Billet d’humeur
Depuis des années, lorsqu’on parle de pollution lumineuse, de la mise en danger de la biodiversité nocturne et des impacts de l’éclairage artificiel sur la santé humaine et les rythmes circadiens, ce sont toujours les éclairages publics existants dans les villes qui sont pointés du doigt, comme s’ils étaient les seules sources d’éclairage installées par les humains ! Pourtant la récente extinction durant toute une nuit de tout l’éclairage public du Grand Genève (1,4 millions d’habitants) a montré que le halo lumineux dans le ciel, dû aux éclairages privés et surtout domestiques, restait très problématique.
Il est urgent de lancer des campagnes d’éducation et d’information auprès du grand public comme des grandes enseignes concernées.
En ville, le paysage nocturne est de fait mité par un très grand nombre de points lumineux souvent éblouissants provenant des habitations (baies vitrées des bâtiments résidentiels et fenêtres des maisons de ville), par les éclairages toujours plus nombreux des entrées des pavillons, des garages, des jardins, des terrasses et des vérandas. Et en rase campagne, on voit aussi de très loin les éclairages disposés aux entrées des propriétés, des maisons, des fermes, des bâtiments d’élevage et industriels et, dans certaines régions, les éclairages très intenses et permanent des serres agricoles.
En France, il y a en moyenne un point lumineux d’éclairage public pour 8 habitants, alors que le nombre de points lumineux domestiques serait en moyenne de 25 par foyer (source AFE).
Comme l’Insee estime en 2018 à près de 30 millions le nombre de ménages de toutes tailles, il existe en fait un nombre considérable de points lumineux domestiques (750 millions) comparés aux quelques 11 millions estimés d’éclairage public.
Certes, tous ces éclairages domestiques ne se voient pas de l’extérieur (même si l’usage des rideaux et des volets tend à disparaitre), ne sont pas tous allumés au même moment, ni pendant toute la nuit. Il n’empêche, ils participent grandement à la pollution du ciel nocturne. Pourtant, pour beaucoup d’associations de défense de l’environnement et de maîtres d’ouvrage, il semblerait que seul le sujet de l’éclairage public soit préoccupant et à
traiter en urgence.
Or, depuis l’arrivée des LED, on trouve dorénavant dans les enseignes de bricolage, des projecteurs LED d’extérieur de très fortes puissances (50 W), bon marché, avec des tonalités de lumière supérieures à 6 000 K, à installer avec ou sans détecteur de présence, sans aucune information disponible sur l’impact négatif de ces tonalités de lumière froides et de ces très fortes intensités lumineuses sur la biodiversité nocturne et le ciel étoilé, en cas d’allumage intermittent ou permanent durant toute la nuit.
Il est donc urgent de se préoccuper tous ensemble de cette prolifération croissante des éclairages domestiques nuisibles (y compris en termes règlementaires) et de lancer des campagnes d’éducation et d’information auprès du grand public comme des grandes enseignes concernées. Car le risque à court terme est de contrecarrer tous les efforts en cours de rénovation de l’éclairage public et de maîtrise de la pollution lumineuse issus des trames noires en laissant les habitants surenchérir et compenser à l’aide de leurs éclairages domestiques les baisses vertueuses des niveaux lumineux publics.
Roger Narboni, concepteur lumière