“ Nous devons ouvrir nos champs de compétences”
– La 3ème génération des concepteurs et conceptrices lumière représente la “relève”. De quels horizons provient-elle et quelle est, aujourd’hui, son approche professionnelle sociale et technique?
Vincent Thiesson: Je dirais qu’il s’agit d’une génération déterminée. Cette génération est née bercée par les enjeux environnementaux. Elle est également particulièrement sensible aux injustices ou aux sujets d’inclusivité. Cela influence leur vision des projets et leur implication dans le métier lui-même. Leur prise de conscience est évidente tant dans l’appréhension des impacts des projets lumière sur la planète que dans le choix même des projets, comme par exemple refuser les projets impliquant des déplacements par avion. La jeune génération est sensible à l’aspect collaboratif des projets que ce soit au sein des agences ou par leur implication dans les concertations auprès des usagers.
Cette génération est donc politiquement et socialement éveillée. Comme le prouvent les résultats du « Prix de l’Imaginaire » que l’ACE a proposé à l’occasion de ses 30 ans et pour accompagner son « Livre Blanc de la Conception Lumière en 20255 ». Les propositions sont étonnantes. Il apparaît une dimension créative indéniable teintée d’une approche à la fois sociétale et environnementale qui alterne entre générosité, pessimiste, ou un ultra réalisme déconcertant.
Pour finir, la nouvelle génération se projette dans une autre manière d’appréhender le travail tout simplement. Ils mettent une frontière claire et nette entre vie privée et vie professionnelle. Ce qui est sain. Mais comment répondre à cette demande quand, par nature, notre métier dépend énormément de nos partenaires en termes de plannings, qu’il est inévitable de parcourir la ville de nuit donc plus tard que les horaires de bureaux habituelles et qui plus est, aux quatre coins de la France et à l’étranger. Cela peut rapidement devenir un casse-tête pour les dirigeant.e.s d’agences.
Notre souhait, au sein du bureau de l’ACE est que les jeunes soient plus actifs et visibles au travers de l’association. Nous vivons un formidable élan via les nouvelles adhésions que nous recevons. Et nous souhaitons leur donner la parole plus largement. Ce sont eux qui seront aux manettes très rapidement, au cœur des futures agences de conception lumière mais aussi dans l’ensemble de la filière.
– L’essentiel des concepteurs et conceptrices lumière interviennent principalement en éclairage extérieur. Pourquoi l’éclairage intérieur, notamment au niveau du tertiaire, reste-t-il “négligé”?
Vincent Thiesson. Il n’est pas négligé, et les projets d’éclairage intérieur conçus par des concepteurs lumière tendent à se développer. Je reconnais que ce type de projet est plus difficile d’accès pour les concepteurs lumière, par la structuration même des équipes de maîtrise d’œuvre et par les « zones d’influences » des autres partenaires comme les bureaux d’étude ou même les fabricants. Ceci est particulièrement vrai dans les projets tertiaires.
Le projet lumière intérieur répond avant tout à des partis pris d’architecture, ce qui est bien compréhensible et donc induit souvent une réponse avant tout technique. Mais les enjeux actuels des éclairages intérieurs, au-delà des économies d’énergie et l’optimisation des consommations via les synthèses de contrôles dynamiques, se déplacent vers des caractéristiques de bien-être, d’ergonomie tout en gardant la dimension scénographique. Nous devons sensibiliser les maîtrises d’ouvrage à ces enjeux. Par ces approches, les Concepteurs Lumière ont une vraie valeur ajoutée à apporter aux projets d’éclairage intérieur à construire avec les architectes, les scénographes, les bureaux d’études environnementaux.
Plus spécifiquement pour le tertiaire, une autre caractéristique est à surveiller : les mutations des lieux de travail. Le développement du télétravail, l’évolution des ambiances de bureaux vers des environnements beaucoup plus conviviaux et domestiques induit des pratiques de ces espaces plus souples, adaptables et polyvalentes. La lumière doit évoluer également. Et le concepteur lumière va apporter les réponses esthétiques et techniques appropriées.
– La conception lumière se féminise ! Cette évolution influence-t-elle une nouvelle créativité au niveau des projets ?
