Depuis mai 2018, Nicolas Martin, Lighting manager de LVMH, œuvre à la réunion de plusieurs fournisseurs, pourtant concurrents, au développement d’un projet portant sur la conception de luminaires éco-responsables et réparables… tout en étant performants. Avec la conceptrice lumière Tiphaine Treins, le programme Lighting for Good a alors été lancé, concrétisé par le concept Everbulb anticipant l’application, au 1er septembre 2021, de la directive portant sur l’économie circulaire. Nicolas Martin nous le présente, en confiant que « ce concept peut, prochainement, devenir une marque et, qui sait, à terme un standard ».
Quel problème pose actuellement la conception des éclairages LED ?
Nicolas Martin Après les avancées de la LED blanche dans les années 1990, surtout dues aux travaux des prix Nobel de Physique 2014, nous avons vu apparaître des ampoules LED vers 2005. Mais ce n’est qu’en 2010 que la qualité de la lumière est devenue acceptable, une ampoule LED ayant alors atteint un flux comparable à une ampoule fluorescente, pour les faisceaux larges. Cette technologie est ainsi devenue une belle solution pour réduire les consommations d’énergie. De plus, la durée de vie d’environ 3 ans (à qualité de lumière tolérable) dépassait largement celle des halogènes ou des iodures.
En 2012, sont apparus des COB (Chip on Board) qui réunissent plusieurs puces bleues sous un phosphore unique. Plus de puissance par unité de surface, qu’avec les SMD (surface mounted diode), a ainsi été obtenue. Cette technologie a permis aux fabricants de luminaires d’intégrer directement la LED dans un luminaire équipé d’un réflecteur ou d’une lentille. Depuis environ 8 ans c’est ce que nous achetons en majorité. De tels luminaires, garantis 5 ans, montent de plus en plus en efficacité tout en apportant une belle qualité de lumière adaptée à l’éclairage architectural.
Mais quel est à présent le problème ? Quel constat avons- nous tiré, en 2017, avec Tiphaine Treins, lors de la création de Lighting for Good ? En fait, ces spots à base de COB ou de high power LED sont parfaits pour économiser l’énergie, mais, en fin de vie, il faut en jeter la totalité ! C’est très bien pour les fabricants, mais quel est le bilan écologique de tout cela ? Certes, nous assumons le fait de créer des DEEE, en payant une écotaxe pour les recycler. Mais pourquoi ne pas se reposer la question de la conception même des appareils ? C’est ce que nous avons fait, en partant de la mesure des impacts écologiques de l’éclairage. Très vite, il est apparu que l’efficacité n’est pas le seul critère ; il faut parler de maintenabilité pour pouvoir réduire efficacement les déchets.
La Commission Européenne nous y invite fortement, dans la directive sur l’économie circulaire No 2019/2020 du 1er octobre 2019 intitulée « Ecodesign requirements for light sources and separate control gears », (applicable à partir du 1er septembre 2021). Oui, il faudra abandonner le design avec les COB, pour revenir au modèle de l’ampoule remplaçable aisément, c’est-à-dire sans outil, par le client final.
Everbulb, au format normalisé dans un cylindre, se fixe par baïonnette. Son ampoule aura un diamètre de 35 mm pour 70 de long, avec un maximum de 10 W de puissance, soit au moins 1 000 lumens.
INNOVER SANS ÊTRE MASQUÉ
Notons l’originalité de la démarche menée par Nicolas et Tiphaine consistant à annoncer un concept innovant et de l’ouvrir en open source libre d’exploitation…
« Cette nouvelle approche devant, souhaite le lighting manager, conduire à des bénéfices concrets. » Souvenons-nous, il y a encore quelques années, tout entrepreneur aurait caché une telle innovation jusqu’à son lancement, ajoutant un standard aux standards existants, chacun valorisant le sien. Ce qui, au niveau du développement durable, « représente le pire des résultats sociétaux », selon Nicolas Martin.
Avec Tiphaine Treins, nous souhaitons créer une association avec les fabricants déjà engagés et d’autres à venir.
Nicolas Martin
Quel est le risque écologique de revenir à des ampoules LED ?
NM Assurer la séparabilité de la source LED du « containing product » permet de ne pas jeter 500 grammes de métal et autres matériaux au bout de 5 ans, tout en allant vers toujours plus d’ampoules « consommables ». En France, l’entreprise Ecosystem (ex-ESR-Recylum) assure déjà le recyclage de plus de 5 000 tonnes d’ampoules (chiffre 2019). Allons-nous rapidement doubler ce chiffre, en appliquant au pied de la lettre la demande de la Commission Européenne ? Avec Everbulb, la réponse est non ! En complément de la mission d’Ecosystem, le business model devrait, dès la conception des produits, intégrer leur récupération par les fabricants eux-mêmes.
