« Le XXe siècle a été marqué par la couleur. Le brillant marquera le XXIe »

GAËL OBEIN (PRÉSIDENT PAR INTÉRIM DE L’AFE)

La couleur et le brillant représentent deux modalités de la sensation visuelle jouant un rôle déterminant dans l’identification des objets et de leur évolution dans le temps. Gaël Obein, l’actuel président par intérim de l’AFE (Association française de l’éclairage), en a fait l’essentiel de ses travaux au sein du LNE-CNAM1. Il partage avec nous son expertise, tout en résumant son ambition vis-à-vis de l’association.

L’AFE, LA RUCHE LUMIÈRE
Pour Gaël Obein, le monde de l’éclairage peut être comparé à une ruche car c’est un domaine où, pour atteindre un objectif, beaucoup de métiers doivent collaborer et travailler en dialogue et bonne intelligence.
Tout change en ce moment : la réglementation, l’attente sociétale, la technologie, la maintenance, l’esthétique, les revêtements urbains, les formes des sources. Tout évolue. « Nous parlons quand même de la 3e révolution de l’éclairage, après l’incandescence et la fluorescence. Ce n’est pas rien ! » Dans ce contexte, le dialogue, l’information, l’orientation sont essentiels pour que chacun travaille bien ensemble et que les projets répondent aux attentes. Pour le président de l’AFE, le rôle de l’Association n’est pas d’être la reine de la ruche ; c’est plutôt de tenir le guichet central d’information et d’orientation. C’est la personne qui parle toutes les langues, celle avec qui on prend la pause-café car elle a toujours un « truc » intéressant à dire. « C’est celle que tout le monde connaît dans la ruche, parce qu’elle peut t’aider, elle comprend ton problème, elle t’oriente pour que tu trouves les réponses à tes questions en ayant confiance en elle », conclut Gaël Obein.
LUX. EN 2003, SOUS LA DIRECTION DE FRANÇOISE VIÉNOT2, A ÉTÉ VALIDÉE VOTRE THÈSE « CARACTÉRISATION OPTIQUE ET VISUELLE DU BRILLANT », CONCEPT TIRANT SON ORIGINE DE LA DISTRIBUTION ANGULAIRE, DANS L’ESPACE, DE LA LUMIÈRE RÉFLÉCHIE PAR UNE SURFACE. COMMENT, DEPUIS CETTE DATE, ONT ÉVOLUÉ LES CONNAISSANCES PORTANT SUR CET ATTRIBUT VISUEL ?

GAËL  OBEIN.  Ce  sujet  a  le  vent  en  poupe. Le XXe  siècle a été le siècle de la couleur ; le XXIe siècle sera celui des autres attributs (brillant, texture, translucidité, scintillant). Et comme le brillant est le second attribut le plus important après la couleur, c’est celui qui a reçu le plus d’intérêt de la part des métrologues et des psychophysiciens.

Aujourd’hui, on le comprend mieux. On le mesure mieux. D’ailleurs, un comité technique a été ouvert l’année dernière à la CIE (JTC17) pour résumer, voire entériner les progrès de cette dernière décennie. À terme, nous pourrions même penser définir un observateur étalon pour le brillant, comme la CIE l’a fait pour la couleur… en 1931. Peut-être pour 2031 ?

LA MÉTROLOGIE, VOTRE DISCIPLINE, DÉFINIT LES PRINCIPES ET MÉTHODES PERMETTANT DE QUALIFIER LE MESURANDE. POUVEZ-VOUS PRÉCISER ?

La métrologie est la science de la mesure. Le travail du métrologue consiste à mettre en œuvre des techniques et à développer des équipements permettant d’obtenir, expérimentalement, une ou des valeurs numériques que l’on peut attribuer à une grandeur.

Le mot « mesure », présentant plusieurs sens, peut amener à des ambiguïtés. Et, en métrologie, nous n’aimons pas les ambiguïtés. Pour faire simple, prenons le cas d’un cylindre dont on veut connaître le diamètre. Dans ce cas, le mesurande est le diamètre du cylindre. La grandeur est une distance. L’unité est le mètre. Le mesurage est le résultat du processus de mesure, par exemple 20 mm. La mesure, est l’expression de la moyenne de plusieurs mesurages, corrigée de biais éventuels (température, humidité, etc.).

