La fée électricité – la révolution industrielle (L’« Odyssée de l’éclairage » 2/3)

Auteur : Dr Laurent Canale, Centre Nationale de la Recherche Scientifique, (CNRS), Laboratoire LAPLACE, UMR 5213, Toulouse, France

I. Introduction

Figure 1. Le Siècle des Lumière, une révolution plurielle

Comme le feu, la foudre inspire peur et fascination : la peur, par ses dangers, mêlée d’une fascination pour cette lumière quasi-mystique tombée sur ciel aussi soudaine qu’intense, violente et dangereuse. A l’instar des causes inexpliquées, elle a été associée à des dieux, Zeus ou Jupiter chez les Grecs et les Romains, Illapa chez les incas, Thor en Scandinavie ou encore Indra en Inde. A l’inexplicable, on répond par l’inexplicable et au XVIIème siècle, Spinoza, très en avance sur son temps, s’y opposera en abordant le principe de causalité.

En Europe, l’obscurantisme fait place au Siècle des Lumières, l’électricité fait son chemin, l’éclairage au gaz se développe, la lampe à huile évolue et la lampe à acétylène apparait.

Colbert fonde l’Académie des Sciences en 1666, la science moderne fait son entrée dans les salons et devance la révolution industrielle. Le XVIIIème siècle se réveille entre évolutions et révolutions autant politiques et sociales que technologiques. Les sources de lumière ont leur lot d’innovations et l’électricité n’en est qu’à ses balbutiements.

II. Bougies, Lampes à huile, à gaz, à carbure : une flamme qui ne s’éteint jamais

La symbolique de la flamme est profondément ancrée dans l’histoire de l’humanité et répandue à travers le monde quel que soit le continent, l’époque ou la culture. La flamme d’une bougie est autant associée à la vie, à l’amour qu’au sentiment d’éternité. Elle accompagne les dîners aux chandelles autant que les anniversaires ou la tombe du soldat inconnu sous l’arc de triomphe. Elle est symbole d’amour (tout feu tout flamme, déclarer sa flamme), de recueillement ou de paix comme pour la flamme olympique. Si sa fonction stricte de source d’éclairage n’a plus de raison d’être au XXIème siècle, elle est de ces flammes éternelles qui ne s’éteignent jamais.

De la lampe à huile à la lampe à pétrole… jusqu’au milieu du XXème siècle

À la fin du XVIIIe siècle, la lampe à huile fait des progrès très significatifs.  

Figure 2. La lampe « Quinquet » (ou lampe « Argand ») réunit les trois innovations : le réservoir de Proust, la mèche et la cheminée d’Argand et Lange [2]

Joseph Proust perfectionne le réservoir en 1780, tandis qu’en Suisse, François-Pierre-Amédée Argand invente la mèche cylindrique et la cheminée cylindrique en 1782 améliorée par Ambroise-Bonaventure Lange : le résultat est spectaculaire, la lampe ne fume plus et éclaire cinq fois plus qu’une lampe ordinaire.

En février 1784, un pharmacien parisien du nom d’Antoine Quinquet, ami d’Argand, adapte l’invention en réunissant les innovations de Proust et d’Argand avec l’aide de Lange sur un même support et propose une lampe fortement inspirée des inventions précédentes (et qui donnera lieu à un débat sur la paternité des brevets déposés par Lange et Quinquet, Argand ayant fourni la plus grande partie des innovations) (Figure 2).

Nous aurions tort d’imaginer notre époque si différente de celle d’il y a 150 ans. Le concept de modernité n’est que le reflet nombriliste d’une pensée réduite à l’expression de l’ego. Les préoccupations d’alors sont en effet les mêmes que celles d’aujourd’hui et qui se poursuivront après nous. Nous serions surpris de lire exactement les mêmes textes qu’à l’arrivée de l’éclairage à LED 150 ans plus tard… : « Cette nouvelle lampe éclaire-t-elle mieux ? Est-ce plus efficace ? Consomme-t-elle moins ? » [1].

