L’air et la lumière

Aujourd’hui, le sujet de l’éclairage ne se limite plus à la technologie seule. La lumière naturelle a regagné ses lettres de noblesse au point que certains prix récompensent au niveau mondial les mises en lumières les plus méritantes1. En son temps, l’ingénieur Jean Prouvé avait, avec la maison « tropicale », fait la démonstration d’une architecture subtilement éclairée. Découverte d’une rescapée au cœur de la Friche de l’Escalette à Marseille, exposant jusqu’à la fin de l’été un bungalow du Cameroun.

© C. Baraja / E. Touchaleaume. Archives Galerie 54 / Paris 2019
© C. Baraja / E. Touchaleaume. Archives Galerie 54 / Paris 2019
© C. Baraja / E. Touchaleaume. Archives Galerie 54 / Paris 2019

Eric Touchaleaume se définit comme un « chasseur de mobilier de Prouvé en Afrique et de Corbusier à Chandigarh ». Depuis 2016, avec son fils Elliot, le galeriste et marchand d’art ouvre aux visiteurs curieux de friches industrielles, férus d’art et d’architecture le site de l’Escalette, ancienne usine de plomb et d’argent située en lisière du parc des Calanques, désaffectée depuis 1925. C’est dès l’entrée du site surplombée par des murs de pierre tous décoiffés de leur toiture que s’exposent deux maisons Prouvé, devenues si rares et recherchées alors qu’elles avaient en leur temps été produites industriellement en grande quantité, puis mises au rebus. Habitat d’urgence après la Seconde Guerre mondiale ou logements adaptés à la vie sous les Tropiques, leur conception révèle l’ingéniosité de l’ingénieur nancéen et une attention à la lumière.

UN CONCENTRÉ D’INVENTIVITÉ

Pour chacun des types de maisons pensés pour le continent africain, Jean Prouvé met en œuvre, avec très peu de moyens, des principes d’architecture bioclimatique résultant d’une observation attentive des constructions vernaculaires. Pour le bungalow du Cameroun présenté à l’Escalette comme pour les autres projets tropicaux, il a recours à des matériaux locaux comme le bois et l’aluminium. Sous de telles latitudes, l’enjeu premier est de se protéger du rayonnement solaire. Se replier chez soi, s’enfermer est une solution pour échapper à la chaleur, mais implique une perte d’apport de lumière naturelle. Pour éviter cet effet de boîte sombre et procurer, par là même, une ventilation naturelle, il utilise l’aluminium produit en abondance dans ce pays. Jean Prouvé reprend ici, en 1957, le module qui composait déjà les façades coulissantes mis en œuvre pour la maison dite « tropicale » dont le prototype conçu pour le climat de l’Afrique sub-saharienne date, quant à lui, de 1951. En collaboration avec l’agence d’architecture Atelier LWD, il réinvente le brise-soleil sous la forme de modules en tôle d’aluminium légèrement ondulée qui réfléchit les radiations infrarouges. Les apports caloriques sont maîtrisées et en même temps, des trous ménagés sur leur partie horizontale laissent entrer l’air et la lumière.

Lucie Cluzan

www.friche-escalette.com

1 Parmi les 17 prix remis lors des Lighting Awards organisés par la revue britannique Lighting, le « Daylight Project of the Year » récompense des réalisations « définies par leur utilisation imaginative et innovante de la lumière naturelle ».


À gauche.

À la nuit tombée, l’illumination intérieure du bungalow du Cameroun en fait une boîte opaque, qui laisse filer la lumière par reflet et au travers du peu d’ouvertures ménagées afin de se protéger de la chaleur.


À droite.

Pour apporter une luminosité naturelle à l’intérieur ces préfabriqués utilisés comme salles de classe ou destinés au logement des instituteurs en brousse, de petites ouvertures dans les portes coulissantes.


Ce croquis d’étudiant extrait de Jean Prouvé. Cours du CNAM 1957-1970 (Pierre Mardaga Éditeur, 1990) en révèle le principe.

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