Végétalisation des villes et éclairage : une subtile harmonie

Ces six dernières décennies ont vu évoluer le statut de la végétation en ville, notamment celui des arbres condamnés sur l’autel du tout automobile. L’urgence climatique et l’évolution des mobilités rebat les cartes de sa présence, non sans poser la question de sa cohabitation avec l’éclairage public. Comment concilier la sensibilité du vivant – végétal comme animal – avec l’illumination nécessaire à toute activité urbaine nocturne ? La conceptrice lumière de l’agence Concepto Virginie Nicolas, trace les contours d’une saine coexistence.

Les derniers étés ont été la preuve d’un réchauffement climatique qui a fait bouillir les villes françaises. Avec des températures pouvant atteindre en plein soleil les 50 °C – le record étant détenu par la ville de Syracuse dans le sud de la Sicile, avec 48,8 °C relevés à l’ombre en 2021 – la désimperméabilisation des sols devient une urgence. Ce tant du point de vue des risques d’inondations liés au fait que toutes les eaux pluviales finissent dans les égouts saturés, mais aussi pour faire baisser le phénomène d’îlots de chaleur urbains. Stockée dans les sols tels le béton, l’asphalte ou les pavés, la nuit venue, la chaleur est restituée et continue de réchauffer l’air. « Ce phénomène a des impacts variés : conséquences sur la santé, sur le bien-être des habitants, sur la “praticabilité” de l’espace public et donc sur l’attractivité des centres-villes, sur les consommations énergétiques (climatisation), sur la résilience des infrastructures et les réseaux urbains et sur le maintien de la biodiversité animale et végétale », constate le Cerema qui fournit des actions possibles pour atténuer cet effet.

Renaturer pour mieux vivre

Désimperméabiliser donc, mais aussi planter, renaturer la ville pour lui redonner un pouvoir d’absorption des eaux, la capacité de générer de l’ombre en plantant des arbres, en densifiant les masses végétales… les recommandations pour faire le bon choix de plantation ne manquent pas. Le Cerema, la ville de Metz et l’Eurométropole de Metz ont développé un outil à l’adresse des collectivités et aux particuliers nommé Sésame1. « Pour planter sans se planter », cet outil en ligne permet d’identifier les espèces les plus à même de produire les services attendus dans le cadre de projets d’aménagement ou de végétalisation.
Le rapport de la ville à la végétation change pour le meilleur, mais quid de sa cohabitation avec l’éclairage public, sachant que dans cet effort pour atteindre une forme de « résilience des territoires », l’éclairage urbain joue un rôle tout à fait particulier. Nécessaire, il peut être la source de perturbation du vivant, végétal comme animal. L’Agence régionale de la biodiversité Centre-Val de Loire s’est penchée sur le sujet en publiant en mai 2024 une étude intitulée « Éclairage et biodiversité ». Co-construit avec quatre associations qui agissent sur ces sujets en région2, il nous rappelle à quel point l’impact de l’éclairage sur le vivant est important et donc à prendre en considération dans les projets d’aménagements. Parmi les nombreuses conséquences, il est généralement observé une désynchronisation des rythmes biologiques, un impact sur la reproduction et sur la biodiversité. Virginie Nicolas et Romain Sordello, expert des effets de la lumière artificielle nocturne sur la faune et la flore, ont quant à eux publié en juillet 2024 l’article extensif « Arbres en milieux urbains. Problématique et pistes d’amélioration de l’éclairage nocturne »3.

