Dans un contexte où les transports représentent, en France, un tiers de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, la mobilité électrique est devenue un enjeu majeur de la transition écologique. Dans ce contexte, tout candélabre existant peut-il devenir un point de recharge. « Oui, à condition de respecter plusieurs spécificités », répond Guillaume Le Bris qui, sous la responsabilité d’Yves Raguin, est chargé de mission Éclairage Public au sein de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies).
La loi de transition écologique pour une croissance verte (TECV) a pour objectif l’installation de 7 millions de points de recharges pour les véhicules électriques (VE) et les véhicules hybrides rechargeables (VHR), afin de servir un parc automobile VE/VHR de l’ordre de 3,6 à 4,3 millions de véhicules à l’horizon de 2030. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 (dite loi LOM) vise, quant à elle, à améliorer les déplacements du quotidien, les rendre plus propres et moins onéreux tout en résorbant, en particulier, les zones blanches. La loi LOM a également pour objectif de permettre l’émergence de nouvelles solutions de mobilité, en profitant, à la fois, des nouvelles formes de mobilité (covoiturage, flottes en libre-service, véhicules autonomes…) et des nouvelles offres multimodales. Enfin, suite au lancement du Plan de relance érigeant la transition écologique comme un axe stratégique de développement, les pouvoirs publics ont renforcé le plan de soutien à la filière automobile afin d’accélérer l’adoption du véhicule électrique ou hybride rechargeable par le plus grand nombre.
OBJECTIF 100 000 BORNES
Devant cette émergence, il devient nécessaire de garantir, à tous, un accès facile à un point de charge réparti sur l’espace public, l’ensemble des utilisateurs ne disposant pas de place de stationnement à leur domicile. C’est pourquoi, l’une des mesures phare du Plan de relance est le plan « Objectif 100 000 bornes » consistant en la mise en place de 100 000 points de recharge ouverts au public d’ici la fin 2021.
À ce jour, la France compte environ 30000 bornes ouvertes au public, dont près de 70 % ont été déployées par les collectivités et des syndicats d’énergie, elles répondant à différents besoins tel celui de charge principale, mais aussi occasionnelle. C’est pourquoi les véhicules électriques peuvent se charger sur une simple prise électrique (type E) ou sur une borne raccordée au réseau électrique (prise T2). Les besoins étant différents, on trouve aujourd’hui :
- des bornes délivrant de faibles puissances (3 kVA) ;
- une large prépondérance de bornes dites classiques (18 à 22 kVA) assurant une charge lente ponctuelle ou plus longue pendant la nuit ;
- enfin, des bornes de fortes puissances (jusqu’à 350 kVA) permettant une charge rapide, voire très rapide, à l’aide de super chargeurs.
Au-delà des aspects techniques, l’installation des bornes de recharge sur l’espace public mérite d’être observée sur le plan économique, d’autant plus que la couverture du territoire se doit d’être homogène afin de rassurer les utilisateurs au niveau de leurs déplacements.
De plus, outre le prix de la borne, le coût de l’opération de raccordement au réseau électrique doit être maîtrisé non seulement pour son gestionnaire ainsi que pour la collectivité. « Aussi, il est nécessaire de favoriser l’émergence de schémas de raccordement moins coûteux et plus rapides à mettre en œuvre », estime Guillaume Le Bris.
RATIONALISER L’OCCUPATION DU DOMAINE PUBLIC
Une solution pertinente permettant de répondre à ces deux critères consiste à raccorder de nouvelles bornes de recharge ouvertes au public sur le réseau d’éclairage public (EP) existant. Des expérimentations prônant différents schémas de raccordement, ayant reçu l’approbation de la CRE (Commission de régulation de l’énergie), ont ainsi été menées dans le Pas-de-Calais et en Vendée par les deux pionniers que sont les Autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE) de la FDE 621 et du SyDEV2.
« Cette solution innovante et alternative permet de rationaliser l’occupation du domaine public », estime Guillaume Le Bris, en rappelant que, l’encombrement de l’espace public étant au cœur des priorités des collectivités, « elles sont de plus en plus réticentes à installer du mobilier urbain supplémentaire ». Les bornes de recharge étant directement fixées sur le fût des mâts d’éclairage existants (ou avec des prises intégrées dans le mât sur les nouveaux modèles de mobilier urbain), le gain d’espace est immédiat même si cette solution présente la contrainte de ne pouvoir accueillir que des bornes de petites puissances (3,7 ou 7,4 kVA). Toutefois, elles s’avèrent particulièrement adaptées pour la recharge associée à du stationnement de moyenne durée dans les zones résidentielles ou dans les zones d’activité. De plus, les coûts en termes de génie civil sont limités ou quasi inexistants, le réseau d’alimentation électrique et les supports des bornes étant déjà présents. Ce qui permet des économies substantielles en termes d’investissement lors du déploiement.