Le 26 avril 1784, Benjamin Franklin a écrit un essai spécialement pour le « Journal de Paris où il écrit, sous le nom de plume « Un Abonné » : « Quoique la lampe fût capable de produire une lumière splendide, un certain nombre de spectateurs demandèrent si le coût de l’huile qu’elle consommait ne pourrait pas l’emporter sur l’éclat accru de la lumière. Franklin était heureux de voir ce souci général d’économie. » [3]

Si les technologies évoluent, les humains n’ont pas évolué depuis des millénaires pour autant de bien que pour de mal… Il y a un endroit très particulier où l’éclairage est à la fois nécessaire et vital : les mines [4]. De 1700 à 1800, les seules sources de lumière étaient la bougie et la lampe à huile semblable à celle de l’époque romaine. Les lampes Raves « au coq » (également appelées Crézieux, Lentilles ou Grenouilles, Figure 3 à droite) se sont rapidement généralisée mais le grisou, ce gaz inflammable et explosif présent dans les mines de houilles, rend le travail terriblement dangereux (Figure 3). En 1816, Sir Humphrey Davy et George Stephenson inventent la lampe de sureté qui sera également appelée la « lampe Davy ».

Figure 3. Avec les lampes à feu nu, la présence de gaz inflammables rendait l’éclairage dans les mines extrêmement dangereux. A droite, lampe RAVES « au coq » pour l’exploitation minière. (D’après la gravure « coup de grisou », Jean Gauchard (1825-1872))

Figure 4. La lampe de Davy, alias lampe de sécurité

En ajoutant un tamis très fin, Davy isole la flamme tout en laissant l’air alimenter la flamme (Figure 4). Les lampes « Davy » ont été progressivement améliorées et on peut compter les lampes de Clanny, Mueseler, Marsaut, Wolf, Rodde, Fumat, Cevelier-Catrice, Demeure, Seippel, Koch…

Figure 5. Modèle standard de la lampe Pigeon (source Wikipédia)

Avec la découverte du pétrole et le développement du raffinage, la lampe à huile a également évolué pour devenir la lampe à pétrole inventée par les pharmaciens Ignacy Lukasiewicz et Jan Zeh en 1853 à Lwów (Lviv) en Ukraine. Beaucoup plus fluide que l’huile, le pétrole ne nécessite pas de réservoir supérieur et la mèche de coton seule permet l’apport du combustible par capillarité.

En Amérique, outre les lampes à pétrole, la lampe à essence a commencé en 1855 avec les premiers essais effectués par l’Américain Chamberlin. En France, c’est un ouvrier mineur, Alphonse Mille qui déposera le brevet d’une lampe en 1857 à partir d’un distillat de pétrole de sa fabrication appelé « gaz Mille ».

Le 21 octobre 1884, Charles Pigeon dépose un brevet pour une lampe non explosive, esthétique et peu coûteuse. Il s’agit d’une petite lampe à pétrole, la lampe « Pigeon » (Figure 5).

III. Maîtriser l’énergie du gaz

Figure 6. Un allumeur de réverbères à Londres vers 1900 (source Wikipédia)

L’éclairage au gaz est en effet l’une des formes d’éclairage à incandescence, bien qu’il ne soit généralement pas classé comme tel. Ce sont les Chinois qui ont utilisé pour la première fois le gaz naturel pour l’éclairage dès le IVe siècle av. J.-C. Entre le Ier et le IIe siècle, sous la dynastie Han dans le Sichuan, on creusait des puits de feu à partir desquels le gaz naturel était acheminé par des tubes de bambou vers des brûleurs.

En Europe, à la fin du XIXème siècle, plusieurs inventeurs se partagent la paternité du gaz d’éclairage. Entre 1785 et 1786, Philippe Lebon travaille sur les propriétés du gaz de distillation du bois et révolutionne l’éclairage urbain avec une première application pour l’éclairage de la ville de Paris après avoir obtenu le brevet pour sa « thermolampe » le 21 septembre 1799. L’Anglais William Murdoch (en 1792) améliore le système de Lebon et Londres s’éclaire à partir de 1807.

Frédéric-Albert Winsor fonde la « Gas Light and Coke Company », première société de fourniture de gaz à Londres et c’est sous son impulsion que les villes de Londres, puis de Paris, s’illuminent en 1812 (Figure 10). En 1816, à Paris, la compagnie Winsor éclaire le passage des Panoramas puis la place Vendôme en 1825, la place du Carrousel, la rue de Rivoli et la rue de la Paix suivront en 1829.

Vers 1820, les premières utilisations modernes du gaz naturel apparaissent aux États-Unis pour l’éclairage public.

En France, Louis XVIII fonde la Compagnie Royale d’Éclairage par le Gaz en 1847 et illumine une quinzaine de villes de France.

