« Mieux comprendre la nuit pour écrire de nouvelles expériences nocturnes »

Il y a près de quatre ans, Nicolas Houël a créé l’Observatoire de la Nuit, agence de conseil en sobriété lumineuse. Quelle réflexion l’a conduit à lancer cette innovation et comment a été accueillie cette initiative qui, aujourd’hui, contribue à la (ré)écriture des expériences nocturnes de demain… en y associant décideurs, professionnels et citoyens ?

La démarche ayant conduit Nicolas Houël à créer l’Observatoire de la Nuit résulte de plusieurs indicateurs et options à prendre en compte : l’apparente urgence de la rénovation massive de l’éclairage public, la réduction des moyens accordés aux collectivités, l’accélération des innovations techniques et technologiques, la difficulté des arbitrages politiques entre sécurité, maîtrise de l’énergie, préservation de la biodiversité, qualité de vie nocturne en milieu urbain et rural. « Cette multiplication m’a encouragé à proposer, aux collectivités et aux acteurs privés, un travail de conseil équilibré et soutenu par la science », rappelle-t-il. Ce projet reste le suivant : « La filière éclairage rencontre de profondes mutations, les innovations industrielles et numériques étant désormais résolument liées à l’écriture des récits et expériences nocturnes des territoires. » Il entend ainsi que la seule annonce politique d’économies d’énergie et de préservation de la biodiversité, bien sûr indispensables, « ne réussit à interpeller qu’une partie des décideurs et des citoyens. En revanche, si nous nous interrogeons pour savoir quelles expériences nocturnes offrir à nos concitoyens et quels témoignages ils peuvent nous apporter, nous atteignons une dimension insoupçonnée et pourtant sensible, résolument intime, essentielle et universelle ». D’où la volonté de Nicolas Houël d’accompagner les territoires dans la définition de leurs stratégies d’aménagement nocturne en arbitrant entre les indicateurs favorables à l’énergie et à l’environnement et ceux relatifs aux perceptions des populations.

COMPRENDRE LE FONCTIONNEMENT D’UN TERRITOIRE LA NUIT

Les retours favorables d’expériences de clients et interlocuteurs de L’Observatoire de la nuit sont aujourd’hui unanimes. « Ils retrouvent dans notre accompagnement un environnement d’information, d’expression et de débat rarement rencontré, leur permettant d’acquérir des connaissances objectives et structurées portant sur la nuit et sur l’éclairage artificiel tout en parvenant à saisir et à transmettre la dimension nocturne, personnelle et collective, de leur territoire. » Pour leur part, les décideurs y rencontrent « l’opportunité d’écrire un récit local » allant au-delà des éléments génériques transposables quel que soit le territoire. Par ailleurs, la démarche suscite la curiosité car il est encore rare de « parler de la nuit » lorsque l’on aborde la question de l’éclairage, traditionnellement rattachée à la voirie en collectivité. « Cet effet de surprise, stimulant et dynamique, favorise le déploiement de nos méthodologies ainsi que de nos outils d’analyse et d’écriture des expériences nocturnes territoriales », souligne Nicolas Houël (voir encadré).


Nicolas Houël a créé l’Observatoire de la nuit
à la suite de la thèse de doctorat réalisée auprès
des équipes de Dany Joly, responsable du
service EPICE (Éclairage public et infrastructure de communications
électroniques à Nantes Métropole) et du
laboratoire de recherche scientifique Ambiances, Architectures Urbanités,
de l’ENSA Nantes, au sein duquel il est désormais chercheur-associé.

À QUI S’ADRESSE AUJOURD’HUI LA DÉMARCHE ?

La démarche s’est construite au fur et à mesure de ses itérations en visant une cible prioritaire : celle des décideurs et services techniques associés aux citoyens. Les acteurs de la filière éclairage, à l’image des industriels et des concepteurs lumière, sont quant à eux concernés dès que sont organisées des démonstrations d’équipements d’éclairage ou que la démarche explore localement la mise en valeur architecturale, urbaine et paysagère. « Par exemple, dans le cadre du MPGP (Marché public global de performance) de Mulhouse1, nous avons travaillé avec Les Éclairagistes Associés (LEA). Notre intervention consistant à explorer, conjointement avec les habitants, les sites de la ville où la mise en valeur lumineuse manquait. L’objectif consistait, ensuite, à les intégrer dans la démarche créative de l’équipe de conception lumière », explique le fondateur de l’Observatoire de la Nuit. En un an, ont été organisés quatre ateliers citoyens autour des enjeux locaux liés à la biodiversité, à la mobilité et à la mise en valeur du patrimoine pictural et architectural remarquable de la ville.

