Regain d’intérêt pour une alternative à l’éclairage raccordé

ÉCLAIRAGE SOLAIRE URBAIN

L’éclairage public solaire en France est estimé à moins de 1 % du parc existant. Un chiffre qui paraît insignifiant, peut-être, mais le secteur progresse et intéresse de plus en plus de maîtres d’ouvrage. Longtemps cantonnés aux sites isolés, les lampadaires solaires s’invitent aujourd’hui en zones urbaines où ils viennent parfois concurrencer l’éclairage raccordé au réseau. Les arguments en leur faveur ont de quoi séduire, mais attention, ces systèmes ont des limites applicatives et sont plus techniques qu’il n’y paraît.

C’est un marché encore émergent en France où la bonne couverture du réseau électrique, le coût de l’énergie relativement bas, la densité du parc d’éclairage public existant et les freins sectoriels ne jouent pas en faveur du développement de l’éclairage solaire urbain. Pour autant, cette alternative à l’éclairage public raccordé au réseau intéresse aujourd’hui de plus en plus de maîtres d’ouvrage et d’architectes. Facile et rapide à mettre en œuvre, ne nécessitant pas de coûteux travaux de voirie, fonctionnant avec une énergie gratuite, porteur d’une image « verte » qui s’inscrit bien dans une démarche écoresponsable, l’éclairage solaire autonome a de sérieux atouts à faire valoir… Encore faut-il gagner la confiance des décideurs. Exposant au Salon des maires 2018, Laurent Viard, de Triddent (distributeur en France de la marque Leadsun), en témoigne : « Nous avons vu un grand nombre de représentants de collectivités venir sur notre stand, intéressés par ce type de solution mais n’osant pas s’engager. Les contre-références, résultats de promesses non tenues avec des solutions inappropriées, ont jeté le discrédit sur cette technologie et dégradé l’image du secteur. Nous bataillons pour, à la fois, nous positionner sur ce marché qui attire de plus en plus de décideurs, et prouver que les produits sont de qualité et dignes de confiance. »

© Sunna Design
© Sunna Design

De grands fabricants du secteur de l’éclairage se sont appuyés sur le savoir-faire de spécialistes du solaire, comme à Saint-Laurent du Médoc où les luminaires autonomes de ce parking ont été fabriqués par Thorn et Sunna Design. Ces partenariats rassurent les décideurs qui n’ont pas toujours suffisamment confiance pour s’engager dans l’éclairage solaire.

GARANTIR L’ÉCLAIRAGE 365 NUITS PAR AN
Pour l’image « verte » du solaire, la vétusté du réseau électrique et la gêne qu’auraient occasionné les travaux sur une zone très fréquentée, la Caisse d’allocations familiales de Calais (62) a choisi l’éclairage solaire pour son parking.
En 2015, Fonroche a installé cinq lampadaires LED solaires de 6 m de haut, certains équipés d’une double tête d’éclairage. Les panneaux, inclinés à 20°, ont une puissance de 190 Wc, les batteries NiMH de Saft, au-delà de leur capacité à résister aux températures élevées (le froid notamment pour la zone de Calais), ont aussi l’avantage de s’affranchir d’un convertisseur dc/dc qui, par principe, consomme entre 7 et 10 % d’énergie d’une installation.
© Fonroche
© Fonroche
Le choix de Fonroche a été de gérer l’énergie pour une disponibilité de service garantie 365 jours par an, sans faire appel à un système de détection de présence, trop complexe à gérer avec ce type d’installation, selon Éric Tolot, responsable commercial France, chez Fonroche. Les modules LED de 60 W sont allumés toute la nuit, à une puissance de 50 W seulement pour assurer une meilleure gestion énergétique dans la durée. Le flux (environ 8 000 lm) est réduit à 20 % entre 20 heures et 7 heures du matin, période où les salariés de l’entreprise ne sont pas présents.
La batterie ne se décharge jamais en dessous de 30 % pour pouvoir assurer l’éclairage si la météo est défavorable pendant plusieurs jours et ne permet pas une recharge suffisante, ce qui fait dire à Éric Tolot que la disponibilité de service chaque jour de l’année
en éclairage solaire est parfaitement gérable dans des zones géographiques où le rayonnement solaire n’est pas idéal. Et plus sûrement aujourd’hui encore, insiste-t-il, parce que la technologie a beaucoup évolué depuis 2015.

