faire au détriment de l’usager aussi bien du point de vue des effets visuels que des impacts sur sa santé et son humeur. » Pour Gaël Obein, cette évidence, quelque peu « négligée », impose, dès aujourd’hui, aux concepteurs d’installations d’éclairage de relever plusieurs défis. À savoir, proposer des solutions associant au mieux les possibilités offertes par les nouvelles sources et les nouvelles connaissances des fonctions visuelles et non visuelles, pour garantir une bonne vision, du confort et du bien-être. Le déploiement des nouvelles technologies de gestion et pilotage, de télécommunications et d’éclairage dynamique représente autant de moyens d’optimiser l’éclairage en limitant les consommations d’énergie tout en produisant des ambiances lumineuses adaptées à l’usager et à son environnement. « Les LED, par la possibilité qu’elles offrent de moduler le spectre et la distribution spatiale des intensités lumineuses, vont permettre d’éclairer autrement », poursuit-il en rappelant les principaux fondamentaux.
REMERCIEMENTS
Merci aux experts de CIE-France pour avoir rédigé cet article coordonné par Céline Villa, chercheur IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux ingénieur chercheur en éclairage et visibilité).
Gaël Obein, président de CIE-France, maître de conférences et responsable amont du pôle photonique au LNE-CNAM, Coralie Barrau, chercheur en optique et photobiologie, R & D Lumières & Vision Essilor et Céline Villa se sont chargés de l’introduction, tandis que Coralie Barrau et Sophie Jost, chercheur enseignant ENTPE (École de l’aménagement durable des territoires) ont apporté leur expertise « vision et santé » et que Yannick Sutter, président du Collège lumière naturelle de l’AFE, enseignant chercheur à l’École nationale supérieure d’architecture de Normandie (ENSA), et gérant du BE Lumibien, a apporté son expertise en éclairage intérieur.
En éclairage intérieur, l’utilisation de la lumière naturelle, couvrant à la fois nos besoins en matière de vision et d’activation des fonctions biologiques, doit toujours être préférée à celle de la lumière artificielle. Le déploiement des systèmes de pilotage de l’éclairage artificiel, en fonction de la lumière naturelle disponible, permettant de limiter les consommations d’énergie, reste donc indispensable.
Ci-contre, bibliothèque et learning center du campus universitaire de Luminy à Marseille par Rémy Marciano Architecte.
LES DERNIÈRES AVANCÉES
L’évolution des connaissances en matière de vision et, en particulier, la détermination des sensibilités spectrales des photorécepteurs visuels de l’œil (les 3 cônes et les bâtonnets) ont tout d’abord permis de déterminer une colorimétrie « fondamentale » basée sur ces photorécepteurs1 et une photométrie plus précise dépendant des conditions d’illumination (notamment la photométrie mésopique)2. « Cette nouvelle colorimétrie, qui a l’avantage d’être ajustable en fonction de l’âge de l’observateur et de son champ de vision, permettra, dans le futur, d’être plus adaptée aux usagers et à l’usage », estime Sophie Jost. Une autre avancée concerne l’évaluation de l’indice du rendu des couleurs (IRC). En effet, l’arrivée des LED, et de leurs nouvelles distributions spectrales, a mis en évidence les faiblesses de cet indice3 et, en particulier, son désaccord avec la perception visuelle. Les recherches portant sur le sujet ont pointé deux problèmes :
- le premier était l’imprécision de l’évaluation de l’apparence des couleurs. Ce problème est résolu avec le nouvel indice de fidélité4 ;
- le second est la non prise en compte de l’importance des autres aspects de qualité de couleur (discrimination, aspect naturel, augmentation de la saturation, préférence…). Sur ce deuxième point, des recherches sont en cours pour déterminer les paramètres pertinents pour une métrique prédictive de la perception de la qualité de la couleur.
Enfin, lors de la construction d’une ambiance lumineuse, l’inconfort produit par les sources est une notion de la plus grande importance. Comme pour l’IRC, l’arrivée des LED et de leur très grande hétérogénéité en luminance, a révélé les lacunes de l’UGR à caractériser l’inconfort. Aussi, la CIE va prochainement statuer sur une nouvelle formulation de l’éblouissement d’inconfort, adaptée aux luminaires uniformes et non uniformes. À noter que, en extérieur, aucun modèle n’est employé pour limiter les éblouissements d’inconfort. La CIE soutient les recherches dans ce domaine, pour permettre une meilleure caractérisation de l’éblouissement, afin de comprendre les mécanismes physiologiques et psychologiques sous-jacents et développer un modèle d’éblouissement d’inconfort performant pour toutes les applications (éclairage de bureaux, d’installations sportives, routier, tunnels, urbain…) et valable quel que soit l’éclairage, artificiel ou naturel.
LA CIE POUR QUOI FAIRE ?
