L’Hexagone peut s’appuyer sur ses figures de proue rassemblées au sein de l’ACE pour réfléchir et faire émerger un enseignement adapté aux spécificités de la conception lumière.
L’émergence du métier de concepteur lumière, sa structuration et ses missions ont d’abord été analysées par la thèse pionnière de Sandra Fiori1, soutenue en 2001, intitulée « La représentation graphique dans la conception du projet d’éclairage urbain ». Prenant, comme argument de départ, la difficulté qu’il y a à représenter la lumière sans ses dimensions quantitatives et sensibles, Sandra Fiori décrit ce qui fait la spécificité de la conception lumière et trace les contours d’une profession dont le rôle s’affirme de plus en plus, en contraste d’approches plus techniques et normatives.
Par ailleurs, la figure dominante de Roger Narboni, qui sait théoriser et promouvoir la lumière comme incontournable à la conception des espaces, va entraîner une cohorte de talents professionnels, caractérisant « l’École française de la lumière », constitués de profils variés et contrastés reflétant la diversité des approches et des pratiques. Il a donc été légitime que la profession, réunie au sein de l’ACE (Association des concepteurs lumière et éclairagistes), s’interroge à propos de la définition d’une formation spécifique à la lumière, en regrettant que dans les écoles, pas seulement dans les écoles d’architecture, existent peu de spécialisations. Pourtant, l’hétérogénéité disciplinaire de la communauté professionnelle, formée d’ingénieurs, d’artistes, de techniciens, d’architectes, prouve que si la lumière représente le point de convergence, les origines et donc les approches peuvent être multiples.
VERS UN MASTER ?
Aussi, l’idée de concevoir un programme au niveau Master unifiant le socle commun de la conception lumière, permet d’interroger les compétences et les connaissances à maîtriser afin de les organiser au sein d’une formation. « L’objectif, rappelle Laurent Lescop, est d’utiliser une dénomination liée à la pratique au sein d’un enseignement. Les deux mots-clés – conception et lumière – ouvrent à l’idée d’invention, voire d’innovation du matériau lumière plutôt que du médium lumière. » Ainsi, durant plusieurs années, de longs échanges avec la profession ont été menés pour l’élaboration d’un programme pédagogique de niveau Master qu’aurait pu accueillir l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Le travail a été entrepris par l’ACE et développé par Claudia Enrech, alors directrice des études à l’Ensa Nantes et spécialiste également de la lumière, cette architecte a consacré sa thèse, soutenue en 1999, à la « Simulation de la lumière naturelle par des sources artificielles : enjeux architecturaux ». À la suite de son départ, le projet a été repris par l’architecte Laurent Lescop, dont la thèse, également soutenue en 1999, portait sur « La représentation des ambiances », thèse au sein de laquelle la question de la conception lumineuse est largement abordée.
INVESTIR LE 3e CYCLE
De fait, le vrai espace à investir dans les écoles est celui du 3e cycle. Si l’Ensa de Nantes est identifiée comme école où la question de la lumière, naturelle ou artificielle, est traitée, c’est parce que s’y trouve le laboratoire Crenau2 anciennement Cerma, au sein duquel se sont formés et spécialisés bon nombre de diplômés en architecture qui, ensuite, se sont lancés dans l’aventure de la thèse. C’est ainsi que les diplômées et diplômés, entre 1998 et 2005 ont été pour beaucoup recrutées et recrutés dans les écoles et y ont installé des points d’excellence concernant la lumière.
Ainsi à Lyon, Grenoble, Toulouse, Strasbourg et à Nantes, cette génération a désormais la capacité d’accompagner de nouvelles thèses portant sur la lumière et de « mettre sur le marché » des professionnels formés au projet et disposant d’une spécialisation lumière de haut niveau. Le passage par le doctorat traduit, peut-être, la nouvelle complexité dans laquelle s’implique la question de la lumière, cette complexité nécessitant probablement une forme d’autonomie disciplinaire déjà évoquée dans ce dossier.
À présent, les projets architecturaux et urbains ne se font plus (ou moins) avec l’autoritarisme des sachants. En effet, la recherche du consensus commande la plupart des montages de projets imposant, à la fois, une démarche de justification des choix et la prise en compte d’un spectre large de thématiques. « Les installations lumineuses n’y échappent pas ! Elles doivent aujourd’hui faire la preuve qu’elles ne dégraderont pas l’écosystème et qu’elles investissent dans ce sens, tant en extérieur qu’en intérieur », suggère Laurent Lescop.
1 Sandra Fiori est maître de conférences des Ensa. Elle enseigne à l’Ensa Lyon depuis 2009 au sein des champs disciplinaires Villes et territoires et Sciences humaines et sociales pour l’architecture.
2 Le Crenau (Centre de recherches nantais d’architectures urbanités) constitue l’équipe nantaise du laboratoire AAU (Ambiances architectures urbanités).