Changement de statut

Ces deux dernières décennies, le statut de la végétation en ville a aussi grandement évolué du côté de la commande. Virginie Nicolas, conceptrice lumière de l’agence Concepto, nous rappelle qu’avant, « l’urbaniste dessinait son projet et il ne restait au paysagiste que le résiduel, des trous à remplir. Aujourd’hui, c’est le paysagiste qui a la main sur la ville ». De plus en plus d’ailleurs, on parle de « paysage urbain ». Cette évolution se lit particulièrement dans le traitement des arbres qui est « devenu un objet d’enjeux de négociations et surtout de quantification, quand auparavant il était traité comme un élément de mobilier urbain ». Le fait de devoir composer des couvertures végétales implique que « l’arbre est enfin pris au sérieux et est mieux défendu. Avant, il était simplement la variable d’ajustement », se souvient la conceptrice. À savoir qu’auparavant dans des cas de conflits avec un tracé de piste cyclable par exemple, il était coupé. Puis le regard porté sur sa présence a évolué et les mentalités ont évolué : le tracé était modifié en conséquence pour le préserver. Aujourd’hui « sanctuarisé et devenu un patrimoine, c’est l’arbre qui gagne », constate-t-elle. Et dans le cas d’une proximité avec un lampadaire, si fut un temps les branches qui entravaient le flux lumineux étaient élaguées, c’en est terminé. C’est l’éclairage qui s’adapte, non sans être pour les concepteurs un fameux casse-tête. D’une part parce qu’il n’existe pas de norme en la matière et que chaque ville a ses règles, d’autre part, parce que tenir compte de la croissance des arbres ajoute un degré de complexité. « À l’étape un, le lampadaire va être au-dessus de l’arbre ; à l’étape deux, il est un peu dans l’arbre, mais comme l’arbre n’est pas large ça va encore ; à l’étape trois, l’arbre passe au-dessus », détaille Virginie Nicolas. 


© Ville de Paris
ZAC Clichy-Batignolles

Les anciennes friches industrielles urbaines sont une source de sols à renaturer. L’écoquartier de Clichy Batignolles dans le nord-est parisien, dans le 17e arrondissment, a été précurseur en matière de prise en compte des îlots de chaleur urbains.
Le parc Martin Luther King, d’une surface de 10 hectares, inauguré en 2008 est exemplaire en termes d’introduction d’espaces naturels pour un cadre de vie qui répond à l’objectif de rafraîchissement des usagers, avec une baisse de 2°C en période de canicule.

© Concepto
ZAC du Plessis-Botanique

À La Riche (37), cette nouvelle ZAC va s’inscrire sur 15,6 hectares de friches. Dans ce secteur au passé maraîcher, les nouvelles voiries sont limitées à des venelles partagées. La mise en lumière du site assurée par Concepto met en œuvre dans ces venelles une « stratégie de pénombre » : balisage avec détection en groupe (cercles), gradation autonome à partir
de 21h de -50 % puis éteint en cœur de nuit (en bleu), et -30 % puis -80 % en cœur de nuit (en blanc).

Penser des alternatives

Dans la pratique, « l’emploi de luminaires sur mâts de 10 mètres est de plus en plus uniquement réservé au ronds-points », constate Virginie Nicolas, en insistant sur le fait qu’il faut imaginer des alternatives qui tiennent compte de la végétation et des trames noires de plus en plus mises en œuvre dans les agglomérations. Des sources lumineuses favorables à la préservation de la biodiversité, les trames noires, l’extinction partielle sont des solutions auxquelles peuvent s’ajouter des alternatives laissées de côté ou peu habituelles. Virginie Nicolas évoque notamment les luminaires sur câbles qui permettent de dégager le sol et, lorsqu’ils sont implantés au centre d’une rue, n’entrent pas en conflit avec les arbres, ou encore les bornes. Un travail sur les optiques et les sources en étroite collaboration avec les fabricants est alors nécessaires pour répondre au mieux à une ville qui se dessine d’une manière « de plus en plus naturaliste ». Lucie Cluzan

1. Voir l’application en ligne www.sesame.cerema.fr

2. Il s’agit de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN), l’Union régionale des centres permanents d’initiatives pour l’environnement (URCPIE) et les équipes des deux CPIE en Centre-Val de Loire, l’Association Chauve qui peut et le Syndicat départemental d’énergie du Cher (SDE 18).

3. L’article est consultable en ligne ici

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