IV. La lampe à acétylène…

Cette source de lumière provient de la combustion du gaz acétylène résultant de la réaction de l’eau sur le carbure de calcium contenu dans la lampe. Il s’agit donc d’une lampe à gaz ! La lampe à acétylène a été conçue par le Français Henri de Moissan en 1892. La lampe à acétylène, aussi appelée « lampe au carbure », fut utilisée en 1902 dans les mines de fer de Lorraine (une région du nord-est de la France), et fut améliorée notamment par Joseph Mercier, ingénieur et directeur de la mine de Villerupt (France) et déposa un brevet le 9 mars 1904 (brevet n°341.065) et fonda la société de lampes « à l’étoile » (Figure 7).

Figure 7. Une lampe au carbure de Mercier avec l’étoile utilisée dans les mines de Piennes et de Landres en Lorraine (nord-est de la France) © L. Canale

Si la lampe acétylène se développe dans les mines, elle n’est pas réservée qu’aux applications industrielles et minières, elle est là partout où elle est nécessaire comme pour l’éclairage de véhicule

Dès 1895, Gustave Trouvé développe un éclairage acétylène domestique ainsi que des lanternes pour cycles et automobiles. Avec plus de 75 innovations dans des domaines aussi variés que les batteries, la lampe de sécurité, l’éclairage sous-marin, la lampe frontale, l’éclairage et les phares pour automobile, etc., Gustave Trouvé a quelque fois été associé à un « De Vinci » du XIXème siècle [7-9].

L’éclairage de véhicule est bien plus ancien qu’on ne le pense ! C’est une obligation légale imposée par Louis XV pour les véhicules dès 1746. Il s’agit alors d’éclairer les carrosses et les voitures à cheval avec des lanternes à bougies ce qui sera repris plus tard pour les toutes premières voitures automobiles. Mais les phares des premières automobiles suivent l’évolution des technologies et après les lampes à pétroles (1886-1904), les lampes à acétylène (1905-1925), les premiers phares électriques arrivent en 1912 avec le constructeur américain Cadillac sans doute un peu poussé par Edison. Mais l’état des routes et les vibrations mettent les filaments à rude épreuve et les lampes à acétylène sont mieux adaptés, plus fiable et plus robuste avec une portée phénoménale de… 2 mètres. A défaut de voir, on était au moins vu ! Alfred Monnier, figure emblématique de l’Association Française de l’Éclairage qui l’honore par un prix annuel portant son nom, sera également un grand artisan de la recherche scientifique dans le domaine de l’éclairage automobile du début du XXème siècle [10].

Figure 8. A gauche, « lampe de voiture » (Voiture à moteur Duryea de 1893), à droite, lampe à acétylène française datant des années 1910, montée sur une bicyclette. (Source Wikipédia)

V. La « Fée électricité », une révolution

Graisse, huile, pétrole, gaz… A la fin du XIXe siècle, la « fée électricité » illumine le monde comme l’avaient fait les énergies précédentes depuis des millénaires (Figure 9). Depuis la naissance de l’humanité, la maîtrise d’une nouvelle source d’énergie a été assortie d’une nouvelle source de lumière. Benjamin Franklin démontrait la nature « électrique » de la foudre… Encore restait-il à maitriser cette nouvelle énergie.

L’arrivée de l’éclairage électrique est vécue comme une révolution tant par les particuliers que par les professionnels de l’éclairage. Les lampes à décharge et à arc ouvrent le bal au début du XVIIIe siècle avec Pierre Paulinière et Francis Hawksbee. Pour la première fois, cette lumière artificielle ne vient pas de l’incandescence d’une matière, c’est une histoire qui appartient à un nouveau chapitre…

Figure 9. Illustration inspirée de « La Fée de l’Électricité » de Raoul Dufy, Exposition Universelle, Paris, 1937, © L. Canale

Il n’y aurait pas d’ampoule à incandescence sans la découverte de l’électricité. Cette découverte est attribuée au scientifique grec Thalès de Milet au VIème siècle avant JC qui fut le premier à observer les propriétés électrostatiques de l’ambre, qui est désigné par le mot « êlecktron » en raison de sa couleur dorée (le soleil étant « êlecktor ») et qui a donné son nom à l’électron. Par la suite, au XVIIe siècle, ces mêmes propriétés ont été appelées « ēlectricitās » en latin scientifique, puis « électricité » en français vers 1733. En Amérique, c’est Benjamin Franklin qui a démontré la nature électrique de la foudre en 1752, puis le physicien français Charles de Coulomb a jeté les bases des lois de l’attraction électrostatique et magnétique. En Italie, Alessandro Volta a inventé sa batterie électrique en 1800 et Peter Barlow, un mathématicien et physicien britannique, le premier moteur en 1822. Thomas Edison a construit la première centrale électrique à Manhattan le 4 septembre 1882, en même temps que l’ampoule à incandescence… L’électricité produite doit être vendue !!

