L’humain étant un animal diurne, contrairement à ses compagnons, les chiens et chats, il lui faut nécessairement avoir recours à l’éclairage artificiel lorsque la lumière du jour s’estompe. Mais faut-il limiter son rôle à la seule vision ? Du reste, que recouvre ce terme ? Le Dr Christophe Orssaud, président du collège « Santé » de l’AFE, répond en plaidant en faveur de notre santé visuelle… et psychique.
Lorsqu’il est demandé à la plupart des gens à quoi sert l’éclairage, deux termes reviennent généralement : lampes et vision. Or, l’éclairage c’est avant tout la lumière naturelle, l’orientation des pièces, la taille des fenêtres et la qualité des vitres jouant un grand rôle. L’importance de l’éclairage naturel est trop souvent sous-estimée. « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » écrit Marcel Proust au début de son roman À la recherche du temps perdu. Durant plusieurs siècles, l’humain n’a utilisé que le feu, des lampes à huile, la bougie ou le gaz pour s’éclairer. La fée électricité a ainsi révolutionné notre mode de vie en nous offrant la possibilité de vivre la nuit.
« Reste à savoir si l’éclairage nocturne représente un réel progrès comme le dénoncent certains », avance Christophe Orssaud avec un brin de provocation, en faisant référence à l’actualité chahutée par la multiplication de débats, plus manifestes encore en ces périodes de confinement et de couvre-feu, portant sur l’opportunité d’éteindre l’éclairage urbain.« Il devient donc urgent de rappeler quelques fondamentaux associés au rôle et à l’intérêt de l’éclairage pour chacun tant au niveau de sa vision, de sa qualité de vie ou de sa sécurité ainsi que de ses relations sociales », considère-t-il.
ÉCLAIRER POUR LA VISION EN DÉVELOPPEMENT DES ENFANTS
Contrairement à certains animaux, notamment les félins, qui possèdent une membrane réfléchissante appelée tapetum lucidum, l’humain voit mal au crépuscule et plus encore la nuit. C’est pourquoi, il est nécessaire de recourir à l’éclairage artificiel aux multiples usages. Cette nécessité oblige, dès notre plus tendre enfance, à éduquer, améliorer et protéger nos performances visuelles.
La lumière est indispensable au développement correct de notre vision. À notre jeune âge, un œil qui ne voit pas devient amblyope. En conséquence, de manière définitive si aucun traitement n’est apporté au plus tôt, il conserve une différence de capacité visuelle par rapport à l’œil controlatéral. Ensuite, à l’âge scolaire, un mauvais éclairage entraîne moins de troubles visuels que des difficultés de lecture et d’apprentissage accompagnées de céphalées. Cet éclairage doit être adapté aux caractéristiques des pièces, notamment des salles de classe, pour ne pas être éblouissant ou ne pas se réfléchir sur les tableaux. Il doit également éviter que les enfants ne créent des ombres portées sur leur zone de travail. Le judicieux positionnement des sources lumineuses, naturelles ou artificielles, est donc indispensable (en intégrant la taille de l’enfant), de même que la nature des surfaces ou des tables. Un tel souci d’adaptation de l’éclairage se retrouve également dans les lieux de sport où interviennent les scolaires1. Une autre particularité caractérise le développement de la vision à cet âge. « L’éclairage artificiel ne peut pas totalement remplacer l’éclairage naturel », rappelle le Dr Christophe Orssaud. En effet, il est démontré qu’il existe une corrélation négative entre le temps passé en extérieur et l’évolution de la myopie. « Moins un enfant joue ou travaille à la lumière naturelle, plus il risque de devenir myope », prévient le président du collège « Santé » de l’AFE, en se référant au problème de santé publique posé en Asie où la prévalence de la myopie avoisine les 70 %. « Les écoles s’équipant, à présent, de larges baies vitrées laissant entrer la lumière du jour (tout en en maîtrisant les effets négatifs thermiques et éblouissants), la myopie commencerait à régresser ».
ÉCLAIRER POUR MIEUX VIVRE LA NUIT
La nuit, et lors de variations saisonnières, sans éclairage artificiel, il ne serait pas possible de travailler ou de se distraire. Qui plus est, ce ressenti d’insuffisance de lumière varie avec l’âge, car, en vieillissant, l’œil a besoin d’une intensité lumineuse de plus en plus importante pour effectuer des tâches, domestiques et professionnelles, notamment en vision de près telles que la lecture mais aussi des tâches de précision. L’éclairage doit ainsi être adapté aux « persistants »2 dans les bureaux, les zones de travail ou les loisirs et, plus généralement, à toute la population, âgée ou non3. Il est également conseillé aux personnes « âgées » de s’équiper d’une lampe suffisamment intense pour éclairer les surfaces de lecture ou de travail. Par ailleurs, l’éclairage artificiel a également permis d’occuper des zones habitables qui ne reçoivent pas la lumière du jour. « De nos jours, combien de salles de bains, escaliers, caves ou parkings ne sont accessibles que grâce à la lumière électrique…», constate le Dr Christophe Orssaud.