© Jean-Baptiste Guerlesquin

DE MULHOUSE À LA ROCHE-SUR-YON

En plus du MPGP de Mulhouse, L’Observatoire de la Nuit a gagné deux autres projets significatifs mobilisant décideurs et acteurs d’un territoire, notamment ceux de La Roche-sur-Yon. Le premier, en 2021 et 2022, mené auprès de sept Parcs naturels régionaux et nationaux du Massif central, a porté sur une mission de sensibilisation d’une trentaine d’acteurs privés de ces territoires engagés dans la sobriété lumineuse. « Nous les avons accompagnés pour élaborer des plans de gestion et de rénovation adaptés de leur éclairage artificiel, de manière à trouver le meilleur équilibre entre leurs activités professionnelles et les enjeux de chaque parc, tout en préservant l’environnement nocturne », commente Nicolas Houël qui considère que les connaissances acquises lors de ce projet sont pour certaines à l’origine d’une partie des méthodes et outils développés aujourd’hui et déployés lors de l’ouverture de nouveaux projets.
« Toutefois, notre réalisation aujourd’hui la plus aboutie concerne l’accompagnement de la création de l’ambassade nocturne de la ville de La Roche-sur-Yon », considère Nicolas Houël. Cette dernière a fait suite à une mission de conseil traditionnelle, attachée aux enjeux énergétiques, via laquelle L’Observatoire de la nuit a établi un plan d’extinction de près de 70 % du parc de la ville. Cette démarche énergétique a motivé l’équipe municipale à davantage explorer l’approche nocturne de son territoire. En conséquence, cinq ateliers ont été conçus, destinés à confronter la stratégie d’extinction initiale aux habitudes et besoins des habitants. « Nous avions édicté deux règles du jeu : n’étaient traités que les besoins collectifs (accès aux équipements publics, sécurité dans les mobilités, etc.). Ensuite, chaque point rallumé était compensé par un point éteint ailleurs en ville. » Cette solution ayant parfaitement fonctionné, la ville de La Roche-sur-Yon dispose désormais d’un Schéma concerté d’ambiances nocturnes (SCAN) et d’une équipe de citoyennes et citoyens formés aux enjeux locaux de la nuit.

Obscura, l’outil de simulation temps réel d’ambiances lumineuses
« Obscura, c’est le rêve de l’adolescent que j’étais dans les années 2000. À savoir, disposer d’un terrain de jeu numérique pour y représenter tous les scénarios possibles. » En développant L’Observatoire de la nuit, l’importance des outils numériques s’est vite imposée à Nicolas Houël. Les environnements numériques existants sont principalement dédiés à l’ingénierie de l’éclairage, et déterminent le parcours numérique d’un acteur de la filière éclairage, qui doit assurer la maîtrise de nombreux logiciels, parfois complexes. « De toute évidence, cette complexité limite les démarches d’information et de pédagogie façonnant l’avenir de l’éclairage, d’autant plus que les durées accordées aux études d’éclairage, toutes typologies confondues, se réduisent au rythme des baisses de financement », considère-t-il, en regrettant que la diminution de la durée accordée à la conception, à la représentation et à la révision des études d’éclairage, laisse parfois peu de temps à l’exploration de nouvelles orientations et à la prise de risque. En réponse, est proposé le logiciel Obscura, permettant la centralisation de l’ensemble des étapes d’un projet d’éclairage (modélisation, conception lumière, mesures photométriques, édition de rapports et d’images de communication) et leur exécution en temps réel. « Les professionnels de la filière retrouvent ainsi un temps précieux qu’ils peuvent réinvestir dans ce qui fait l’essence de leur métier : la conception d’ambiances lumineuses de qualité », estime Nicolas Houël.
En parallèle, le logiciel permet d’assurer une mission pédagogique auprès des décideurs, en permettant de rendre accessible les caractéristiques techniques de l’éclairage. La température de couleur, l’abaissement, la puissance installée, la hauteur de feu, la répartition du flux sur la chaussée ou le niveau d’éclairement représentent autant d’indicateurs essentiels indispensables à rendre visuels et dynamiques. « Ainsi, conclut Nicolas Houël, nous présentons désormais à nos clients des scénarios 3D intégrant les luminaires des fabricants, scénarios dans lesquels nous faisons varier les indicateurs cités. Nous réalisons ainsi d’une pierre deux coups : nos clients découvrent ou consolident le langage de l’éclairage, tout en participant à la conception des ambiances nocturnes de leur territoire, ils deviennent dès lors capables de contribuer au projet global de sobriété lumineuse. »
  1. Attribué début, début 2023, au groupement des entreprises Citeos Ingénierie IDF&Est et SPIE CityNetworks, l’appel d’offres, d’une durée globale de 15 ans, implique plusieurs sous-traitants dont l’agence de conception lumière LEA, pour la direction artistique, et l’Observatoire de la Nuit pour les démarches de pédagogie et d’implication des Mulhousiens.

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