Mais c’est la batterie de Volta qui a ouvert la porte à la recherche sur l’éclairage à la fois incandescent et à luminescence (lampes à arc et à décharge)…

En 1801, en faisant passer un courant dans un fil de platine, Humphry Davy (l’inventeur de la lampe de sureté) découvre que l’on peut porter un fil à incandescence et qu’il émet une lumière intense…

Figure 10. Lampe à incandescence de Grove de 1840 [11]

En 1839, Sir William Robert Grove, du Pays de Galles, améliore la pile Volta avec des électrodes en zinc et en platine exposées à deux acides et séparées par une céramique poreuse. Il a utilisé son invention l’année suivante et a inventé l’une des premières lampes à incandescence près de 40 ans avant Edison (Figure 10).

En 1860, Joseph Wilson Swan, un électricien et chimiste anglais, met au point une ampoule à incandescence qu’il a brevetée en 1878 (Figure 11).

En 1879, Thomas Edison acheta le brevet et développa la lampe à incandescence à filament de carbone. Ce filament de carbone est porté à incandescence dans un boîtier dans lequel un vide a été fait.

En 1883, afin d’éviter les dépôts de carbone du filament à l’intérieur du verre de l’ampoule, Edison place une électrode polarisée au-dessus du filament, il observe qu’un courant circule « dans l’air » et seulement lorsque l’ampoule est allumée ! Sans le savoir, il vient d’inventer le premier brevet électronique de l’histoire qui serait à l’origine des lampes radio et des radio-télécommunications.

Figure 11. Joseph Swan (1828 – 1914) et Thomas Alva Edison (1847 – 1941)

Il était inimaginable de parler d’éclairage sans parler de Lewis Howard Latimer (Figure 12). Né de parents esclaves en 1848 dans le Massachusetts, trichant sur son âge pour pouvoir s’engager dans la Marine à l’âge de 15 ans, il participe à la guerre de Sécession en 1963. Démobilisé en 1965, il intègre le cabinet de brevet Grobsy & Gould en 1868 et devient rapidement chef de service des dessins industriels. En 1874, il dépose son premier brevet avant d’être engagé pour finaliser le brevet de Graham Bell pour le téléphone la même année. En 1880, il est embauché comme assistant de direction à l’Electro-Dynamic Light Company, qui est la première entreprise à distribuer de l’électricité et à fabriquer des ampoules à incandescence. Il met au point l’ampoule à filament de carbone et dépose un brevet en 1881, puis dirige l’installation de la lumière électrique à Philadelphie et à Montréal où il apprend le français afin d’être compris par les ouvriers qu’il supervise. L’entreprise l’envoie à Londres où il met au point un nouveau schéma de câblage utilisant des circuits parallèles, qui permet de maintenir l’éclairage en cas de panne sur une ampoule.

Figure 12. Lewis Howard Latimer en 1882 et son brevet sur sa lampe électrique, le 13 septembre 1881. [12]

En 1884, il est engagé comme ingénieur par la General Electric Company fondée par Thomas Edison. Au cours de sa carrière, Lewis Howard Latimer déposera d’autres brevets notamment sur l’ampoule à incandescence. Inscrit au Panthéon des « pionniers d’Edison », Lewis Howard Latimer est sans doute le meilleur ambassadeur de ces illustres oubliés de l’histoire des sciences que le génie d’Edison a trop bien souvent éclipsé.

Le filament de carbone reste imparfait car, même dans le vide, il se sublime et se dépose sur les parois vitrées. En 1897, Walther Hermann Nernst met au point une lampe à filament en céramique, deux fois plus efficace que la lampe en carbone… Mais il faut 10 à 20 secondes de préchauffage [13]

Figure 13. Werner von Bolton (1868 – 1912), côté gauche ; Alexander Just et Franz Hanaman, à droite

En 1895, un chercheur allemand, Werner von Bolton obtient sa thèse de doctorat et travaille à Berlin pour la société Siemens fondée quelques années plus tôt en 1847 (Figure 13). En 1902, il propose le tantale comme métal pour les filaments des lampes à incandescence. Ce métal peut être chauffé à 2 990°C : ses ampoules produisent 5 fois plus de lumière que les filaments de carbone.

