Introduction
Il était difficilement concevable d’aborder l’histoire de l’éclairage sans introduire les principaux acteurs : une source de lumière accompagnée ou non d’un objet capable de détourner son rayonnement vers un œil et un cerveau tous deux en état de marche appartenant à cet animal qui s’observe et construit le monde autour de son nombril : nous.
En effet, la « Lumière » n’est que le fruit de la perception d’une toute petite partie du spectre du rayonnement électromagnétique qui vient exciter la rétine de cette espèce animale particulière, l’humain, dotée d’un égocentrisme exacerbé et qui se définit comme référence pour le monde et l’univers.
La Commission Internationale de l’Éclairage fêtait d’ailleurs les 100 ans de la courbe V(l) de la lumière perçue par l’œil humain en 2024…

La courbe V(l), une centenaire, symbole de la vision humaine sans laquelle rien ne serait…
La lumière n’existerait donc pas sans l’humain, avec son œil et son cerveau.

C’est ça, l’évolution !… [1]
La maîtrise du feu, plus qu’une question de survie
Les plus anciennes traces de l’usage du feu par l’Homme (notamment pour la cuisson) remontent à 1,5 Ma [2] à Koobi Fora sur la rive orientale du lac Turkana au Kenya. C’est sur cette plaine érodée qu’affleurent des sédiments datant du Pliocène-Pléistocène où ont été trouvé les plus anciens fossiles Hominini. Notre chère Lucy, du haut de ses 3,18 Ma, star australopithèque et compagne d’Yves Coppens était donc encore loin du confort moderne d’une cuisine équipée.
« Usage du feu » ne signifie pas pour autant « maitrise du feu ». Loin s’en faut ! Il faudra attendre un peu plus 500.000 ans pour une maitrise de la cuisson où en Afrique du Sud (Grotte de Wonderwerk, env. 1 Ma [3]), au Kenya (Chesowanja, env. 1 Ma [4]), comme en Espagne sur le site de Curva Negra dans les environs de Murcia [5], on trouve des feux entretenus à l’intérieur d’un abri, utilisés à la fois pour cuire, se chauffer et, bien entendu, pour s’éclairer !
Cette joyeuse période arrive à la fin du Pléistocène inférieur, à la fin du Calabrien plus précisément, en plein mois de janvier, il y a environ 800.000 à 900.000 ans. Et le Pléistocène inférieur est particulièrement marqué par des glaciations quaternaires qui se succèdent tous les 41000 ans [6, 7]
Il y a 813.000 ans, la population humaine du globe s’est trouvée affectée au point de se résumer à un village de 1280 individus : nous avons failli disparaitre du globe… [8]

Une idée lumineuse : l’invention de la mobilité il y a 350.000 ans… La torche !
Glaciation, disparition de l’espèce humaine et maitrise du feu il y a environ 800.000 ans… Difficile de ne pas voir dans ce petit nombre d’individus, ceux qui aurait eu une maitrise du feu suffisante pour survivre dans ces conditions… Difficile également, vu le petit nombre, de ne pas l’imaginer réduit à un seul groupe (sinon quelques-uns). Le feu, premier « couteau-suisse » mais aussi première source d’éclairage, aurait-il ainsi sauvé l’existence de l’Humanité ?…
Il n’est pas tout à fait absurde d’établir une corrélation entre la survie de ce petit groupe et sa maîtrise du feu.
Celle-ci a donc été essentielle à l’évolution de l’humanité, elle a permis la cohésion sociale, le développement, la transmission des savoirs, etc… [9, 10].
En France, par exemple, la grotte de Bruniquel témoigne d’une activité humaine, datée de 176 500 ans.
Bien avant les téléphones portables, il y a plus de 350 000 ans, la mobilité est inventée : la torche !
Des « mouchages » de torches sur les parois et des traces de charbons au sol, ont été retrouvés à plus de 250 m de l’entrée, prouvant ainsi une utilisation intentionnelle du feu pour l’éclairage [11, 12].
La présence de morceaux de charbon épars et de traces noires dans les parties antérieures des grottes, où l’éclairage artificiel est nécessaire au déplacement, atteste de l’utilisation du feu à cette fin. On trouve en effet ces traces de « mouchage » de torches sur les parois pour raviver la flamme en frottant son extrémité. Les recherches récentes sur l’histoire de l’éclairage s’appuient sur l’étude de vestiges archéologiques découverts dans les profondeurs de grottes paléolithiques du sud-ouest de l’Europe (grotte de Bruniquel, France, ou grotte de Lamalunga, Italie). Les chercheurs ont ainsi pu reproduire et évaluer différents systèmes d’éclairage. [12].

Lampe à huile (a) la grotte de Gabillou et (b) grotte de Lascaux, France, Eyzies-de-Tayac. (Source : Sémhur, Wikipedia) [12], [13]
Le « brûloir de Lascaux » découvert par André Glory (Fig. 2b) (qui étudiera également les principales cavités préhistoriques du Quercy telles que Cougnac, le Cuzoul des Brasconnies, la grotte de Roucadour, etc.) présentait encore dans la cuvette, lors de sa découverte, des matières charbonneuses identifiées comme étant du genévrier et des cendres de bois de résineux [14]. Ces derniers servaient de mèche tout comme des mousses, lichen ou amadou.
Le Magdalénien correspond à la dernière phase du Paléolithique, il y a environ 17 000 à 12 000 ans.
C’est à cette époque qu’apparaissent les premières lampes portatives en pierre, alimentées par de la graisse animale, du granit, du calcaire ou de l’ardoise, ainsi que des coquillages.

Les stalactites sont creusées pour servir de support ou directement comme lampe à huile…
Il s’agit des premières lampes à huile, développées dès le Gravettien (31 000-23 000 av. J.-C.), qui nécessitaient une attention constante et qui furent utilisées jusqu’au Moyen Âge. Si le principe de base est resté inchangé pendant des millénaires, les lampes à huile ont évolué comme toutes les autres technologies ou inventions, se diversifiant et/ou se perfectionnant de la manière suivante :
● Leurs matériaux : pierre, terre cuite et métal
● Leurs formes : ouvertes ou fermées, avec un ou plusieurs becs pour les mèches
● Le type de combustible : graisse animale, huile minérale ou végétale
● Leurs utilisations : portatives, sur pied ou suspendues.
Seules 300 lampes datant du Paléolithique ont été recensées car, s’il existe bon nombre d’objets, très peu sont clairement identifiables pour un usage en tant que lampe.
De l’âge du bronze à l’Antiquité : vers l’industrialisation
A l’âge du Bronze (2300 – 800 av. JC), on fabrique des lampes en pierre, en terre cuite ou en métal comme le bronze ou le cuivre (ou en or !).
Puis les grecs inventent l’industrialisation et améliorent les procédés de fabrication. Ceci est un trait commun à tous les secteurs de la production céramique de l’époque hellénistique (IIIème – