Le 6 juillet dernier, le pôle Axelera, le pôle Éco-conception et le Cluster Lumière ont convié à un think tank portant sur l’analyse des cycles de vie (ACV) des systèmes d’éclairage. À cette occasion, Bruno Foucras, professeur à l’Institut Universitaire Technologie Aix-Marseille1, a élargi les débats en traitant de l’ACV spécifique aux éclairages connectés. Participant, depuis près de 10 ans, aux travaux du Shift Project, il a particulièrement insisté sur la notion de sobriété numérique en proposant quelques orientations pour faire le bon choix.
Les services connectés représentent-ils des outils ou des défis pour le monde futur ? » Face aux mots d’ordre de politique publique, plus ou moins bien exprimés, la plupart des maîtres d’ouvrage peinent à correctement exprimer leurs problèmes et à les traduire ensuite en termes techniques.
PAS DE RÉFLEXE PAVLOVIEN !
Pour essayer de résoudre cette équation un peu compliquée, il faut faire en sorte que les outils déployés soient réfléchis en amont, « sans faire du numérique par réflexe pavlovien, mais en analysant si l’impact net est positif », conseille Bruno Foucras, en dégageant les avantages et les inconvénients de l’introduction d’une couche connectée. Côté négatif, le coût environnemental doit ainsi être pris en compte , et ses effets plutôt négatifs, ainsi que l’énergie nécessaire pour produire le matériel, sa consommation, les ressources minières utilisées, etc. Côté avantages, sont considérées les économies directes, l’optimisation des processus, le pilotage… « L’objectif consistant à mesurer ce qui pèse d’un côté ou de l’autre de la balance. » Rapidement, on se rend compte qu’il conviendrait de plutôt parler en termes de CO2 qu’en termes d’énergie. Le modèle dit « Stern » (Smart Technologies Energy Relevance Model), développé par le groupe de travail The Shift Project2, a permis d’étudier l’introduction d’une couche connectée au niveau de l’éclairage domestique et tertiaire, l’étude de l’éclairage public ayant été écarté car le sujet, « véritable colonne dorsale de la Smart City » s’est avéré trop vaste, bien qu’il paraisse possible d’appliquer la méthode utilisée. Au niveau résidentiel, l’optimisation d’une installation utilisant une couche connectée a été analysée, pour générer un éclairage plus récréatif et/ou confortable, en prenant en compte les propositions des fabricants.
LES TROIS ORGANISATEURS DU THINK TANK
Le Cluster Lumière réunit 136 entreprises, représentant les différents métiers de la lumière, dans le but de développer des solutions innovantes d’éclairage.
- Axelera, constitué par en réseau réunissant 370 adhérents, représente le pôle de compétitivité de référence des filières chimie-environnement.
Le Pôle Éco-conception Management du cycle de vie représente le centre de ressources nationales sur les meilleures pratiques en développement de produits intégrant l’environnement, la RSE (Responsabilité sociétale des Entreprises) et l’économie circulaire.
Au niveau tertiaire, ont été choisis deux grands « classiques » : des bureaux de tailles différentes ; des salles d’enseignement. Les conclusions sont rapides pour le résidentiel ! « L’éclairage connecté n’y est jamais rentable », rapporte Bruno Foucras en considérant même qu’il serait peut-être judicieux de limiter la diffusion des appareils de la lumière, dans le but de développer des solutions innovantes d’éclairage. Axelera, constitué par en réseau réunissant 370 adhérents, représente le pôle de compétitivité de référence des d’éclairage connecté à la maison, « car c’est juste un gadget ». Pourquoi ? Dans l’habitat, le niveau d’éclairement étant trois fois moins élevé que dans les bureaux, avec une durée d’utilisation trois fois plus réduite, l’éclairage connecté ne se traduit pas par des économies d’énergie. « Apprendre aux enfants à éteindre la lumière, quand ils quittent une pièce, suffit largement ; ce que l’on ne pratique pas au bureau. »
TERTIAIRE : ENTRE DEUX SOLUTIONS
Dans le tertiaire, l’automatisation de l’éclairage (détecteur de présence et capteur de luminosité) et la couche connectée rajoutée ont été différenciées. À ce niveau, le débat n’est pas tranché parce qu’il dépend vraiment des coûts. Installer de la détection de présence et de la mesure de luminosité dans du tertiaire représente une bonne idée, le coût énergétique étant très faible, dans la mesure où tout est câblé en filaire. Ce n’est pas le cas en rénovation, l’installation filaire n’étant généralement pas retirée. « Quand on connecte, la question est de savoir sur quelle couche le faire », alerte Bruno Foucras. Connecte-t-on tous les appareils en Bluetooth, avec un concentrateur ? « Dans ce cas, on se limite au niveau de l’automatisation en ne bénéficiant que du sans-fil. » Ou connecte-t-on à internet le concentrateur, voire les appareils ? Mais est-il intéressant d’installer un capteur de présence connecté en 5G, solution qui paraît quelque peu surdimensionnée ? « La vérité se situe quelque entre les deux solutions, car elle dépend vraiment des usages », poursuit-il. Et d’expliquer, par exemple, qu’il est possible de superviser l’éclairage public avec le LORA sans tirer des câbles au pied de chaque armoire. « En revanche, ce protocole suffit largement pour connaître la consommation d’une armoire. » Quant à la rénovation dans le bâtiment, il est possible d’utiliser Bluetooth. Les distances y étant moins importantes, on peut rapatrier toutes les informations sans tirer les câbles.