Figure 14. L’ampoule Just-Hanaman, Budapest, 1906.

Dès 1904, Alexander Just et Franz Hanaman, chimistes austro-hongrois, réussissent à fabriquer un filament de tungstène par agglomération de poudre, ce qui leur permet d’atteindre une température de 3 410 °C et d’améliorer encore le rendement de l’ampoule jusqu’à 5 lm/W. (Figure 14).

En 1908, William Coolidge réussit à fabriquer un filament de tungstène par filage, beaucoup plus résistant que le filament fritté (Figure 15). La température du filament peut donc être plus élevée, le rendement lumineux passe alors à 10 lumens par watt !

Figure 15. William Coolidge (1873 – 1975) (source Wikipédia)

VI. Les lampes incroyables ! Plus fort, plus grand, plus vieux !

En 1954, General Electric, la société fondée par Thomas Edison, a produit une ampoule à incandescence de 75 000 W pour commémorer le 75e anniversaire de l’ampoule à incandescence (Figure 16). Cette ampoule, de près de 200 ampères et 440 volts à 60 Hz, est la plus grande jamais construite au monde et équivaut à 1 250 fois une lampe de 60 W ou 750 000 lumens avec un filament de tungstène de plus de 1,2 kg !!

Avec une efficacité lumineuse de 3 %, cette réalisation extraordinaire n’est pas tout à fait en phase avec la tendance actuelle des ampoules à économie d’énergie…

Parmi les ampoules extraordinaires, il y a bien sûr la fameuse centenaire…

Cette ampoule électrique de la caserne de pompiers de Livermore en Californie est en service depuis 1901 !! C’est la plus ancienne ampoule encore en fonctionnement dans le monde. Elle est située au 4550 East Avenue, Livermore, Californie, elle est ouverte au public… et visible par webcam [13]

Figure 16. (a) L’ampoule exposée à la maison d’hiver et au laboratoire d’Edison à Fort Myers, FL, États-Unis. (b) La lampe fait un spectacle en 1954 (source : Collections spéciales de la bibliothèque de l’Université d’État de Cleveland)
Figure 17.  L’ampoule Centennial (filament de carbone) fabriquée par la Shelby Electric Company de Shelby, OH, États-Unis, vers la fin des années 1890 [13]

Soufflée à la bouche à la fin des années 1890 et inventée par Adolphe Chaillet, cette ampoule de 60 W alimentée en 110 V ne produit aujourd’hui que 4 W. C’est une preuve matérielle du scandale de l’obsolescence programmée mis en place par le cartel Phoebus composé de Philips, Osram, Tungsram, La Compagnie des Lampes, Associated Electrical Industries et General Electric entre 1924 et 1939 se terminant par un procès retentissant aux États-Unis en 1949. Ces fabricants s’étaient concertés pour fabriquer des lampes ne dépassant pas 1500 heures…

VII. Arc et décharge, la foudre dans une bouteille

Figure 18. Lampes à décharge : l’éclair dans une bouteille ! Tous droits réservés Bryan Allen Art https://fineartamerica.com/profiles/bryan-allen

Il n’est pas possible de retracer en quelques lignes toutes les découvertes scientifiques et les inventions technologiques qui ouvrent la voie à l’histoire des lampes à décharge et des lampes à arc, tant elle est riche et prolifique. Mais nous allons essayer !

Au début du XVIIIe siècle, Pierre Polinière, en France, et Francis Hauksbee en Angleterre découvrent la lumière électrique en même temps en créant des décharges issues de la production d’électricité statique [15, 16].

Un siècle plus tard, en 1800, Alessandro Volta invente sa pile électrique, qu’il présente la même année à la Royal Society de Londres et l’année suivante à l’Académie des Sciences de Paris devant Napoléon Bonaparte. C’est une invention qui ouvre la voie à beaucoup d’autres, notamment dans le domaine de l’éclairage…

Si Davy fut l’un des initiateurs des lampes à incandescence et de la lampe (à huile) de sureté (voir les paragraphes précédents), il fut aussi un chimiste important en isolant de nouveaux éléments comme le magnésium, le calcium, le sodium ou le potassium et découvrit également les propriétés euphorisantes du protoxyde d’azote (aussi appelé « gaz hilarant »… preuve que la science est à la fois passionnante et amusante). Dans le domaine de l’éclairage, après l’incandescence et la lampe de mineur « Davy » en 1817, il fut également l’un des pionniers de la lampe à décharge.