ÉCLAIRAGE ET SÉCURITÉ
Incontestablement ; l’éclairage participe à l’amélioration de la sécurité au sens large. Au niveau domestique, il permet de réduire le risque d’accidents multiples et sécurise la prise de médicaments, bon nombre de personnes confondant la couleur des comprimés ou ne parvenant pas à lire le nom du produit sur le flacon. Lors des déplacements, la qualité de l’éclairage représente, également, un facteur important de sécurité domestique. Par exemple, des contrastes, non assez marqués au bord d’un tapis, sont causes d’accidents et il est prouvé qu’un mauvais éclairage intérieur est source de chutes chez les personnes âgées (voir encadré). « Agir sur l’éclairage naturel ou non permet de maintenir ses personnes à domicile, ce qui est une priorité actuelle des collectivités. »
L’éclairage urbain joue un rôle identique, « une qualité optimale étant toutefois plus difficile à déterminer ». Il ne doit pas être trop intense, pour ne pas générer de pollution lumineuse, tout en devant être suffisamment homogène pour ne pas entraîner d’alternance de zones sombres et éclairées, source d’inconfort et de difficultés pour les personnes victimes d’un handicap visuel. Pour les automobilistes, un problème identique se pose à la sortie des tunnels : soit ils retrouvent une route non éclairée de nuit ; soit ils sont éblouis par la lumière du jour après avoir circulé dans un tronçon particulièrement sombre. « L’éclairage routier ne doit donc pas être éblouissant, les spécialistes de l’éclairage des véhicules connaissant les règles et mesures à prendre pour améliorer la sécurité à la conduite. »
Enfin, l’éclairage urbain rassure la nuit et beaucoup préfèrent éviter les ruelles sombres, synonymes de « coupe-gorge ». « Cet argument est souvent mis en avant par les opposants à une extinction des lumières la nuit. »
PRÉVENTION
L’AsnaV (Association pour l’amélioration de la vue) et l’AFE ont lancé une campagne visant à informer les personnes âgées et leur entourage de l’importance d’optimiser l’éclairage pour prévenir les accidents domestiques.
Une telle action vise également à favoriser le maintien à domicile de ces personnes. Par ailleurs, l’AFE a également édité des fiches de recommandations portant sur l’éclairage de différents locaux.
QUID DE NOTRE HUMEUR ?
La lumière n’a pas que des effets visuels, la quantité de lumière reçue étant importante pour le fonctionnement de notre organisme.
Prenons exemple sur la flore. Faut-il rappeler, qu’outre la baisse des températures, c’est la diminution de la durée des jours qui entraîne la chute des feuilles ? C’est pourquoi certaines persistent sur les arbres lorsqu’elles sont situées près d’un lampadaire mimant ainsi un éclairement estival.
«Il en est de même pour notre psychisme. » Le rôle positif de la lumière bleue diurne sur la régulation de l’humeur est bien connu. Aussi, la diminution de la durée de l’éclairage naturel, associé à un temps gris peu lumineux (et donc pauvre en courtes longueurs d’onde), explique les dépressions saisonnières, notamment en automne et en hiver. La luminothérapie, appliquée le matin, est efficace pour prévenir ou traiter ce trouble de l’humeur. Toutefois, il ne faut pas utiliser un tel éclairage thérapeutique l’après-midi au risque d’avoir des effets inverses ou d’aggraver les troubles du sommeil de la dépression.
Par ailleurs, la lumière du jour constitue l’un des facteurs permettant de réguler l’horloge interne. En l’absence de repères liés à cette lumière, notre organisme fonctionne sur un rythme d’un peu plus de 25 heures. « Il est classique de dire, sans que cela n’ait été formellement démontré, que les personnes âgées, victime d’une cataracte sévère altérant la perception lumineuse, perdent la notion de jour et de nuit et ont tendance à glisser vers une démence », souligne le Dr Christophe Orssaud en rappelant que l’opération de la cataracte améliore leur capacité visuelle et, de ce fait, améliore leur état psychique. La sécrétion de mélatonine obéit à l’horloge interne et à la diminution des courtes longueurs d’onde dans la lumière naturelle, le soir. Un éclairage artificiel trop froid en fin de journée provoque un décalage de la sécrétion de cette hormone. C’est pourquoi des éclairages dits « intelligents » peuvent moduler la composition de la lumière en fonction de l’heure de la journée et ainsi prévenir les troubles du sommeil.
Un puits de lumière, créé par une fenêtre de toit, une lampe placée dans le coin d’une pièce ou des tubes d’éclairage installés sur un mur représentent autant d’éléments lumineux décoratifs participant peu à l’amélioration de la vision. L’éclairage joue un rôle identique dans les vitrines des boutiques, surtout en période des fêtes de fin d’année. Cette esthétique représente également une manière d’attirer la clientèle sensible à ces éléments. La décoration de nos rues lors de ces mêmes fêtes est aussi un moyen d’égayer le quotidien « mais il ne présente aucun intérêt au niveau de la qualité de l’éclairage urbain », regrette-il.
Jacques Darmon
1 L’AFE a publié plusieurs recommandations portant sur ce sujet.
2 Nom donné, par les assureurs, aux retraités continuant à exercer. On en compte déjà un demi-million en France.
3 Voir LUX n° 305, janvier-février 2010, p. 23.
