Une problématique de santé publique

MODULATION TEMPORELLE DE LA LUMIÈRE ARTIFICIELLE

La lumière naturelle varie en couleur et en intensité tout au long de la journée au gré des nuages, des rayons du soleil… Si les effets visuels qui en résultent peuvent être agréables, il en va tout autrement avec l’éclairage artificiel où les variations lumineuses peuvent provoquer une gêne visuelle aux effets insidieux.

Au Printemps des lumières, Christophe Martinsons, du CSTB, a décrypté ce phénomène qui devrait être mieux pris en compte dans le prochain règlement européen d’écoconception.

Les variations de la lumière artificielle sont parfois agréables, à l’instar des lampes LED qui imitent l’instabilité de la flamme d’une bougie. Mais, en dehors des modulations lumineuses délibérément créées pour obtenir un effet particulier, l’éclairage artificiel instable est difficile à supporter ; ses effets délétères sur l’homme sont même avérés.

C’est ce que l’on appelle « la modulation temporelle de la lumière », autrement dit : des variations lumineuses dans le temps. Ce phénomène physique est principalement dû au courant électrique alternatif : la lumière augmente et diminue, voire s’éteint au rythme des alternances de la sinusoïde de manière plus ou moins perceptible. La mauvaise qualité du réseau électrique, des surtensions ou encore des perturbations électromagnétiques peuvent également en être la cause.

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La LED est sensible à la modulation temporelle de la lumière dont on sait aujourd’hui les effets négatifs sur l’homme. Des solutions existent pour s’en prémunir, encore faut-il agir sur l’ensemble de l’installation (driver, conditions de fonctionnement, en particulier le mode de gradation) et pas uniquement sur la source.

UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE À APPRÉHENDER

En 2016, la Commission internationale de l’éclairage (CIE) a redéfini tout le vocabulaire relatif à ce phénomène, caractérisé cette modulation et expliqué ses effets sur l’homme. Ainsi, la notion de « pourcentage de modulation », que certains connaissent davantage sous le terme « pourcentage de flicker » (ce terme n’est plus utilisé car trop restrictif). Cette métrique est associée à la « profondeur de modulation » qui mesure le niveau de la variation : la lampe s’éteint-elle totalement ou partiellement ? Si elle s’allume et s’éteint à intervalles réguliers, on parle alors d’une profondeur de modulation de 100 %, ce qui est encore le cas pour beaucoup de solutions d’éclairage LED.

Lors de son intervention au Printemps des lumières, Christophe Martinsons, responsable de la division Éclairage et Champs électromagnétiques au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), a reconnu que la notion même de fréquence de modulation n’est pas évidente à saisir. « Une fréquence fondamentale est chose classique, mais dans bon nombre de cas, notamment avec l’éclairage LED, on peut avoir tout un spectre de fréquences qui se superposent ; difficile alors de parler d’une fréquence et de la caractériser. D’autant plus que les phénomènes aléatoires (surtensions, interférences…) viennent modifier le signal et le complexifier. »

LES SYSTÈMES LED PLUS SENSIBLES QUE LES SOURCES TRADITIONNELLES

S’ajoutent les problèmes liés à la gradation de l’éclairage. « Ces systèmes ne sont pas toujours compatibles avec les LED qu’ils pilotent, a souligné l’expert du CSTB. Ce sont des variateurs à découpage de phase qui rendent la forme de l’onde très complexe, décorrélée du cycle normal du courant alternatif. On a, par exemple, une lampe qui reste plus longtemps allumée qu’éteinte, ou inversement. Ce rapport cyclique, bien connu des fabricants qui utilisent le mode PWM (modulation de la largeur d’impulsion) pour la gradation de l’éclairage, présente un risque de papillotement particulièrement visible lorsque le niveau de gradation est très bas. »