En 1809, Sir Humphry Davy produit de la lumière avec le premier arc électrique artificiel grâce à l’invention de Volta devant la Royal Society de Londres [17] (Figure 19).

Figure 19. La lampe à décharge à arc et Sir Humphrey Davy (sources : Wikipédia; “Le règne de l’électricité” (“the reign of electricity”) – Gaston Bonnefont – 1895), “La Lumière Électrique” (« Electric Light ») by Em. Alglave et J. Boulard, Librairie Firmin-Didot et Cie Paris 1882.).

Il crée ainsi un arc électrique à l’origine d’une étincelle continue et aveuglante à l’aide de deux barres de charbon placées l’une en face de l’autre reliées à une batterie électrique de 2000 cellules. On estime qu’il en coûtait six dollars la minute pour faire fonctionner ce précurseur de l’éclairage électrique moderne !

Figure 20. L’illumination de la place de la Concorde à Paris (France) en 1844 par Léon Foucault. [18]

Mais les électrodes en carbone des lampes à arc s’usent rapidement et pour maintenir un éclairage constant, une distance constante entre les électrodes doit être maintenue, ce qui conduit à des dispositifs et des mécanismes d’horloge géniaux mais extrêmement complexes qui rendent les lampes difficiles à utiliser et peu propices à une large distribution.

Depuis 1816, Paris expérimente et développe l’éclairage urbain, ce qui donnera à cette ville le surnom de « Ville Lumière » qui n’a cessé de perdurer et de traverser les frontières (Figure 20).

En 1867, le physicien Edmond Becquerel fait la démonstration de la première lampe fluorescente

Sur la base du tube de Geissler inventé en 1857, le physicien britannique William Crookes a inventé, en 1869, le « tube de Crookes », l’un des premiers tubes à décharge électrique expérimentaux. Alors que William Röntgen a découvert les rayons X grâce au tube de Crookes, Edison a inventé la lampe fluorescente à partir d’un tube à rayons X de Röntgen en 1895.

Figure 21. L’illumination de l’avenue de l’Opéra à Paris (France) en 1844 [18]

À l’automne 1875, Pavel Jablochkoff quitte la Russie pour Paris et travaille pour Louis Bréguet, un célèbre universitaire. Pavel poursuit ses travaux sur l’éclairage à arc et dépose un brevet le 23 mars 1876 sous la référence « brevet # 112,024 » pour sa bougie électrique en plaçant ses deux électrodes parallèlement ce qui permet de maintenir une distance constante entre celles-ci indépendamment de l’usure. Le 15 avril 1876, il fait une démonstration publique à Londres, mais la première utilisation commerciale a lieu au Louvre en octobre 1877. La démonstration la plus célèbre de la bougie Jablochkoff est l’Exposition Universelle de Paris de 1878, qui se tient du 1er mai au 10 novembre. Soixante-quatre lampes à arc ont été installées sur l’avenue de l’Opéra, sur la place du Théâtre Français et autour de la place de l’Opéra (figure 21).

Le public parisien est en plein émoi, les gens sont éblouis et déjà la technologie inquiète et les questions fusent : « Serons-nous capables de produire suffisamment d’énergie électrique ? » « Est-ce la fin des vendeurs d’huile à brûler ?? » (pour les lampes à huile à usage domestique) La transition se fera en douceur avec des lampes à huile et des lampes à gaz, laissant le temps au réseau électrique de se développer, et les vendeurs de pétrole et d’huile pour les lampes s’enrichiront pendant plusieurs décennies en vendant encore plus de pétrole et plus d’huile à brûler car tout le monde voudra éclairer chez soi avec la même intensité lumineuse que celle des grands magasins et des grandes avenues.

En 1901, l’ingénieur américain Peter Cooper Hewitt invente la lampe à vapeur de mercure basse pression, sa lumière est bleu-vert (Figure 25).

Figure 22. Peter Cooper Hewitt, né le 5 mai 1861 à New York (USA) et mort le 25 août 1921 à Neuilly-sur-Seine (France), inventeur de la première lampe à vapeur de mercure basse pression en 1901, à l’origine de la lampe fluorescente.