La Commission internationale de l’éclairage (CIE) est un forum de discussions et d’échanges d’informations portant sur les aspects relatifs à la lumière et l’éclairage. Elle traite les sujets de la couleur et de la vision, de la mesure de la lumière, de l’art de l’éclairage intérieur et extérieur, de la photobiologie et de la technologie des images. Elle maintient à jour et à niveau le vocabulaire international de l’éclairage. Avec de solides bases techniques, scientifiques et culturelles, c’est une organisation indépendante, à but non lucratif, qui sert les pays membres sur la base du volontariat. Depuis sa création, en 1913, elle a été acceptée comme autorité référente sur le sujet. En tant que telle, elle est reconnue par l’ISO comme un organisme international de normalisation, publiant des normes fondamentales et des procédures. Aujourd’hui, grâce au forum qu’elle anime entre les chercheurs, qu’ils soient psycho-physiciens, physiologistes, métrologues, éclairagistes, psychologues, producteurs de lumière ou d’instruments de mesure, la CIE nourrit cette révolution, en proposant de nouvelles métriques et méthodes de mesures, développées, débattues et validées dans un cadre prénormatif par des panels d’experts mondiaux et indépendants.
FAITES ENTRER LA LUMIÈRE NATURELLE
« Au-delà de son importance pour la vision, la lumière est le principal synchroniseur de notre horloge biologique, rappelle Coraline Barrau, cette connaissance s’étant singulièrement affinée depuis une quinzaine d’années. » On sait maintenant que c’est la lumière bleu-vert (autour de 480 nm), présente en grande quantité à l’extérieur, qui excite notre cinquième photorécepteur rétinien, non visuel, les cellules ganglionnaires à mélanopsine5. Ces cellules photosensibles envoient des signaux vers des aires non visuelles du cerveau conférant ainsi à la lumière le rôle de puissant stimulant physiologique et psychologique. Reçue en journée, la lumière améliore la vigilance, l’humeur et le bien-être tout en augmentant la productivité et les capacités d’apprentissage. À l’inverse, reçue en soirée, même aux faibles niveaux d’émission des écrans et des éclairages artificiels domestiques, elle retarde la production de l’hormone de la nuit, la mélatonine. La lumière, le soir, contribue ainsi à dégrader la qualité et l’efficacité de sommeil, en particulier chez les enfants et les jeunes adultes, plus sensibles6.
« En moyenne, nous manquons de lumière le matin et en recevons trop le soir quand notre nuit biologique devrait démarrer », poursuit Gaël Obein. Nos durées d’exposition lumineuse augmentent et rognent sur le temps passé au noir, sans pour autant que nous recevions une dose journalière suffisante. Les Européens passeraient en effet en moyenne 90 % de leur temps en intérieur selon l’OMS7. « Par conséquent, on ne peut que recommander de passer plus de temps en extérieur en journée pour recevoir la lumière dont nous manquons tant et favoriser les entrées de lumière naturelle dans les bâtiments », conseille-t-il.
L’ÉCLAIRAGE DE DEMAIN EN ÉQUATION
En matière d’éclairage artificiel, les effets sur notre organisme sont fonction de sa composition spectrale, de la durée et du moment d’exposition, de la quantité de lumière reçue ainsi que de l’historique d’exposition. Les effets non visuels de la lumière ne peuvent être caractérisés par la photométrie visuelle. Ils font intervenir un nouveau photorécepteur et nécessitent donc l’utilisation de nouvelles grandeurs et fonctions de sensibilité spectrale (en particulier le spectre d’action de la mélanopsine), récemment référencées par la CIE8. « Nous n’en sommes qu’aux prémices, la recherche avançant en affinant la compréhension des mécanismes. La santé et le bien-être font désormais partie de l’équation que s’apprête à résoudre l’éclairage de demain », conclut Gaël Obein, en considérant, toutefois, que si les solutions d’éclairage adaptatif se développent de plus en plus. « Nous ne connaissons pas l’impact des adaptations temporelles de l’éclairage sur les usagers ; des retours d’expérience et des recherches plus en amont sont requises. » À suivre donc…
1 CIE 015 : 2018 Colorimetry, 4th Edition.
2 CIE 191 : 2010 Recommended System for Mesopic Photometry Based on Visual Performance.
3 CIE 013.3-1995 Method of Measuring and Specifying Colour Rendering Properties of Light Sources.
4 CIE 177 : 2007 Colour Rendering of White LED Light Sources.
5 Lucas et al., 2014, Trends Neuroscience. “Measuring and using light in the melanopsin age”.
6 Figueiro, Overington, 2015, Lighting Research Technology. “Self-luminous devices and melatonin suppression in adolescents”.
7 OMS 2013 Combined or multiple exposure to health stressors in indoor built environments.
8 CIE S026/E : 2018 System for metrology of optical radiation for ipRGC-influenced responses to light.