LUX, la revue de l’éclairage est créée en janvier 1928, avec comme objectif d’étudier l’éclairage sur les aspects techniques, artistiques physiologiques et économiques. Avec 300 parutions, 91 ans après sa création par Joseph Wetzel (ingénieur ESE), elle confirme sa position d’outil d’information, d’échanges et de découvertes sur la lumière et l’éclairage au service de l’homme. Retour sur un contenu et une forme qui n’ont eu cesse d’être le reflet de leur époque.
Créée à l’origine pour combler le décalage entre les progrès rapides des industries et le besoin croissant d’informations des professionnels, LUX est la première revue d’éclairage en France, pensée pour être un lien entre l’éclairage et la construction, donner à comprendre comment intégrer l’éclairage dans le bâtiment. Trait d’union entre la lumière et l’architecture, elle impose l’éclairage comme un matériau de construction, voire déjà de mise en valeur, tant pour l’intérieur que l’extérieur. Dans ses pages sont présentées les réalisations d’architectes de premier ordre tels Mallet-Stevens, Le Corbusier ou Michel Roux- Spitz, pour ne citer qu’eux. Outil de propagande au sens noble du terme, la revue donne la parole à de grands noms de l’art, de la science et de la technique, qui tous, spécialistes passionnés de l’éclairage et de la lumière font le pont entre les disciplines pour apporter leurs compétences et leur vision, variées, afin de construire un référentiel unique, à la disposition des spécialistes de la construction.
ÉDUQUER : SA RAISON D’ÊTRE
Se définissant comme un organe de diffusion d’informations au service des professionnels, l’enseignement de l’éclairage prend, dès le début, une place importante dans chaque édition. La rubrique « LUX Technique » développe, numéro après numéro le vocabulaire, les sources et les concepts de l’éclairage, toujours utilisés aujourd’hui. La compilation des éditions per- met d’avoir un cours de formation complet sur l’éclairage.
L’architecte avait une place prépondérante tant en éclairage intérieur qu’extérieur, et un lien privilégié avec l’éclairagiste. Au fil du temps, de nouveaux acteurs s’immiscent entre les deux et une chaîne de valeur se crée : « La science de l’éclairage intéresse de nombreuses catégories de professions, parmi lesquelles il faut d’abord citer les installateurs et les architectes », écrivait en 1928 Léon Eyrolles, directeur de l’École spéciale des travaux publics.
On remarque aussi qu’une large place est consacrée aux comptes rendus de conférences nationales et internationales, et dès 1930, aux travaux de la Société des ingénieurs de l’éclairage, qui deviendra Association des ingénieurs de l’éclairage, puis en 1959, notre actuelle Association française de l’éclairage.
D’ailleurs, jusqu’au début des années 1990, le comité de rédaction était composé de professionnels de l’éclairage, ingénieurs de recherche, technico-commerciaux, médecins. Leur passion pour la lumière leur donnait une liberté d’expression malgré la rigueur de leur dé- monstration. Les « sachants » se permettaient des jugements, pouvant parfois être à la limite de la propagande, sur les pratiques et les applications (ou non application) de l’éclairage. En 1936, un article sur la consommation d’électricité pour l’éclairage en Europe suggère qu’il faut éduquer le consommateur à de nouvelles utilisations de l’éclairage pour augmenter la consommation d’électricité, donc des recettes, sans augmenter de manière trop sensible les frais fixes !
PLUSIEURS IDENTITÉS, UN MÊME ADN ?
Si elle n’a jamais changé de nom, la revue a souvent modifié son logo. Pas moins de 16 versions différentes au cours des 300 numéros ! Signe d’une recherche d’identité ? De modernité ? D’un désir de se réinventer ? Elle a traversé les années, les modes et les périodes plus ou moins sombres, plus ou moins tendues pour la filière de l’éclairage en ac- crochant un nouveau lectorat pour le rendre passionné et fidèle.
Si en consultant la collection complète, on perçoit l’évolution de l’approche de l’éclairage, les 10 numéros de l’année 1928 font état, de manière assez exhaustive, de toutes les problématiques de l’éclairage : état de la recherche, définition du besoin de l’homme et étude des solutions à y apporter, les différentes applications de l’éclairage mais aussi l’enseignement, l’échange, la collaboration. Dans un style précis et direct les auteurs sont avant tout spécialistes de l’éclairage, des passionnés. Ils proviennent d’univers différents, critiquent la synthèse de ces mondes a priori éloignés, reflètent les multiples compétences que nécessite la réalisation d’un bon éclairage. Au fil des numéros, on s’aperçoit que l’évolution, voire la révolution des techniques (au début seules les lampes sont évoquées) et les connaissances scientifiques façonnent la science de l’éclairage et de la lumière.
DES CONTENUS RÉCURRENTS
Depuis 91 ans, les thèmes abordés restent les mêmes. Si l’approche a fortement évolué, les conclusions, elles, sont parfois diamétralement opposées à celles auxquelles les recherches modernes aboutissent. Dès les premières années, les articles traitent de l’éclairage public, des illuminations, de l’éclairage intérieur mais aussi des préoccupations des besoins humains (rappelés pour chaque application) et les solutions qui lient éclairage et confort visuel, dans l’habitat comme au travail.