Vincent Thiesson On ne parle plus de « féminisation » de notre métier, il est déjà largement féminin et c’est un bonheur ! Au sein de l’ACE nous sommes clairement dans la parité homme/femme pour l’ensemble de nos adhérents. Et cela est bien normal : depuis maintenant plus de 30 ans les écoles d’architecture, de paysage, de design d’espace, se sont largement féminisées. Nos interlocuteurs (maîtrises d’œuvre, maîtrises d’ouvrage) se sont également féminisées. Je pense que nous (le domaine de l’architecture, de la ville et du paysage) bénéficions d’un environnement privilégié sur cette thématique et sommes en avance sur la société en général. Beaucoup d’agence de Conception Lumière sont dirigées par des femmes. Et toute la chaîne, filière de l’éclairage, jusqu’aux entreprises installatrices se féminise.
Et j’ai du mal à répondre à la question de créativité au regard du genre. Je n’ai jamais, personnellement, regardé mon interlocuteur.rice en fonction de son genre, origine ou sexualité. J’ai l’impression que nous travaillons dans un domaine qui est très ouvert, et les réponses que nous apportons collectivement, Conceptrices et Concepteurs lumière, sont diversifiées, sensibles, professionnelles.
– Se développe rapidement l’I.A.. Comment réagit ta profession face à ce challenge ?
Vincent Thiesson Quand nous avons lancé l’idée d’étudier l’IA dans le cadre des Rencards de l’ACEtylène, on ne savait pas vraiment où nous allions. Nous avons beaucoup appris pendant cette journée au travers des différents intervenants. Cela nous a rassuré même s’il reste beaucoup d’interrogations sur les droits d’auteur, la protection intellectuelle, la protection des données.
En un an la montée en puissance de l’IA dans nos métiers et dans nos vies personnelles est évidente. C’est un nouvel outil qui nous fait gagner énormément de temps tant pour la recherche d’informations, l’analyse de documents, la production d’images. Les tâches répétitives vont progressivement disparaître tant dans nos process de production de projet que dans la gestion de nos entreprises. Mais l’on se rend compte que l’IH, l’intelligence humaine, est indispensable à la fin pour éviter un appauvrissement de nos réflexions et créations.
Il me semble que deux gros chantiers sont à l’horizon : sera-t-il possible de créer des IA génératives privées qui répondent aux besoin des agences de conception lumière afin de capitaliser les savoirs faire sans les mettre à disposition de la terre entière ? Comment se prémunir des dérives potentielles de cette nouvelle facilité de production de projets et comment identifier un projet purement IA, que j’appellerais le « projet Data », d’un projet où l’humain reste aux commandes et apporte une sensibilité et une créativité ?
L’ACE doit rester vigilante et attentive à l’évolution de ce nouvel outil pour qu’il facilite nos manières de travailler tout en garantissant la protection et la durabilité de la valeur ajoutée apportée par les Concepteurs Lumière dans les projets.
– Merci de projeter l’évolution de ton métier, et de ses technologies associées dont les numériques, non sur 30 ans mais sur les 10 années à venir?
Vincent Thiesson Allons-nous assister à une mutation de notre métier ? Je le pense. En 10 ans nous allons devoir ouvrir nos champs de compétences pour intégrer dans nos réponses créatives et esthétiques des sujets transversaux complémentaires. Nous sommes à la croisée de beaucoup d’évolutions : évolutions sociétales, évolution de notre manière de vivre les villes, de vivre les campagnes, évolutions urbaines face à transition énergétique, évolution des mobilités, évolution de notre rapport à la nuit et l’obscurité, évolution pour des solutions techniques bas carbone de nos projets. Et évidemment l’urgence à apporter des solutions durables à tous les projets d’éclairage pour répondre à l’urgence du dérèglement climatique. Tous ces sujets sont et doivent rester des sources d’inspirations pour des projets d’éclairage toujours aussi créatifs et pertinents.
Autant de sujets qui influencent les projets d’éclairage tant extérieurs qu’intérieurs, tant publics que privés collectifs ou domestiques.
Autant de sujets que nous allons aborder lors des Rencards de l’ACEtylène le 27 novembre prochain. Autant de sujets qui vont influencer les pratiques de notre métier et qui sont le cœur du « Livre Blanc de la conception lumière » à découvrir là encore le 27 novembre.