DE MULTIPLES APPLICATIONS

De fait, les projets d’éclairage public solaire en zones urbaines en France sont encore très modestes, et se limitent à quelques points lumineux, voire un seul point lumineux, mais la tendance gagne du terrain : parking, « voie douce » (allées de parcs et jardins, pistes cyclables, voies d’accès à un espace sportif…), nouveau rond-point en zone périurbaine, aire de covoiturage ou encore zone industrielle… Les lampadaires solaires s’invitent également dans les zones résidentielles pour l’éclairage des voies de circulation et des parkings, ce qui permet aux architectes d’apporter une touche « verte » à un projet immobilier.

« Le lampadaire solaire répond aussi à un besoin de lumière très local, complète Laurent Viard, en permettant l’ajout d’un point lumineux où rien n’avait été prévu initialement. Et il y a, qu’on le veuille ou non, une demande de certaines communes qui voient, avec l’éclairage solaire autonome, une solution à moindre coût pour rénover leur éclairage public, en particulier lorsque le réseau électrique est vétuste, ou pour éviter le coût de l’enfouissement des lignes. »

ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE SALUTAIRE

Selon Olivier Carré, président d’Amarenco, « le secteur progresse en France entre 10 et 20 % par an et – bon signal pour le secteur qui cherche à rassurer les maîtres d’ouvrage avec des offres qualitatives – de grands fabricants, comme Thorn, Comatelec et Ragni, se sont engagés dans la voie en s’appuyant sur le savoir-faire de spécialistes du solaire ».

Les raisons de ce développement et le regain d’intérêt pour ces solutions sont multiples : la LED, qui appelle moins de puissance, le stockage sur des batteries plus performantes, et surtout l’intelligence embarquée qui permet d’optimiser les installations (au niveau de l’éclairage et de la gestion de la batterie) et de respecter les contraintes des normes d’éclairage public. « On a longtemps reproché à l’éclairage solaire de ne pas être communicant, pointe Olivier Carré. Aujourd’hui, avec Sigfox notamment, on peut communiquer en mode bidirectionnel et être en capacité de suivre les installations, de les réguler, d’intervenir à distance… L’éclairage solaire a su se hisser au niveau de l’éclairage raccordé en termes de services et l’on peut regretter qu’il ne soit pas suffisamment envisagé dans les projets d’éclairage public. Trop d’appels d’offres oublient cette alternative alors que certaines solutions solaires sont plus intéressantes que l’éclairage raccordé au réseau.

Parallèlement à l’évolution technologique, le choix de lampadaires solaires s’est étoffé, « la plupart du temps, les panneaux solaires sont séparés du luminaire, notamment parce que l’orientation vers la voirie et le rayonnement solaire ne coïncident pas, note Laurent Viard. Mais des solutions “tout en un” se sont développées ; ces produits ont des lignes plus esthétiques qui les prédestinent à l’éclairage en zones urbaines où ils apportent une touche écologique et moderne qui plaît aux élus. »


© Novea

ÉVITER LE COÛT DU GÉNIE CIVIL ET DU RACCORDEMENT

C’est un chemin piéton qui relie un lotissement au centre-bourg de Loigné- sur-Mayenne (53). La mairie a fait le choix de l’éclairage solaire autonome pour éviter le coût des travaux de génie civil, du raccordement au réseau électrique et de la mise en place d’une armoire d’éclairage public. Ce passage est désormais éclairé par quatre lampadaires solaires Novea qui intègrent un système de détection de présence pour ne fournir la lumière que lorsque nécessaire. Ils ont été dimensionnés pour éclairer deux heures cumulées par nuit avec une veille à 5 %. La maintenance reste très limitée : les batteries lithium premium ont une durée de vie de 20 ans et les panneaux solaires de 60 Wc sont inclinés à 65° et dits « autonettoyants ». Maîtrise d’ouvrage suivie et financée par le syndicat Territoire Énergie Mayenne. Installation réalisée par Spie Laval.

PRÉCONISATIONS À DESTINATION DES MAÎTRES D’OUVRAGE
Deux guides pratiques, à paraître cette année, seront particulièrement utiles aux maîtres d’ouvrage :

Guide pratique – Lampadaires solaires
Cette brochure, surtout orientée sur l’éclairage solaire pour les territoires fortement ensoleillés, a été réalisée par un groupe de travail rassemblant des industriels, des ONG et des institutionnels ; un groupe animé par l’Institut national de l’énergie solaire (Ines). En cinq chapitres, ce document aborde :
– l’évaluation des besoins et l’analyse économique ;
– la rédaction d’un appel d’offres et l’évaluation des réponses ;
– les phases installation et maintenance ;
– les critères d’évaluation du projet et la mesure des impacts.

