La lumière est l’âme de Notre-Dame de Paris

Alors que le projet de (re)mise en lumière de l’extérieur de Notre-Dame de Paris reste pour l’instant dans les cartons, son éclairage intérieur sera découvert lors de l’inauguration des 7 et 8 décembre prochains. Le sculpteur de la lumière Patrick Rimoux1 et Shantidas Riedacker, chef de projet, composent depuis quatre ans, avec passion, une symphonie de lumières en considérant ce médium comme « l’un des outils majeurs de l’organisation de la cathédrale », depuis plus de huit siècles2.

« Tout au long du jour, la lumière du soleil fait chanter les pierres de Notre-Dame. Mais la nuit venue, l’édifice plonge dans les ténèbres. » Pendant des siècles, rappelle Patrick Rimoux, la nuit, la seule lumière qui dissipait ces ténèbres fut la lumière des bougies. Tout près du sol, au milieu des hommes, elle leur permettait de lire, ou de déambuler. Les hauteurs de l’édifice restaient alors plongées dans l’obscurité. « Ces bougies représentaient directement le symbole de la présence du Christ au milieu des hommes », poursuit-il. À savoir, le Verbe, lumière véritable qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Dans la cathédrale, chacun pouvait ainsi reconnaître que les ténèbres ne peuvent arrêter la lumière, aussi modeste soit-elle. Ensuite vint le siècle dit « des lumières » au cours duquel on érigea, dans l’édifice, des lustres permettant d’élever la nappe de lumière des bougies un peu au-dessus des assemblées humaines. « Étaient ainsi remontées les ténèbres encore un peu plus haut, mais était aussi repoussé le symbole de la présence divine un peu plus loin des hommes. »

2 000 ÉVÈNEMENTS LITURGIQUES POUR 13 MILLIONS DE VISITEURS

Environ 13 millions de visiteurs, venus du monde entier, entrent dans la cathédrale Notre-Dame chaque année (30 000 visiteurs par jour). Par ailleurs, y sont célébrés, annuellement, 2 000 évènements liturgiques avec des messes plusieurs fois par jour, des laudes ainsi que des vêpres.


UNE CINQUANTAINE DE SCÉNARIOS
DISPONIBLES

La nouvelle installation d’éclairage de Notre-Dame, comptant 2 175 points lumineux et 1 550 projecteurs pilotés par un système Pharos, permet une gestion individuelle et centralisée.
Les variations d’intensité et de température de couleur, allant d’un blanc chaud de 2 200 K, rappelant la lueur d’une bougie, à un blanc froid de 5 000 K, permettent d’adapter l’éclairage aux différentes célébrations et moments de recueillement.
Au total, 10 scénarios architecturaux, 30 scénarios liturgiques et 10 scénarios de concert offrent une palette d’ambiances adaptées à chaque usage, de la célébration solennelle à la contemplation silencieuse.


TOUT EST SOUS CONTRÔLE

Patrick Rimoux a confié à l’entreprise Gaudillière et Cie, dirigée par Olivier Rocabois, le raccordement des « terminaux » d’éclairage, la pose des plaques et celui des drivers pilotés par le système de gestion mis en œuvre par la société Soliled, dirigée par Elie Bouskela1.
À partir des possibilités offertes pour le passage de câbles, il a été décidé de déporter les drivers dans des armoires implantées dans des zones techniques, au-dessus des chapelles.
Ce qui a nécessité de définir les longueurs, le type de câble et les sections. Au total, 22 armoires et coffrets ont été répartis dans cinq zones (nord, sud, est, ouest, sacristie), reliées par fibre optique et équipés de 610 drivers pour piloter environ 1 200 luminaires.
Le contrôle est assuré par un programmateur Pharos et une architecture Pathway Connectivity pour distribuer le DMX sur les 80 plaques équipées de drivers. Une supervision Schneider a également été installée, permettant de couper toutes les alimentations des drivers quand la cathédrale est inoccupée et de remonter des défauts d’alimentation des plaques. « Enfin, conclut Elie Bouskela, nous travaillons avec la production de France 2 pour leur donner accès à l’installation lumière lors de l’inauguration des 7 et 8 décembre. »

PERCEVOIR L’INVISIBLE

Et puis vinrent les temps de l’industrie ! Furent alors inventées les lampes à gaz, et, peu avant 1900, les lampes électriques. Au cours du XXe siècle, leur puissance lumineuse permit ainsi de repousser les ténèbres à l’extérieur même de l’édifice. La lumière fut alors asservie à ce qu’on appelle « l’éclairage » définissant la quantité de lumière dont ont besoin les hommes pour exercer leurs activités. « L’homme seul, avec ses moyens techniques, domine les ténèbres qui ne deviennent plus un lieu de mystère pour lui. A-t-on encore besoin de Dieu pour y voir clair se dira-t-on ? », questionne Patrick Rimoux en soulignant que, dans la cathédrale, la liturgie catholique règle l’occupation de l’espace visible pour permettre aux hommes d’y percevoir l’invisible.
Mais par quoi cet espace visible se manifeste-t-il ? Par les parois se trouvant à ses limites, par des objets, par des hommes et des femmes, par des sons, paroles et musiques, et par la lumière permettant de donner une plus ou moins grande perception des parois, des objets, des hommes et des femmes. « La lumière est donc l’un des outils majeurs de l’organisation d’une église », confirme-t-il en ajoutant que, « ceux qui mettent en œuvre la liturgie ont donc pour mission de composer, dans l’édifice, la symphonie de lumière qui sera ajustée à la signification de cette liturgie. »