DEPUIS 2006, DATE DE VOTRE ENTRÉE AU CNAM, VOUS AVEZ MIS EN PLACE ET DÉVELOPPÉ LA « MÉTROLOGIE DE L’APPARENCE » AU SEIN DU LABORATOIRE COMMUN LNE-CNAM. QU’APPORTENT VOS TRAVAUX À LA CONNAISSANCE DU VISUEL ?

En métrologie, le Conservatoire est ce que l’on appelle, un « DI » (Designated Institute), à savoir un établissement désigné par l’organisme en charge de la métrologie nationale (en France, c’est le LNE – Laboratoire national de métrologie et d’essais) pour réaliser des étalons primaires. Le LNE-CNAM est, en autre, en charge des étalons primaires de radiométrie, photométrie (dont l’éclairement mesuré en lux) et de spectrophotométrie.

La métrologie primaire est un univers un peu à part. Dans ce domaine, le but est de réaliser la grandeur avec la plus faible incertitude possible. Chaque paramètre pouvant influencer la réalisation est pris en compte, analysé et, si possible, maîtrisé.

À mon arrivée, en 2006, j’ai proposé de développer la métrologie de l’apparence consistant à développer des concepts et des équipements permettant de mesurer l’apparence visuelle des surfaces. Ce n’était pas gagné ! Car, si l’on parle d’apparence visuelle, le mesurande n’est pas l’objet lui-même, mais la sensation qu’il génère et qui se situe dans la tête de l’observateur. Et pour qui recherche à minimiser les paramètres pouvant influer sur la mesure, le vivant, par nature incontrôlable, est « le truc » à éviter, voire à fuir.

Pourtant, si on se place, par exemple, du point de vue du carrossier réalisant une retouche de peinture sur une carrosserie, ce n’est pas la répartition spectrale du facteur de réflexion de la peinture qui compte mais la couleur de cette peinture. C’est-à-dire la sensation visuelle située dans la tête de l’observateur que génère la peinture. Certes, la couleur naît du facteur de réflexion, mais elle dépend également d’autres paramètres plus subtils.

Ainsi, la couleur est le mesurande utile pour un industriel. Pour preuve, la CIE (Commission internationale de l’éclairage) a développé la colorimétrie afin de répondre à cette demande. Aujourd’hui, la mesure de la couleur ne suffit plus à notre carrossier. Les peintures sont devenues trop complexes. Il faut prendre en compte, en plus de la couleur, le brillant, le scintillant, le nacré, le translucide. Le mesurande est l’apparence. Pour arriver à acquérir l’apparence, la grandeur pertinente est ce que l’on appelle la BRDF3 de la surface, c’est-à-dire la fonction de répartition bidirectionnelle du coefficient de luminance. Elle se mesure avec un goniospectrophotomètre. C’est ce type d’équipement que j’ai développé au LNE-CNAM.

Mais comme je l’ai dit, la mesure optique ne suffit pas, car l’apparence est dans la tête de l’observateur. Il faut réaliser des expériences psychophysiques pour mesurer la sensation visuelle, ces mesures étant, également, effectuées dans mon équipe. Mes travaux restent très focalisés sur la mesure du brillant. Mais d’autres laboratoires nationaux de métrologie européens viennent s’additionner aux miens, en travaillant sur le scintillant, le nacré et la fluorescence. C’est un effort collectif. Depuis 2012, je coordonne cet effort européen via divers projets de recherche financés par l’Union Européenne, tels que xDreflect (2013-2016), BiRD (2017-2020), BxDiff

(2019-2022).

DEPUIS 2017, EN TANT QU’EXPERT FRANÇAIS, VOUS EN ANIMEZ DEUX COMITÉS TECHNIQUES DE LA CIE4 : L’UN PORTE SUR LA MESURE BIDIRECTIONNELLE DE LA RÉFLECTANCE ; L’AUTRE SUR LA MESURE DU BRILLANT. OÙ EN SONT VOS TRAVAUX ?