Aux États-Unis, la General Electric Company a développé en 1932 des lampes à vapeur de mercure à haute pression de 400 W qui éclairent les stades et les avenues principales. La même année, les lampes à vapeur de sodium basse pression sont développées par Philips et Osram en Europe, et la fin des années 60 voit l’apparition des lampes à vapeur de sodium haute pression pour l’éclairage public.

La liste des pionniers de l’histoire des tubes fluorescents commence avec Edmond Becquerel au milieu du XIXe siècle qui a ajouté des poudres fluorescentes à l’intérieur de ses tubes à décharge. En 1910, Georges Claude présente son « néon » au Salon de l’Automobile de Paris et marque le début du développement commercial.

Après l’ère des pionniers à laquelle une invention était attachée à un nom, la seconde moitié du XXe siècle sera l’ère des grands groupes industriels qui ont marqué de leur empreinte la plupart des développements et inventions.

Figure 23. Les dernières heures d’une technologie qui prendra bientôt sa place dans les musées européens aux côtés de l’incandescence en 2025.

En Europe, les deux chocs pétroliers des années 1970 ont motivé le développement de lampes plus efficaces.

En 1973, Philips a introduit des mélanges ternaires de silicates et d’aluminates qui permettaient une plus grande efficacité lumineuse et une meilleure qualité de lumière plus « chaude ». C’est cette dernière avancée qui ouvrira la porte aux lampes fluorescentes compactes (Figure 23).

En 1976, Philips a créé la première lampe fluorescente compacte qui est apparue sur le marché en 1980, suivie d’Osram en 1981.

VIII. Clap de fin pour la fluorescence…

Après la lampe à incandescence, les lampes fluocompactes et autres tubes fluorescents rejoindront les étagères de nos musées. Le règlement (UE) 2019/2020 et la directive européenne 2011/65/UE ont poussé doucement à la retraite ces sources de lumières depuis 2023…, exit les « T5 », les « T8 », exit les ballasts ferromagnétiques et les « starters », les sons métalliques des tubes en fin de vie qui peinaient à l’allumer… l’ère de l’électricité s’achève, celle de l’électronique est déjà là et ouvre la voie au « smart-lighting » et à la « Smart-City »

Références :

  • Benjamin Franklin, « Journal de Paris », April, 26th, 1784, https://founders.archives.gov/documents/Franklin/01-42-02-0063, accessed 28 December 2024
  • “A Portrait of James Peale” by Charles Willson Peale (1822) (Wikipedia)
  • Aldridge, A. O. (1956). Franklin’s essay on daylight saving. American Literature, 28(1), 23-29.
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Lampe_de_mineur
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Lebon
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Trouvé
  • Barral, G. (1891). Histoire d’un inventeur: exposé des découvertes et des travaux de m. Gustave Trouvé dans le domaine de l’électricité. G. Carré.
  • Desmond, Kevin. Gustave Trouvé: French Electrical Genius (1839-1902). McFarland, 2015.
  • Trouvé, Gustave. Apparatus for producing electric light. Journal of the Franklin Institute, 1878, vol. 105, no 1, p. 44-47.
  • Monnier, Alfred et Mouton, Marcel. La technique de l’éclairage des automobiles. Dunod, 1939.
  • Pope, F. L. (1894). “Evolution of the electric incandescent lamp”. Boschen & Wefer.
  • US Patent n° 247,097; Sept. 13, 1881 by J. V. Nichols & L. H. Latimer “Electric lamp”; https://patents.google.com/patent/US247097A/en (accessed 29 December 2024)
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Ampoule_centenaire
  • Magnien, M. (1979). L’histoire de la lampe. Culture technique, (1), 102-117.
  • David Corson, « Pierre Polinière, Francis Hauksbee and Electroluminescence : A case of simultaneous discovery », Isis, vol. 59, no. 4,‎ hiver 1968, p. 402-413
  • Polinière, P. (1728). Expériences de physique. Chez C. Moette, Claude Prudhomme, Guillaume Cavelier, Paris, France.
  • “Davy’s first carbon arc lamp,” in Journal of the A.I.E.E., vol. 43, no. 5, pp. 466-466, May 1924, doi: 10.1109/JAIEE.1924.6534797.
  • Figuier, Louis. Les nouvelles conquêtes de la science. Vol. 1. Librairie illustrée, 1883.
  • https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32019R2020

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