UNE SYMPHONIE DE LUMIÈRES

Le XXIe siècle a complètement dépassé les siècles précédents en inventant de nouveaux modes de production de la lumière visible. À présent, les minuscules LED, pilotées à distance, permettent de faire varier et de contrôler intensité, température de couleur, direction et diffusion de la lumière. En conséquence, pour inventer de nouvelles créations humaines avec ces nouveaux modes de production de lumière, apparaît une génération d’artistes capables de créations globales de lumière dans les grands édifices. « Continuer l’histoire de la cathédrale Notre-Dame c’est aussi continuer l’histoire de son dialogue avec la lumière fabriquée par les hommes au cœur des ténèbres », poursuit Patrick Rimoux, tout en exaltant la profondeur mythique et architecturale de l’édifice.
Il y eut les bougies, les lustres, les grandes illuminations de la fée électricité. « Demain, il y aura tout cela et plus encore », anticipe-t-il. À savoir :

  • des symphonies de lumière composées pour s’ajuster aux évènements vécus dans l’édifice ainsi qu’à leur signification ;
  • la lumière tragique de la nuit de la passion du Christ et la lumière éblouissante de la résurrection ;
  • les lumières douces portées sur les visages rassemblés ;
  • la lumière éclatante montant vers le ciel des voûtes ;
  • les lumières finement ajustées aux grandes toiles de maître ;
  • enfin, les lumières diffuses des lieux de méditation et de prière.
    « Toutes les symphonies seront permises pour faire vibrer les pierres et les œuvres pour les hommes en quête de l’Esprit », interprète Patrick Rimoux.

UN ÉCLAIRAGE « DOUX » À HAUTEUR D’HOMME

Les symphonies de lumière jouées dans Notre-Dame utiliseront trois types d’installations permettant de varier à l’infini les compositions :

  • les pleins feux : projections de lumière à grande distance sur des parois, voûtes, colonnes, ou autres objets tel que baptistère, autel, tabernacle ;
  • les cadreurs : mise en valeur d’œuvres d’art, tableaux ou sculptures ;
  • les créateurs d’ambiance : lustres3, appliques, lampes d’ambiance.
    Ces installations seront réglables en intensité, mais aussi en température de couleur, du plus froid, lumière lunaire, au plus chaud, lumière du jour voire de bougies. « Dans ce contexte, le travail du compositeur est un travail de création d’innombrables combinaisons de ces différentes sources pour que tout l’édifice parle aux hommes et aux femmes, afin que leurs sens perçoivent ce qui se joue du mystère de la vie en ces lieux. »
    Le projet de mise en lumière intérieure de Notre-Dame est ainsi basé sur une fine prise en compte de l’impact de la lumière solaire, toujours privilégiée, par rapport aux apports complémentaires quelles que soient les possibilités techniques. « Celles-ci doivent rester des outils sans jamais tomber dans la recherche de la performance ou de tout effet spectaculaire. D’où le choix d’un éclairage doux, à hauteur d’homme », conclut Patrick Rimoux.
La mise en œuvre des éclairages
Créé le 1er décembre 2019, conformément à la loi du 29 juillet 2019, l’établissement public, chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, a pour mission d’assurer la conduite, la coordination et la réalisation des études et des opérations. L’établissement public a notamment mandaté Eiffage Énergie Systèmes, en groupement avec Lorraine Énergie et DEF (Détection électronique française), pour réaliser, entre autres, les installations « courant fort-courant faible ».
Toutefois, placées sous la maîtrise d’œuvre du Diocèse, la conception lumière a été confiée à l’agence Patrick Rimoux, tandis que l’installation des 2 175 terminaux lumineux est réalisée par l’entreprise francilienne Gaudillère et Cie, présidée par Olivier Rocabois.

Ci-dessus.
À gauche, Patrick Rimoux en compagnie de Shantidas Riedacker : « Il ne s’agissait pas de restituer l’atmosphère à jamais disparue de la Cathédrale, d’avant son électrification, mais de proposer une alternative, modulable à l’infini en intensité et en température de lumière, à l’approche fonctionnaliste commune, infiniment respectueuse de la structure et du mystère de la vieille Cathédrale. »

Ci-dessous.
Notre Dame Palimseptum
Sur la base de 11 films ayant pour sujet Notre-Dame de Paris, Patrick Rimoux utilise pour support la pellicule 35 mm des films, qu’il grave et peint directement avant d’inclure ces pellicules dans du verre. Quand la lumière du cinéma rejoint celle de la spiritualité et de l’architecture.
Exposition du 4 décembre au 18 janvier 2025 à la Sorbonne Artgallery, 12, place du Panthéon, Paris 5e

D’après Le Bossu de Notre-Dame un film de William Dieterle, 1939. © Patrick Rimoux
  1. Après une formation d’ingénieur électronicien, Patrick Rimoux s’est formé à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Ensuite, sa rencontre déterminante avec Henri Alekan l’a convaincu de faire de la lumière son médium artistique.
  2. Rappelons que la première pierre de la cathédrale a été posée, en 1163, à l’initiative de Maurice de Sully, alors évêque de Paris. De 1843 à 1864, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc procéda à une importante restauration, la cathédrale ayant subi de fortes dégradations au cours des XVIIIe et XIXe siècles.
  3. Les 13 lustres, détériorés lors de l’incendie de 2019, ont été rénovés par Mathieu Lustrerie tandis que les bougies électriques ont été reconfigurées par Patrick Rimoux.

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