Les concepteurs lumière à l’ombre des éclairés ?

POINT DE VUE

Notre manière de concevoir la lumière urbaine évolue constamment. Ces dernières années la transformation m’apparaît spectaculaire. Il n’est presque plus question de faire du beau, mais de faire du sobre. L’impact d’un projet lumière et de son trousseau d’éclairage artificiel doit être, avant tout, maîtrisé.

Bien sûr, il ne faut pas être caricatural. Les mises en lumière et la création d’ambiances lumineuses de qualité font encore l’objet de commandes publiques, mais de manière plus parcimonieuse. Tout projecteur allumé doit justifier de son impérative nécessité. La profession s’adapte, des luminaires disparaissent des catalogues, d’autres évoluent, les projets d’éclairage laissent la part belle à l’obscurité, prennent en compte la pollution lumineuse et les mises en lumière deviennent de plus en plus frugales, avec une temporalité très limitée…

Et cela… depuis plus de 10 ans.

Ces dernières années, nos élus, les maîtres d’ouvrage et le grand public découvrent, s’offusquent des nuisances générées par la lumière artificielle, mais les acteurs de l’éclairage sont en alerte et le déplorent depuis bien plus longtemps. Les concepteurs lumière sont avant toute chose des amoureux de la nuit, des contrastes, des nuances, des ambiances tamisées, de la pénombre et de l’ombre. Les concepteurs lumière ont été les premiers à s’indigner des 20 lux en tout point de la norme PMR ; ils ont été les premiers à interpréter et utiliser la norme 13201 afin d’abaisser tant que possible les niveaux lumineux des espaces publics (et souvent contre l’avis des bureaux d’études et des collectivités) ; ils ont été les premiers, sous l’égide de l’ACE, à signer de manière collégiale un Manifeste pour des projets d’éclairage raisonnés ; ils ont été les premiers à travailler sur la notion de trame noire et de préservation de l’obscurité – ils sont même à l’origine de cette terminologie – et cela dans une démarche spontanée et responsable en dehors de toute injonction normative ou commanditée.

Ils ont tout simplement, été les premiers à se rendre compte que la gabegie de lumière artificielle n’était ni qualitative, ni vertueuse et que cette surenchère dessert souvent la qualité de leur travail, en plus d’être source de nuisances pour l’environnement. Ils portent en eux cette conscience écologique au-delà de la connaissance de l’outil lumière qu’il est indispensable d’avoir pour trouver des solutions constructives et pertinentes pour un éclairage juste.

François Davis
Parc de Saint Cloud
© François David
Parc de Saint-Cloud, attraction instinctive de la lumière

Les concepteurs lumière sont avant toute chose des amoureux de la nuit, des contrastes, des nuances, des ambiances tamisées, de la pénombre et de l’ombre.

Je ne peux que m’étonner et déplorer de voir que les acteurs de la conception lumière sont aujourd’hui trop souvent absents des échanges sur ce sujet. Colloques, ouvrages, séminaires s’organisent pour parler de ce « nouvel » enjeu sociétal – écologues, chercheurs, experts en biodiversité et en environnement se mettent autour de la table, réalisent des études et répondent à des appels d’offres – sous le prisme de l’environnement et de la biodiversité –, délaissant ainsi l’apport constructif que sont les pratiques des usages nocturnes, les questionnements sur la sécurité, la pertinence des ambiances lumineuses et les réponses qu’offrent les nouvelles technologies. Or, la tendance est sans équivoque : l’espace public la nuit est de plus en plus vécu et animé. Répondre à ces usages avérés et permettre à chacun d’accéder à la nuit est aussi un enjeu de société, partie prenante de l’intérêt général. Et oui, inévitablement, les experts de l’éclairage prescrivent et posent des luminaires. Une approche réductrice pourrait en déduire qu’ils sont complices des nuisances lumineuses mais sachez que les concepteurs lumière et les spécialistes de l’éclairage sont déjà en marche. Ils font évoluer les méthodes, inventent de nouvelles pratiques et sont surtout prêts à collaborer, entendre les critiques et à partager savoirs et expériences.

Nous ne serons certainement pas d’accord sur tout, mais la richesse qu’il pourra émerger des échanges sera formidable. Alors, travaillons ensemble pour aller plus vite, plus loin, et créer collectivement la nuit de demain, en clair-obscur.

Fanny Guerard, urbaniste lumière

Cette publication a un commentaire

  1. Noblia

    La lumière est accusée de tout les maux alors qu’elle a fait sa transition énergétique.
    On consomme beaucoup moins pour éclairer aussi bien. Mettre en lumière un bâtiment ou une église consomme quatre cents ou cinq cents watts suivant l’édifice, un fer à repasser deux mille ou deux mille cinq cents watts. Il y a peut-être des efforts à faire d’en d’autres domaines!
    Pour un quart de fer à repasser ne pouvons nous pas laisser nos yeux s’émerveiller, prendre du plaisir à contempler une mise en valeur architecturale ?

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