ENTRE BESOINS ET ENVIES
« Ai-je des envies ou ai-je des besoins ? » Comment répondre à cette question ? « En s’interrogeant sur l’usage », pour- suit Bruno Foucras, en regrettant que, trop souvent, soient privilégiées les envies au détriment de véritables besoins. Le « connecté » n’est pas forcément synonyme de progrès. « Toutefois, si nous souhaitons progresser, nous pouvons avoir besoin d’équipements connectés », estime-t-il, en ne considérant pas son discours comme technophobe. D’ores et déjà, nous disposons de technologies efficaces. « Aussi, pourquoi attendre de prochaines innovations alors que l’on sait faire dès aujourd’hui, tout en faisant appel à la technologie que lorsque l’on en a vraiment besoin. » En effet, il convient toujours de s’interroger. « Combien ça me coûte et combien ça me rapporte ? »
D’autant plus que l’appropriation de la technologie pose d’autres questions. « Du matériel compliqué à mettre en œuvre va être installé, avec de la connexion dans tous les sens, le système ainsi créé étant parfois difficile à démarrer. » Admettons que l’on ait choisi les matériels performants, un bon intégrateur et que l’installation démarre sans difficulté, « la maintenance va-t-elle suivre ? ».
Par exemple, la connectivité ne fonctionne plus alors que le matériel connecté continue à consommer. « Là c’est catastrophique parce que l’on dispose d’une installation qui ne sert plus du tout. » Il faut donc, chaque fois, se poser la question du niveau de technologie, dont utile, que l’on est capable de maintenir sur la durée de vie du matériel (entre 15 et 25 ans). « De plus, il faut vérifier que les exploitants soient capables de comprendre comment cela marche, de le faire fonctionner et de le réparer » (voir encadré « Cas concret d’exploitation inefficace »).
CAS CONCRET D’EXPLOITATION INEFFICACE
Quand Bruno Foucras dirigeait l’éclairage public de la ville de Marseille, un système de connexion au point lumineux a été mis en place… qui ne fonctionnait pas au niveau des illuminations de Noël. Aussi, a été ajouté un autre système, plus rudimentaire.
Le premier système, plus performant, permettait de réaliser de nombreuses fonctions. Mais, malheureusement, les agents municipaux sachant mal l’exploiter, ce système n’a « tourné » environ qu’une année, la mairie ne voulant pas assumer les coûts d’infrastructure réseau. Toutefois, les équipements numériques mis en place consomment toujours quelques watts bien qu’ils ne servent plus à rien.
LA DOUBLE CONTRAINTE CARBONE
« La solution, certes complexe, est de concevoir la juste balance répondant aux besoins tout en respectant les différentes contraintes actuelles… et à venir », conclut Bruno Foucras. Et de notamment insister sur l’enjeu de la « double contrainte carbone », de plus en plus prégnante : le réchauffement climatique ; le progressif tarissement de l’approvisionnement en énergies fossiles.
Cet enjeu milite, selon The Shift Project, en faveur du déploiement de la sobriété numérique consistant, ponctue-t-il, « à passer d’un numérique instinctif, voire compulsif, à un numérique maîtrisé en sachant choisir ses priorités au regard des opportunités et des risques ». Répétons-le, l’éclairage est largement impliqué !
Propos recueillis par Jacques Darmon
1 Professeur agrégé de Sciences industrielles de l’ingénierie, département « Génie thermique et énergie ».
2 Le modèle Stern (du nom de Nicolas Stern, auteur en 2007 d’un influent rapport portant sur l’éco-climatique), développé par le groupe de travail The Shift Project, évalue la pertinence énergétique nette de solutions connectées pour des cas d’utilisation définis.
COMMENT REPRENDRE LA MAIN SUR NOS OUTILS NUMÉRIQUES ? Le numérique est, à la fois, outil et défi pour la transition carbone. « Ses opportunités sont réelles, mais tout autant soumises aux mêmes contraintes que les autres systèmes », considère The Shift Project. Il est donc de notre responsabilité de choisir la direction à donner à nos usages et infrastructures numériques pour en garantir la résilience et la pérennité. Y compris en éclairage ! Dans ce contexte, The Shift Project propose de construire des outils permettant d’évaluer la pertinence énergétique des technologies connectées, de guider les organisations vers un pilotage environnemental de leurs systèmes d’information et de comprendre comment reprendre la main sur nos usages numériques ? Enfin, souligne le Shift Project, « nos usages numériques doivent, également, être pensés en termes de politique de santé publique puisqu’ils présentent des risques de conséquences sanitaires » |