LUMIÈRE ET CROISSANCE
À l’Inra, Ela Frak travaille depuis 2005 sur les effets de la composition spectrale de la lumière sur la morphogenèse et l’architecture des plantes. Ses travaux récents concernent « la lumière rouge lointain » (far red), peu absorbée et surtout réfléchie par les plantes, qui leur permet de se « voir » très précocement et provoque des réactions d’anticipation de la compétition pour la lumière. Comment les plantes intègrent- elles ces informations provenant de différentes directions et/ou de différents signaux lumineux et comment elles y répondent, c’est toute la question et l’objectif du programme de cette chercheuse de l’Inra, mais les études ont montré qu’en modifiant la composition spectrale de la lumière, on arrive à modifier la croissance des plantes, soit en l’accélérant soit en la diminuant, et cela indépendamment de la photosynthèse. Dans les fermes urbaines, l’utilisation des sources artificielles et la forte densité de plantes au mètre carré posent la question sur ces mécanismes de la même manière.
Les luminaires à spectre étroit ont une répartition généralement de plus ou moins 85 % de rouge et 15 % de bleu. Pour les fermes urbaines intérieures, on conseille un spectre large, à l’instar de Gro-Lux LED linéaire universel, de Sylvania. Leur lumière blanche est en outre beaucoup plus confortable pour les personnes qui interviennent dans ces environnements.
L’éclairage horticole pour les fermes urbaines représente une part infime du secteur de l’éclairage. Pour autant, cette application n’est pas considérée comme une niche par les experts du domaine, et pour cause : des enjeux majeurs, sociétaux et environnementaux, sous-tendent un développement important de ce secteur qui doit encore se structurer.
Quatre milliards de dollars de chiffre d’affaires : c’est ce que représentait le marché de l’éclairage horticole à l’échelle mondiale en 2017, toutes technologies confondues, selon Yole Développement1. Un chiffre en augmentation de 10 à 15 % par an, toujours selon cet organisme. Avec le déploiement des fermes urbaines intérieures2, l’éclairage LED horticole, qui représente actuellement 5 % du marché de l’éclairage pour l’horticulture, ouvre un champ d’application des plus prometteurs. Selon les prévisionnistes, la population mondiale devrait passer de 7,5 à 9,7 milliards d’habitants d’ici à 2050, les deux tiers concentrés dans les zones urbaines. Pour répondre aux besoins alimentaires que cette croissance démographique préfigure, la FAO3 estime que la production agricole doit augmenter dans le même temps de 70 %. Se pose alors la question de l’espace agricole – déjà limité par l’urbanisation – et de l’acheminement des produits aux consommateurs dans un contexte de réduction des
consommations énergétiques et de préservation de l’environnement. Autant de raisons qui expliquent l’intérêt grandissant pour ces modes de production alternatifs que sont les fermes urbaines souterraines et verticales : beaucoup plus productives que l’agriculture traditionnelle, énormément moins gourmandes en espaces et en eau, situées au cœur des villes où elles permettent parfois de revaloriser d’anciennes infrastructures, ces installations permettent une agriculture préservée des aléas climatiques, sans pesticides, de meilleure qualité nutritionnelle et en circuit court. Par un approvisionnement qui peut être mieux contrôlé par rapport aux besoins, elles peuvent limiter les avariés en magasins. Bien que des fermes de plus de 20 000 mètres carrés existent dans le monde, la majorité de ces exploitations s’étendent sur 1 000 à 1 500 mètres carrés, selon Yole Développement. Des installations essentiellement dédiées à la culture maraîchère, la mieux adaptée à ce nouveau mode de culture.
