Lors de l’inauguration de la Tour Eiffel, en 1889, le gaz était alors le seul mode d’éclairage. Aussi, pour souligner les arêtes de la Tour, 10 000 becs de gaz ont été installés. En 1900, se développe l’électricité. Pour l’Exposition internationale des Arts Décoratifs de 1925, André Citroën a le privilège d’inscrire son nom sur trois des faces du monument en lettres lumineuses géantes1. Cet affichage, qui a subsisté jusqu’en 1935, a pu être réalisé grâce au talent du « Magicien de la lumière », surnom donné à Fernando Jacopozzi, considéré comme le précurseur des concepteurs lumière.
Fernando Jacopozzi s’est installé à Paris en 1900 (né à Florence en 1877, il était alors âgé de 23 ans), année du triomphe de l’Exposition Universelle. Y brillait notamment le Palais de l’Électricité (420 mètres de long pour 80 de large) construit sur le Champ de Mars, au pied de la Tour Eiffel. En fait, il s’agissait d’une monumentale fontaine offrant, la nuit, un spectacle lumineux aux couleurs changeantes. Cette réalisation, conçue par le polytechnicien Henri Beau2 a, dit-on, inspiré Fernando Jacopozzi. En 1903, il crée sa première société, Jacopozzi et Cie, spécialisée dans la décoration de devantures et les enseignes. Société acquise en 1904 par les Ateliers Paz et Silva, alors précurseurs de l’illumination et des enseignes électriques. En 1907, Fernando Jacopozzi crée une nouvelle société, les Établissements Jacopozzi. La qualité et l’originalité de ses dispositifs lumineux sont appréciées. Il est alors de plus en plus sollicité par les municipalités pour des décorations festives… tout en développant sa passion pour le théâtre. De plus, en ce début de XXe siècle, profitant de l’essor du cinéma, il se spécialise dans l’agencement de salles.
Jacopozzi. Le magicien de la lumière
Fabien Sabatès, Éditions Douin, 2017, 448 pages, 45 euros
Cet ouvrage, richement illustré de plus de 1 000 illustrations et photos, reprend toutes les réalisations de Jacopozzi pendant sa carrière abrégée bien trop jeune. Du faux Paris en 1917 à la publicité Citroën sur la Tour Eiffel, cet autodidacte de génie sera concepteur, architecte et prestataire pour les grandes enseignes parisiennes et la Mairie de Paris. www.editions-douin.com
D’UN PARIS FACTICE À LA TOUR EIFFEL
Franchissons les années de guerre, durant lesquelles il se distingua notamment en 1917 en créant, à la demande de Georges Clémenceau, « un Paris factice afin de détourner les attaques allemandes de la capitale ». En 1925, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes représente, pour lui, l’opportunité d’animer, à nouveau, la Tour Eiffel par un grandiose jeu de lumières. Sa petite-fille, Véronique Tessier-Huort Jacopozzi, rappelle l’aventure : « L’exposition des Arts Décoratifs a démarré en mai 1925, tout y était remarquablement bien éclairé, sauf la Tour Eiffel qui restait noire dans le noir. Du coup, les organisateurs ont décidé de l’éclairer. Ils ont fait appel à mon grand-père. Mais il a fallu trouver des mécènes. Il est allé voir Renault qui a dit non et puis le magasin du Louvre qui a refusé également. Il s’est tourné vers Citroën qui, pas très chaud au début, a finalement dit oui… en tant que pionnier de la communication commerciale. Techniquement, ce fut un gros problème à résoudre. Les 250 000 ampoules Philips, de trois couleurs différentes, nécessitaient une importante puissance électrique à distribuer. Des tranchées ont été creusées et des câbles posés. Tous les équipements d’éclairage étaient montés sur bois. Les Établissements Jacopozzi faisaient découper des panneaux de 30 mètres de diamètre sur lesquels étaient fixées les ampoules. Vous imaginez les longueurs de fils qu’il fallait installer sur les 300 mètres de hauteur de la Tour ! Son équipe d’électriciens ayant refusé de grimper à cette hauteur, mon grand-père a fait appel aux gabiers de la marine, qui ont l’habitude de se hisser en haut des mâts, ainsi qu’aux gens du cirque qui ont l’habitude d’escalader. Avec cette équipe, il a ainsi pu éclairer la Tour Eiffel en deux mois. Le premier éclairage a été réalisé sur la face côté Trocadéro, puis Bourdonnais et Suffren. La quatrième face n’a jamais été éclairée parce que cela aurait pu faire cage de Faraday. » JD
1 Malgré le souhait de Gustave Eiffel, mort en 1923, qui avait interdit d’utiliser « sa Tour » à des fins publicitaires.
2 L’illumination du Palais de l’Électricité, due à Henri Beau, était obtenue par environ 6 000 lampes à incandescence disposées suivant l’arête de la crête.
Ci-dessus.
En 1930, deux années avant son décès prématuré, Fernando Jacopozzi réalise à ses frais son rêve de voir Notre Dame illuminée.
DE FERNANDO À PIERRE : DEUX PIONNIERS DE LA CONCEPTION LUMIÈRE
Si, en 1925, la conception lumière imaginée par Fernando Jacopozzi, lui a valu une renommée mondiale, 60 ans plus tard, le monument distingua un autre pionnier de la conception lumière. En effet, le 31 décembre 1985, a été inaugurée la mise en lumière du regretté Pierre Bideau. Son concept innovant ? Éclairer la Tour Eiffel à l’intérieur de ses structures à nouveau avec des lampes et appareils Philips. Cette illumination, qui a rencontré un succès unanime et mondial, a été le point de départ, à Paris et dans d’autres grandes métropoles, d’un renouveau de la mise en valeur des bâtiments.
| «RENDRE LA LUMIÈRE À MON GRAND-PÈRE» « Pourquoi ne se souvient-on plus de celui que le Tout-Paris des Années folles appelait le Magicien de la lumière ? », s’interroge Véronique Tessier-Huort Jacopozzi. Prématurément disparu en 1932, à l’âge de 54 ans, il a pourtant laissé sa ville d’adoption dans « de nouveaux habits de lumière ». C’est pourtant lui, rappelle-t-elle, qui a donné le ton à celle que l’on allait appeler « Ville lumière » en illuminant plusieurs de ses monuments. Lui qui, par ailleurs, avait inventé un système d’éclairage indirect afin de ne pas éblouir les passants. Bon nombre de capitales lui ont ensuite emboîté le pas. Ses lumineuses interventions ne se limitaient pas aux monuments. Pour Noël, notamment, les grands magasins faisaient appel à Fernando Jacopozzi pour illumi- ner leurs façades. « En reconnaissance de ce que mon grand-père réalisa pour Paris, se félicite Véronique Tessier-Huort Jacopozzi, il fut nommé commandeur de la Légion d’honneur peu de temps avant sa disparition ». Il n’empêche, regrette-t-elle, « son nom est pourtant tombé dans un quasi-oubli bien qu’il ait contribué à sortir Paris de l’ombre ». Aujourd’hui, Véronique dépense sans compter pour rendre son grand-père à la lumière. Son site internet en témoigne. www.fernandojacopozzi.com |