CONCERTATIONS
Afin de respecter la directive Européenne 2014/94/EU2 (article 4-8), l’opérateur des bornes de recharge doit pouvoir choisir son fournisseur d’énergie. Un dispositif de comptage doit donc être installé par le gestionnaire de réseau (GRD) en amont du raccordement de la borne de recharge. La mise en place du dispositif se fait via une prestation de « décompte », le PDL (point de livraison) existant étant celui affecté à l’éclairage public. Ce qui implique la mise en place d’accords et de dispositions contractuelles, entre le titulaire du PDL d’éclairage public (le plus souvent la collectivité) et l’opérateur des bornes de recharge, pour prendre en compte, notamment, les éventuels surcoûts liés à la puissance et générés par le projet. Dès lors, le réseau d’éclairage public est en capacité de répondre en partie aux besoins de déploiement d’infrastructures de recharge de véhicules électriques et concourir à l’objectif des 100000 bornes. Aujourd’hui entre 2 et 5 % des candélabres répondent aux critères d’éligibilité présentés ci-dessus, ce qui représente au minimum environ 200 000 mâts. Mais cette perspective de déploiement de bornes de recharge pour véhicules électriques passe, avant tout, par la coordination et le partage d’informations de la part de l’exploitant du réseau d’éclairage public concernant les lieux le plus pertinents pour accueillir des bornes de recharge. Autre rouage essentiel à la bonne marche de ce déploiement : la collaboration entre les différents acteurs en passant par l’installateur et l’opérateur des bornes de recharges, l’exploitant du réseau d’éclairage public, le gestionnaire de réseau de distribution et la collectivité.
VERS LA SMART CITY
Au-delà du raccordement des bornes sur le réseau d’éclairage public, l’apport des infrastructures d’éclairage à l’usage de la Smart City peut permettre d’être vecteur d’informations supplémentaires pour les IRVE. La présence de capteurs (comme des détecteurs de présence, des radars, les caméras de vidéoprotection…) positionnés sur les mâts d’éclairage, couplés à un protocole de télécommunication relayé par des passerelles jusqu’à un serveur, peut permettre le transfert de données. Il devient alors possible de connaître les horaires auxquels les bornes de recharges sont utilisées, la durée de l’utilisation, la disponibilité des places de stationnement à proximité des bornes… L’ensemble de ces informations peuvent ensuite être relayées aux utilisateurs via des panneaux à messages variables (PMV) pouvant être installés sur les mâts, dans la commune, ou encore via des applications pour smartphone. « Ces solutions anticipent ainsi de belles perspectives d’innovation », conclut Guillaume le Bris.
JD
1 FED 62, Fédération départementale d’énergie du Pas-de-Calais.
2 SyDEV, Syndicat départemental d’énergie et d’équipements de la Vendée (Voir LUX 292, mai-juin 2017).
QUATRE CONDITIONS D’INSTALLATION Tout candélabre existant ne peut s’avérer devenir un point de recharge adéquat pour accueillir une borne. Quatre conditions spécifiques doivent principalement être respectées : – L’emplacement ou la situation : le candélabre servant de support à la borne de recharge doit être situé à proximité d’une place de stationnement sans que son utilisation n’entrave le cheminement des piétons (l’utilisation du câble d’alimentation entre la borne et le véhicule doit permettre la libre circulation sur le trottoir). Or, trop fréquemment, les candélabres sont situés en « fond de trottoir », ce qui s’avère difficilement opérant pour la recharge ; – La robustesse : le mât d’éclairage doit être dans un état correct afin de pouvoir supporter mécaniquement le poids de la borne. De la même, l’encombrement dans l’armoire d’éclairage doit être suffisant pour accueillir de nouveaux organes de coupure. – Le raccordement : différents modes de raccordements sont envisageables, l’un d’entre eux nécessitant l’alimentation de la borne depuis un nouveau câble dédié depuis l’armoire. Ce qui suppose une réutilisation des fourreaux existants (protégeant les câbles du réseau d’éclairage public) et donc un espace suffisant dans ces fourreaux pour y faire transiter le nouveau câble afin d’éviter les travaux de génie civil. Cette solution favorise donc l’utilisation des candélabres situés à proximité de l’armoire d’éclairage. – La puissance disponible : l’armoire, elle est probablement le critère le plus discriminant vis-à-vis de la mutualisation des réseaux EP et IRVE (infrastructures de recharge pour véhicule électrique). En effet, de manière générale, les puissances souscrites des points de livraison (PDL) des armoires d’éclairage public sont souvent proches de celles des puissances raccordées sur l’infrastructure. L’ajout d’une borne de recharge implique une augmentation de la puissance souscrite (sauf si la borne fonctionne en dehors des heures de fonctionnement de l’éclairage), voire dans certains cas de l’appareil général de commande et de protection. Selon le type de raccordement choisi, il faudra donc remplacer et/ou ajouter des protections différentielles dans l’armoire (calibre et sensibilité différents) et vérifier, par des notes de calcul, que la section de câble soit suffisante pour supporter l’alimentation de la borne afin d’éviter des chutes de tensions ou des surintensités… et être conforme aux normes NF C 15-100 et 17-200. |