Si les sources d’éclairage à incandescence et les dernières générations de sources fluorescentes ne présentaient pas ou peu ce problème, il en va tout autrement avec les LED, a pointé Christophe Martinsons : « Certaines lampes LED sont parfaitement stables quand d’autres ont une modulation temporelle anormalement élevée, bien au-delà des sources traditionnelles qu’elles remplacent. 43 % des lampes testées lors des études1 présentent une modulation supérieure aux lampes halogènes et fluocompactes, et cette diversité est un réel problème parce que le risque est indétectable au moment de l’achat ; aucune réglementation ni marquage ne permettent de faire une distinction entre les produits. »2

DES EFFETS VISUELS PLUS OU MOINS PERCEPTIBLES

Le problème majeur de la modulation temporelle est qu’elle provoque des effets perturbants pour l’homme ; notamment des effets visibles, que la CIE a classés en trois catégories : le papillotement ou flicker, l’effet stroboscopique et l’effet de réseau fantôme. Le flicker est l’effet visible le plus connu : nous sommes éclairés par des lampes dont la lumière nous semble clignoter. « L’œil n’est pas sensible au papillotement à toutes les fréquences, a expliqué Christophe Martinsons, il existe “une fréquence critique de fusion” qui se situe autour de 70 Hz ; à ce niveau, l’œil est incapable de discerner le papillotement, mais le cerveau le perçoit. »

L’effet stroboscopique est quant à lui visible en situation de mouvement. C’est, par exemple, le mouvement rapide d’une machine tournante devant une source de lumière ; l’objet interfère avec la lumière, son mouvement nous apparaît alors décomposé et ralenti. Pour les mouvements du corps, cet effet, parfois volontairement créé (en scénographie), est maximal autour de 100 Hz, ce qui est critique pour l’éclairage artificiel – en France, la plupart des appareils d’éclairage présentent une modulation à cette fréquence –, et va à l’encontre des principes d’ergonomie visuelle. Le troisième effet visible, moins connu parce que très peu documenté, est l’effet de réseau fantôme. Ce phénomène intervient en situation de mouvement, lorsque l’œil balaie le champ visuel de gauche à droite par saccades (typiquement, les trajectoires oculaires d’une personne au volant de sa voiture). Le cerveau ne retient que ce que l’œil a vu de chaque côté ; il efface les images intermédiaires. L’effet de réseau fantôme va les restituer par des images « flottantes » qui vont perturber le champ visuel.

Forme de l’onde d’une lampe LED Ces deux graphiques montrent la grande variabilité dans la technologie LED. En haut, la lumière est très stable, il n’y a pas de modulation temporelle détectable ; En bas, la lumière est fortement modulée.

Il y a un lien avéré entre l’accidentologie en milieu industriel et l’effet stroboscopique qui se produit lorsque le mouvement rapide d’un objet ou d’une machine apparaît décomposé et ralenti du fait de son interférence avec la source d’éclairage.


UN RAPPORT DE TESTS À PARAÎTRE

Piséo a mené récemment des tests sur le sujet de la modulation temporelle de la lumière sur des lampes LED actuellement commercialisées, en s’intéressant particulièrement à la qualité des architectures électroniques de ces produits. Les résultats, analyses et conclusions sont en cours de rédaction pour une publication dans les semaines à venir.

ENCADREMENT NORMATIF ET RÉGLEMENTAIRE
Depuis 2015, le corpus législatif et normatif s’est étoffé de nouvelles normes et de deux indices, mais reste globalement très dispersé. Au niveau international, l’IEC (International Electrotechnical Commission) a créé l’indice « Pst lm » pour mesurer les seuils de perception du papillotement (il ne couvre pas les autres effets comme l’effet stroboscopique). Dans la norme NF EN 61000-3-3 (norme CEM) qui intègre cet indice, la limite est fixée à une valeur ≤ 1.Aux États-Unis, la norme IEEE 1789 de 2015 définit des zones d’absence de risque ou de risque faible pour ce qui concerne tous les effets connus de la modulation temporelle, mais les valeurs fixées, très protectrices pour éviter tout risque, ne font pas l’unanimité. En Europe, la CIE et l’IEC ont mis en place l’indice SVM (Stroboscopic effect Visibility Measure) pour mesurer l’effet stroboscopique. La valeur 1 correspond à un effet stroboscopique perçu par un observateur moyen avec une probabilité de 50 %.En France, le Code du travail, dans son article 4223-8, met en garde contre les phénomènes de modulation de la lumière qui « ne doivent pas être perceptibles ni provoquer d’effet stroboscopique ». Mais il ne mentionne aucune valeur limite. Quant à l’effet de réseau fantôme, particulièrement important pour le secteur automobile, aucun texte n’existe à ce jour, faute de données scientifiques. Dans le nouveau rapport que l’Anses* a publié mi-mai sur les LED, l’Agence pose de nouvelles exigences et donne des recommandations qui devraient faire partie de la prochaine réglementation sur la conception des appareils d’éclairage, dont l’entrée en vigueur est prévue en 2021.  
* Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.  