J’ai créé le TC2-85 à la CIE en 2016. Ce TC (technical committee) a pour objectif de clarifier la manière de faire des mesures de BRDF. La BRDF est une grandeur jeune. Sa mesure a moins de 25 ans et n’est pas encore complètement cadrée ni maîtrisée.

Mesurer une BRDF, ce n’est pas mesurer le diamètre d’un cylindre. C’est nettement plus complexe. Pourtant, de par la pression industrielle pour avoir rapidement des indicateurs numériques de l’apparence des surfaces manufacturées, les goniospectrophotomètres commerciaux se sont développés ces dernières années. Ainsi, nous sommes dans une situation où arrivent sur le marché des instruments qui prétendent mesurer une grandeur qui n’est pas encore bien définie. La situation peut vite déraper, les opérateurs pouvant mesurer n’importe quoi au risque d’être ensuite déçus. C’est le rôle du métrologue de clarifier le mesurande, de définir clairement la grandeur. C’est le rôle de la division 2 de la CIE de publier des documents rendant compte de ces travaux. Les 19 membres du TC proviennent de 14 pays, tous experts. Ils travaillent depuis 4 ans sur ce sujet. Les travaux avancent bien, notamment grâce au soutien du projet Européen « Bidirectionnal Reflectance Definitions » (BiRD), financé par le programme EMPIR (European Metrology Programme for Innovation and Research). J’espère que le rapport technique sortira en 2021.

EN JANVIER DERNIER, VOUS AVEZ ÉTÉ ÉLU, À L’UNANIMITÉ, À LA PRÉSIDENCE DE L’AFE PAR INTÉRIM, DANS L’ATTENTE DE LA PROCHAINE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE. QUELLE AMBITION ATTRIBUEZ-VOUS À L’ASSOCIATION POUR LA PROMOUVOIR ET LUI PERMETTRE DE DÉVELOPPER LES NOTIONS DE SANTÉ VISUELLE, DE QUALITÉ DE LA LUMIÈRE ET D’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE, TANT EN INTÉRIEUR QU’EN EXTÉRIEUR, AU NIVEAU NATIONAL COMME RÉGIONAL ?

L’AFE, société savante indépendante âgée de 90 ans, réunit toute la diversité des acteurs de l’éclairage, les installateurs, les architectes, les chercheurs, les ophtalmologues, les collectivités, les fabricants d’éclairage. L’AFE est un espace d’une richesse et d’une diversité exceptionnelles.

Dans le même temps, l’éclairage vit une époque incroyable. Les ressources s’épuisent et la pression pour réduire l’empreinte énergétique est forte. La prise de conscience écologique est effective, et la préservation de notre planète impose de prendre le chemin de la sobriété. Les effets non visuels de la lumière sur la santé et le bien-être humains ont été découverts, démontrés et compris. La technologie LED a révolutionné le monde des sources, des lampes, des luminaires et a tout balayé, en moins de 20 ans. Si cela n’est pas une époque bénie, je ne sais pas ce que c’est ! Il y a du grain à moudre. L’AFE est là pour créer le forum national et régional autour de toutes ces questions, pour informer le public et les collectivités des avancées et des nouveaux outils disponibles. Elle est là pour créer des collaborations entre chercheurs, médecins, fabricants de luminaires en vue de futurs travaux de recherche. Elle est là pour conseiller l’État dans ses décrets, ses directives, ses décisions pour aller vers un territoire éclairé juste, sobre, efficace et sûr, mais aussi être le point focal de la ruche, l’endroit où l’on se dirige quand on est perdu et que l’on cherche la bonne personne, la bonne solution, le bon conseil… Mon ambition ? Que l’AFE tienne cette position !

Propos recueillis par Jacques Darmon

1 Le laboratoire commun de Métrologie (LNE-Cnam) est un institut de recherche du Conservatoire national des arts et métiers. C’est également l’un des quatre laboratoires nationaux de métrologie fédérés par le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE).

2 Physicienne, Françoise Viénot est spécialiste de la vision des couleurs. Elle est professeur émérite au MNHN (Muséum national d’histoire naturelle).

3 Bi-directional Reflectance Distribution Function.

4 Par ailleurs, Gaël Obein préside le CIE-France, le comité miroir national de la CIE.

Laisser un commentaire