Éclairage extérieur autonome De Bruno Lafitte (Ademe) et Paul Verny (Cerema). L’objectif de ce document bien détaillé techniquement est de mettre à disposition des collectivités une photographie la plus exhaustive possible et en toute objectivité des avantages et inconvénients des systèmes d’éclairage solaire autonomes, des performances que l’on peut raisonnablement en attendre. L’étude intègre également un chapitre d’aide à la décision s’appuyant d’une part sur une analyse financière et d’autre part sur des critères de pertinence technique croisant les technologies disponibles, la typologie de l’espace public concerné et les objectifs en termes d’éclairage nocturne (puissance, durée) ainsi que les capacités de production d’énergie fonction de l’irradiation journalière du site.

RÉGULATION INDISPENSABLE

Mais « il faut être réaliste, prévient Thomas Samuel, de Sunna Design, ces systèmes reposent sur l’ensoleillement et donc sur une énergie intermittente non maîtrisable, or la notion de disponibilité de service est absolument fondamentale. En France, au nord de la Loire, ne pas voir le soleil pendant plusieurs jours n’est pas rare. Même avec des LED et un surdimensionnement des panneaux, il faut que les décideurs soient conscients qu’il n’est pas possible de faire fonctionner un éclairage solaire avec un taux de disponibilité de l’éclairage à 100 % ». Il est indispensable d’avoir des systèmes de gestion qui vont grader la lumière, de la détection de présence pour éclairer au plus juste et uniquement lorsque nécessaire, des contrôleurs intégrés qui vont, par des paramétrages basés sur des statistiques météo, réguler la charge de la batterie et donc sa durée de vie. Le coût de ces luminaires est alors deux fois plus élevé – aux alentours de 4 000 € – comparé à des solutions simples. « Un luminaire avec un taux de disponibilité de service de 97 % peut suffire pour certaines applications, comme l’éclairage d’un parking, l’entrée d’une crèche…, auquel cas le luminaire sera beaucoup moins cher, précise Thomas Samuel, mais au-dessus de 97 %, chaque point gagné renchérit très nettement le prix du luminaire et l’équation économique doit être bien calculée. »

© Solamaz
© Solamaz
© Triddent
© Triddent

La valeur « verte » de l’éclairage solaire s’inscrit bien dans les espaces où la nature est très présente, comme ce complexe sportif éclairé par des luminaires Triddent (à droite), mais aussi cet immeuble résidentiel (à gauche) dont l’éclairage autonome Solamaz installé sur le parking donne une valeur ajoutée à l’ensemble immobilier.


L’ÉQUATION ÉCONOMIQUE IMPOSSIBLE

Ces fabricants sont unanimes : la transparence sur les capacités d’une solution à répondre aux besoins doit être exigée par les maîtres d’ouvrage, notamment pour ce qui concerne l’autonomie où l’on voit, d’un fabricant à l’autre, des écarts parfois très importants. Des solutions hybrides permettent d’assurer cette continuité de service en faisant appel à l’énergie du réseau si besoin ; de quoi rassurer les décideurs. « Dans ce cas, la question de l’intérêt économique doit être posée, souligne le dirigeant de Sunna Design qui met en garde les décideurs sur la réinjection du surplus de production d’énergie. C’est un argument souvent avancé pour promouvoir l’hybride, mais il faut savoir que le surplus d’énergie reste extrêmement limité au regard de la taille des panneaux des lampadaires solaires. » Chez Novéa Énergie, Julien Rapin le confirme : « C’est économiquement impossible à amortir du fait que l’on additionne des composants coûteux : batterie pour l’autonomie, micro-onduleur pour la réinjection et organe de gestion pour gérer ces deux éléments. »

VIGILANCE TECHNIQUE EN AMONT

In fine, au-delà de la question de l’ensoleillement, de nombreux aspects techniques doivent être scrupuleusement étudiés : le module LED, les types de panneaux, la batterie, le contrôleur… Il faudra bien sûr s’interroger sur la maintenance, le remplacement des composants, le recyclage… S’assurer que le luminaire respectera bien les nouvelles contraintes imposées par l’arrêté sur les nuisances dues à la lumière, publié en décembre dernier, pour ne pas avoir à le changer en janvier prochain… Si le choix de produits de marque reste toujours plus sécurisant, il s’agit ici comme pour toute autre application d’éclairage, de trouver le meilleur compromis entre différents paramètres. Et attention à la stratégie de « name dropping », selon laquelle certains vendeurs mettent des noms de marques réputées sur des produits en réalité peu qualitatifs ; la qualité d’un lampadaire solaire est principalement dans la mécanique, la batterie, l’intelligence et la photométrie.

À noter que deux guides vont être publiés (voir encadré ci-dessus) pour aider les maîtres d’ouvrage à aborder ce domaine. Une certitude : la technologie évolue constamment et l’éclairage solaire va gagner encore en intérêt et en capacités applicatives.

Pascale Renou

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