Sur ce schéma, les points rouges correspondent au taux de modulation des lampes halogènes. Les points à 10 % de modulation temporelle résultent de l’usage d’un convertisseur statique ou ferromagnétique. Les points verts représentent l’éclairage fluorescent dont la modulation temporelle est globalement de 10%.

Les points noirs correspondent à l’éclairage LED : certains sont à zéro (pas de modulation, lumière très stable) quand d’autres sont à 100 % (modulation très importante), preuve d’une technologie très dispersée.

DES EFFETS SUR L’HOMME AVÉRÉS ET SUSPECTÉS

On sait aujourd’hui que ces effets visibles ont un impact négatif sur les personnes exposées : le papillotement peut provoquer de l’inconfort visuel, une fatigue oculaire, des maux de tête voire, chez certains sujets sensibles, des crises d’épilepsie. L’accidentologie liée à l’effet stroboscopique est également avérée, notamment en milieu industriel. S’ajoute des effets biologiques mis en évidence à travers des études scientifiques, a poursuivi l’expert du CSTB : « Sous un éclairage avec une modulation temporelle à 120 Hz, il a été démontré que la lecture sur papier ou sur écran est perturbée ; le mouvement de l’œil n’est pas fluide mais saccadé. Cette perturbation reste totalement inconsciente pour la personne exposée ; elle ne va donc pas attribuer sa difficulté de lecture à l’éclairage. Ce phénomène a été particulièrement mis en évidence avec les anciens tubes fluorescents (T12) à ballast ferromagnétique dont la modulation temporelle pouvait atteindre 30 à 40 % à la fréquence de 100 Hz. Les performances visuelles étaient mauvaises, posant de facto la problématique de l’apprentissage à l’école. »

Enfin, certaines publications faisant suite à des tests laissent penser que la modulation temporelle provoquerait également des troubles de la concentration, de l’humeur, une aggravation des comportements autistiques… mais ces effets ne sont pas scientifiquement prouvés.

Aussi la corrélation entre le spectre et la modulation temporelle doit-elle être plus amplement étudiée et un encadrement normatif plus précis mis en place afin de mieux appréhender cette problématique de la modulation temporelle devenue, avec l’éclairage LED, un sujet de santé publique.

Notons pour conclure que si la LED, et plus globalement le système d’éclairage électronique (driver, conditions de fonctionnement, en particulier le mode de gradation), est particulièrement sensible à ces phénomènes et si des solutions existent pour se prémunir de ces effets délétères, encore faut-il agir sur l’ensemble de l’installation et pas uniquement sur la source, ce qui n’est pas le moindre des défis à relever. À l’heure où beaucoup ne parlent plus que de smart lighting, de services « en plus » de l’éclairage, il y a d’évidence encore à faire en matière de qualité de la lumière.

Pascale Renou

1 Mesure de lampes grand public effectuée entre 2012 et 2017 par le CSTB et le LAPLACE en France, et Public Health England au Royaume-Uni.

2 Le label Certiled, qui valide après contrôle les caractéristiques annoncées sur les fiches techniques des produits d’éclairage, intègre dans son référentiel l’indice Pst lm ce qui permet aux fabricants qui en font la démarche d’afficher des valeurs de papillotement fiables. Cependant, il n’inclut pas la vérification de la visibilité des effets stroboscopiques et des autres indices associés aux effets biologiques.

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