« Un bon éclairage est incontestablement un élément de confort. Il est d’abord indispensable à la santé de l’œil : un éclairage insuffisant ou de mauvaise qualité est, pour la vue, une cause de fatigue, susceptible d’engendrer des maux de tête et, à la longue, des troubles permanents, la myopie en particulier. Par contre, une lumière abondante facilite le travail, permet de l’accomplir sans effort, rapidement, avec précision », décrivait en 1928 M. H. Maisonneuve, chef du service Éclairage de la Compagnie des Lampes. L’éclairage des vitrines fait également l’objet de nombreux articles. Le premier, en 1928, est écrit par M. René Herbst, maître décorateur pour qui « une marchandise bien éclairée est, dit-on, à moitié vendue. Mais il faut savoir l’éclairer ». En 1932, un grand dossier sur l’éclairage des commerces titre : « N’éteignez pas les vitrines dès la fermeture du magasin. » Étude à l’appui, ses auteurs expliquent que dans des quartiers animés la nuit (théâtres, cinémas, restaurants…), les vitrines doivent rester éclairées jusqu’à minuit au moins. « Songez que le promeneur nocturne n’est pas pressé, qu’il ne demande qu’à se distraire et qu’il vous sera reconnaissant de satisfaire un instant sa curiosité. Il existe des appareils automatiques, qui se chargeront d’allumer et d’éteindre pour vous votre vitrine à l’heure fixée. »
FRAUDE ET HUMOUR
La rubrique « Fraude » relate en 1933 l’histoire d’un marchand qui vendait des lampes de 150 W, qu’il démarquait et remarquait 75 W. Ses lampes semblaient ainsi donner une lumière extraordinaire et le vendeur ne manquait pas de souligner leurs qualités remarquables. Lorsque la supercherie a été découverte, le vendeur s’est défendu en affirmant que les 150 W étaient en fait des « demi-watts », et qu’il était donc naturel de marquer ses lampes 75 W !
Analyses économiques et financières sont également très présentes dans la revue : étude de l’éclairage public de Paris, calculs sur les économies d’énergie réalisables, comparatif des différentes technologies, les tableaux noircissent des pages entières, indiquant au centime près, les différents coûts. La revue a, depuis quelques an- nées, renoué avec l’approche technique et scientifique de l’éclairage. Elle s’est notamment enrichie de produits complémentaires, notamment la lettre en ligne Lux Tendances Techno.
Même si les thèmes restent les mêmes depuis 1928, leur approche est différente : plus technologique que technique et scientifique, car la science de l’éclairage évolue dans un environnement connecté, plus urbanistique que technique, pour répondre aux enjeux environnementaux et écologiques de la construction complexe des villes.
AU FIL DE LA ROUTE
Initialement assuré par les « dispositifs d’éclairage des automobiles », l’éclairage des routes a pris le relais pour des raisons de confort vi- suel et de sécurité des conducteurs et des piétons. La description en 1933 par M. Choix, Ingénieur ESE à la Compagnie des Lampes, de cette application naissante ne manque pas de poésie : « Le progrès a remplacé la lueur des phares par un autre spectacle, non moins curieux par sa nouveauté, celui de l’éclairage artificiel de la route, distri- bué par des foyers disséminés de chaque côté de la chaussée, qui transforme la voie en un long ruban lumineux, dont les abords eux-mêmes, apparaissent dans une lumière diffuse, suffisante pour reconstituer l’aspect habituel du parcours. » Tout cela avec des lampes luminescentes à vapeur de sodium, certes.
De nombreuses recherches ont été menées pour améliorer encore les systèmes d’éclairage des routes relativement à la vision, aux revêtements puis aux économies d’énergie. Tout au long des 299 éditions de la revue, on suit l’évolution technique mais surtout dogmatique de l’éclairage routier (la lumière des phares doit être jaune pour favoriser la visibilité du conducteur, passer des phares aux codes pour éviter l’éblouissement, l’éclairage des routes permettra d’éviter des accidents…). Réflexion qui aujourd’hui nous rappelle que la voiture et le candélabre vont interagir pour offrir une conduite et une route connectée, chacun apportant à l’autre les informations nécessaires à la sécurité et à la fluidité du trafic. Voici, le futur du « dis- positif d’éclairage des automobiles ».
UNE ÉCOLOGIE TOUTE RELATIVE
Le premier article sur la biodiversité paraît en 1935.
Avec des préoccupations identiques aux nôtres aujourd’hui, l’approche surprend.
Si les effets de la lumière sur la biodiversité sont reconnus, que la lumière est un « piège à insectes », la conclusion surprend : « Les jardins gagneront en agrément par la suppression des moustiques et des moucherons.»
ILLUSTRATIONS ET PUBLICITÉ
Dès l’origine de la revue, de nombreux graphiques et photos illustrent les articles, facilitant la pédagogie de l’information. En noir et blanc jusqu’en 1990, les effets de lumière, les illuminations n’existent que par la description précise et très imagée des auteurs. Contenu d’un autre ordre mais bien présent, les publicités, une, voire deux jusqu’en 1939, justifiant l’indépendance de la revue, ont fleuri à partir de la reprise de la publication en 1946. Naissent des tunnels publicitaires, pas toujours forcément de bon goût.
ET DEMAIN ?
Si l’éclairage demande aujourd’hui de multiples compétences, les articles devront également être le reflet des échanges, des débats et des confrontations pour transcrire la complexité des enjeux.
La rapidité de la diffusion de l’information et la multiplication des supports obligeront les journalistes (qui ont commencé à remplacer en 1989 les auteurs des articles) à toujours chercher des approches modernes et originales pour traiter des thèmes qui ont… 91 ans au moins ! C’est à ce prix que la revue fêtera dans quelques années ses 100 ans !
Marie-Pierre Alexandre, directrice générale de l’AFE, directrice de la publication LUX et Margaux Bogdan, apprentie en communication à l’AFE.