Avec une douzaine de fabricants, le modèle économique a donc été repensé en prenant comme hypothèse de départ que le producteur gère lui-même cette économie circulaire que nous appelons de tous nos vœux. Aucune ampoule ne doit être jetée, recyclée en copeaux, ni même détruite. Le concept Everbulb sous-entend que les ampoules tournent pour toujours. Imaginez un format normalisé dans un cylindre, avec une fixation par baïonnette. Au dos, 4 connecteurs pour autoriser des moteurs LED à deux ou trois canaux qui devraient apparaître d’ici à 2023. L’ampoule aura un diamètre de 35 mm pour 70 de long, avec un maximum de 10 W de puissance. Soit au moins 1 000 lumens.
Concernant le crucial refroidissement, seront conçus, à partir du concept Everbulb, des luminaires labellisés non seulement mécaniquement mais aussi thermiquement. En effet, la puissance de 10 W produit de la chaleur devant traverser le « containing product », sinon la durée de vie d’Everbulb se limiterait à 2-3 ans, comme il y a 10 ans pour les ampoules. Au contraire, nous allons concevoir des systèmes durables dans le premier sens du terme.
Chaque fabricant de ces ampoules suit le cahier des charges, enregistre les paramètres de son ou ses produits(s) dans une base de données unique et y associe un QR Code. L’objectif est triple. Les caractéristiques à communiquer à l’alimentation par l’installateur sont enregistrées dans cette base, cela évite ainsi d’ajouter de la mémoire dans l’ampoule. Deuxièmement, on détectera plus facilement la contrefaçon, ce qui protège l’utilisateur de produits dangereux. Troisièmement, on organise une bonne traçabilité, en cas de défaillances sur une série, ou pour contrôler le nombre d’Everbulb qui « tournent » dans chaque région du monde.
Diriez-vous avoir trouvé la bonne équation économique pour accélérer le projet ?
NM On peut inventer tous les labels que l’on souhaite et tous les meilleurs règlements, s’il n’y a pas de win-win situation, le projet va lentement mourir. Une bonne idée dans l’intérêt de toutes les parties, représente donc la prochaine étape.
Propos recueillis par JD
EVERBULB EN QUATRE BÉNÉFICES Pour le client final, il garantit plus de transparence au niveau des performances et une plus grande flexibilité. On peut garder le même luminaire, et changer de lumière au gré des envies, ou des changements d’espaces. En isolant le « moteur LED », ses caractéristiques sont mises en concurrence. Nous n’évaluons plus ainsi un ensemble complet, mais on achète séparément de la lumière. Si elle ne convient pas/plus, on en change. Dans ce contexte, l’innovation se porte sur cette composante essentielle qu’est « le moteur », et non uniquement sur l’esthétique de l’appareil. Pour le fabricant, il représente l’occasion de proposer de nouveaux services. Le prix des appareils ayant tellement chuté depuis 5 ans, les fabricants doivent retrouver de la valeur ajoutée tangible pour le client. Ce modèle des « capsules de lumière » ressemble aux capsules de café permettant d’inventer de nouveaux services autour d’Everbulb. Peut ainsi être développé un nouvel état d’esprit privilégiant moins l’obsolescence programmée et plus dans la durabilité. Ainsi, pourquoi pas, chaque appareil pourrait durer 50 ans et même être un peu plus coûteux riche de cette promesse. Pour l’installateur ou l’agenceur, Everbulb est comparable à une ampoule intelligente alimentée par un driver associé à Bluetooth. Car, derrière le QR Code, il devient possible d’envoyer sur l’appli de l’électricien les paramètres que le driver devra exécuter. À partir de ce concept de « isolumen after maintenance », l’électricien, en charge de la performance énergétique, peut maintenant proposer une nouvelle Everbulb, mais sans changer le concept d’éclairage. « Les mêmes lumens pour moins d’énergie consommée. N’est-ce pas le but recherché ? » Enfin, pour la planète, « la nature devenant de plus en plus partie prenante », Everbulb tient la promesse de ne pas puiser plus de ressources que nécessaire tout en diminuant les déchets. La logistique souhaitée consiste à récupérer des cartons d’ampoules, générant moins d’impact transport, afin de les rénover en les équipant d’un nouveau composant et peut-être d’une autre lentille, tout ce qui peut resservir étant par ailleurs reconditionné. « Les déchets représentent des gisements de la valeur seulement s’ils sont standards et tous compatibles. |