Effets visuels et non visuels de la lumière : un nouvel aperçu de la perception de la luminosité

En complément de la méthode CIE (Commission internationale de l’éclairage), caractérisant les effets visuels et non visuels de la lumière, Sophie Jost, en collaboration avec Aiman Raza, Matthieu Iodice et Dominique Dumortier1, a mené au sein de l’ENTPE (École nationale de travaux publics de l’État) une étude psychophysique portant sur l’influence des cellules ganglionnaires rétiniennes à mélanopsine (IpRCG) sur la perception de la luminosité.

Rappelons que la perception visuelle repose sur différents types de photorécepteurs, chacun ayant des fonctions spécifiques :

  • tout d’abord, sur les cônes, situés principalement au centre de la rétine, permettant une grande acuité visuelle. Responsables de la vision des détails et des couleurs, il en existe trois types selon leur sensibilité aux longueurs d’onde (long, medium, short) ;
  • puis, les bâtonnets, plus sensibles à la lumière, assurant la vision pour des faibles niveaux lumineux (vision scotopique) ;
  • enfin, les cellules ganglionnaires rétiniennes intrinsèquement photosensibles (ipRGCs) exprimant un photopigment, la mélanopsine sensible à la lumière bleu-cyan (pic à environ 490 nm), et jouant un rôle clé dans la régulation des fonctions non visuelles.

La CIE a déterminé, quant à elle, une méthode basée sur ces photorécepteurs pour caractériser les effets visuels et non-visuels de la lumière, aussi appelés effets « intégratifs » (voir ci-dessous).

Expérimentation réelle

La perception de la luminosité dépend non seulement du niveau lumineux (ou de la luminance), mais aussi de la répartition spectrale de la lumière et de la stimulation des différents photorécepteurs. « Une lumière blanche paraît souvent plus lumineuse à même éclairement », souligne Sophie Jost en s’interrogeant. Est-ce dû à l’efficacité lumineuse relative spectrale, V(lambda), qui n’est pas assez sensible dans les bleus ? La température de couleur est-elle un bon indicateur ?

Des études récentes suggèrent une implication des cellules ganglionnaires rétiniennes intrinsèquement photosensibles (ipRGCs), tandis qu’un comité technique de la CIE travaille à les répertorier. Mais quelle est la part des différentes contributions ? Serait-il possible, comme on l’entend parfois, de réduire les niveaux lumineux en utilisant des lumières spectralement appropriées ? Pour tenter de répondre à ces questions, « nous avons mené à l’ENTPE une étude psychophysique réalisée dans une salle à taille réelle, éclairée avec des distributions spectrales spécifiques », poursuit Sophie Jost. Ces éclairages métamères stimulant de manière identique les cônes et les bâtonnets, mais avec différents niveaux d’excitation des ipRGCs, ont été déterminés par la méthode de la substitution silencieuse (voir graphe). Trois niveaux d’éclairement ont ainsi été testés (95, 135 et 190 lux dans le plan de l’œil) et pour chacun deux niveaux d’excitation des cellules à mélanopsine : un seuil bas et un seuil haut compris entre 60 et 251 lux mEDI. Les 36 participants équipés d’un eye tracker (dispositif permettant de mesurer la taille de la pupille et le suivi du regard) devaient noter, sur une échelle sémantique continue de 0 à 10, leur sensation de luminosité.

Distributions spectrales des sources lumineuses (HM : High Melanopic, LM : Low Melanopic et augmentation de l’éclairement HM1 = LM1 < HM2 = LM2 < HM3 = LM3).
Comment caractériser les effets « intégratifs » de la lumière ?

La norme CIE S 026:2018 définit un système de métrologie permettant d’évaluer les réponses α-opiques des différents photorécepteurs (bâtonnets, cônes S, M, L et mélanopsine). La mesure-clé est l’éclairement équivalent en lumière du jour ou α-opique EDI (pour Equivalent Daylight Illuminance), exprimé en lux, permettant de comparer toute source de lumière à l’illuminant de référence D65. La quantité mEDI caractérisant la mélanopsine est particulièrement intéressante. Des explications et une feuille de calcul sont disponibles sur les liens suivants (en anglais) : Lien 1 & lien 2

Des résultats surprenants

Les résultats montrent qu’une augmentation de 40 % de l’éclairement a entraîné une hausse significative des notes de luminosité, confirmant le rôle des cônes LMS dans la perception de la luminosité. En revanche, le doublement du mEDI n’a entraîné qu’une légère augmentation non significative de la perception de la luminosité. Ces résultats suggèrent que si les ipRGC contribuent à la perception de la luminosité, leur influence est considérablement plus faible que celle de l’éclairement. La taille de la pupille, quant à elle, diminue principalement avec l’augmentation des mEDI, l’éclairement apparaissant comme un facteur secondaire dans le contrôle du réflexe pupillaire. De plus, l’étude souligne que la température de couleur (CCT), souvent utilisée comme indicateur, n’est pas un prédicteur fiable pour évaluer la perception de luminosité. Ainsi, augmenter la CCT ou l’excitation de la mélanopsine pour rendre un espace plus lumineux semble peu efficace. Ces résultats remettent en question certaines stratégies d’économie d’énergie basées sur une excitation mélanopique élevée et suggèrent une approche plus nuancée, surtout dans des environnements d’éclairage intérieur.

Enfin, une exposition prolongée, à une teneur élevée en mEDI, à des heures inappropriées, peut impacter les habitudes de sommeil et induire d’autres problèmes de santé (voir encadré). « Toutes ces préoccupations doivent être prises en compte lors de la conception de nouvelles sources lumineuses avec des niveaux de mEDI variables », conclut Sophie Jost. JD

1. Sophie Jost est chercheure-enseignante à l’ENTPE ; Aiman Raza, ancien doctorant de l’ENTPE, chercheur à l’INSERM ; Matthieu Iodice, ancien doctorant de l’ENTPE, chargé d’études au CEREMA et Dominique Dumortier, professeur à l’ENTPE.

Recommander la bonne lumière au bon moment
En août 2024, lors de sa déclaration de position, la CIE a recommandé : une forte exposition à la lumière en journée, au moins 250 lux mEDI1 dans le plan de l’œil en encourageant le recours à la lumière naturelle ;
– une faible exposition le soir, pas plus de 10 lux mEDI idéalement 3 heures avant le coucher afin de faciliter l’endormissement et renforcer l’horloge biologique ;
– l’obscurité la plus complète pendant le sommeil (maximum 1 lux mEDI).
Par ailleurs, la CIE encourage des recherches plus approfondies pour déterminer les bénéfices d’un éclairage intégratif. Elle travaille actuellement sur ces sujets avec :
– le comité technique conjoint JTC 20, qui travaille à l’élaboration de recommandations portant sur la dosimétrie personnelle de la lumière ;
– le comité technique TC 4-61, qui étudie les effets de l’éclairage électrique extérieur sur l’environnement naturel ;
– le comité technique TC 1-101 qui répertorie les études portant sur l’influence des cellules ganglionnaires rétiniennes sur la perception de luminosité ;
– et, en collaboration avec l’ISO/TC 274, pour réviser la norme internationale relative à l’éclairage des lieux de travail intérieurs ISO-1 : 2002/CIE S 008 2001 (ISO/CIE 2002).

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