LE « MIRACLE » DE LA LED
L’arrivée de la LED a été déterminante dans l’émergence de ces structures. « L’effet de la lumière LED sur les plantes est connu depuis longtemps, explique Ela Frak, chercheuse à l’Inra. La Nasa a été la première à mener des études sur ce sujet, au début des années 1990. Aujourd’hui, on sait que les plantes utilisent la lumière pour la photosynthèse et pour s’informer sur l’état de leur environnement lumineux (détection des plantes voisines). Si leurs photorécepteurs utilisent l’ensemble du spectre visible, entre 400 et 700 nanomètres, et même un peu au-delà de ces deux « bornes », ces photons n’ont pas tous la même efficacité sur la photosynthèse et pas le même effet sur la morphogenèse des plantes. Ainsi, les plantes sont capables de parfaitement se développer sous deux longueurs d’onde : le bleu et le rouge. » C’est l’avantage décisif de la LED : son spectre peut être choisi pour fournir un rayonnement photo synthétiquement actif4 suffisant et neutre vis-à-vis de la morphogenèse, c’est-à-dire une lumière idéalement adaptée aux cultures. « Les plantes ont besoin d’eau contenant des éléments minéraux, de CO2 et de lumière, rappelle Ela Frak. Dès lors qu’elles reçoivent ces trois éléments en quantité et en qualité suffisantes, elles se développent parfaitement hors sol et sous éclairage artificiel. Et comme elles ne sont pas exposées aux contraintes microclimatiques et édaphiques [relatif au sol, NDLR], elles poussent mieux, voire plus vite. » De fait, l’utilisation de longueurs d’onde appropriées permet de mener à bien chaque phase de leur développement (voir l’encadré).
Utiliser le spectre le plus proche de la lumière naturelle, comme les LED SunLike (380-740 nm) de Seoul Semiconductor, que l’on trouve notamment dans les luminaires Rofianda, permet aux cultures d’avoir la même croissance quelle que soit la période de l’année.
DES ÉVOLUTIONS À ATTENDRE
Pour autant, certains aspects restent à cadrer : « Je dirais que les produits d’éclairage horticole actuels ne sont pas toujours très bien finis, analyse Olivier Andrieu, directeur Projet, Architecture et Systèmes, chez Piseo. Le secteur est encore en phase d’apprentissage et les chercheurs doivent poursuivre leurs travaux et préciser le bon équilibre entre le spectre et le besoin des plantes pour que les industriels puissent parfaire leurs systèmes d’éclairage. » Chez Osram Opto Semiconductors, Antoine Leveau en convient : « Concernant le besoin en composition spectrale de chaque plante, la pratique est encore expérimentale. Même si l’on dispose de bases d’études, il est indispensable de tester l’éclairage avant de valider la solution envisagée. Un luminaire peut convenir pour toutes les plantes, assure-t-il, à condition que la commande de l’éclairage permette d’ajuster le spectre sur la longueur d’onde qui convient. »
Un cadre normatif est également souhaitable. Comme souvent, les normes ont un temps de retard sur l’évolution technologique. Les Américains ont publié la norme UL8800 qui permet de classer les performances de ce type de luminaires – indispensable dans ce domaine ou l’éclairage est directement lié au rendement des cultures. L’expert de Piseo estime que« le travail de l’UL sera probablement à la base des logiques normatives qui devraient être mises en place en Europe ». Enfin, se pose la question de la consommation énergétique de ces installations. « Une plante a besoin de dix fois plus d’énergie que l’être humain, précise Olivier Andrieu. Si l’éclairage d’une pièce avec une lampe de 50 W nous suffit, les systèmes d’éclairage horticole atteignent classiquement plusieurs centaines de watts. C’est une des difficultés de ce marché, même si la LED est bien plus économique que l’éclairage conventionnel grâce à une moindre consommation d’énergie, à un moindre coût de maintenance et à une durée de vie plus longue. » La rentabilité reste à trouver, en s’appuyant notamment sur l’intelligence artificielle associée à des économies d’échelle.
Pascale Renou
1 Horticultural LED Lighting : Market, Industry, and Technology Trends, Piseo & Yole Développement, Édition 2017. On peut aussi consulter le site www.i-micronews.com.
2 Par fermes urbaines intérieures (« indoor farming ») on entend aussi bien les fermes verticales (les plantes sont disposées dans des structures étagées) que les fermes urbaines souterraines qui n’ont pas obligatoirement des cultures en étages.
3 FAO : Food and Agriculture Organization. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
4 La mesure de la densité du flux de photons (en micromol/m² par seconde), permet de quantifier le rayonnement photosynthétiquement actif (RPA ou PAR en anglais). Il est en relation directe avec la croissance de la plante : 1 % de RPA = 1 % de croissance.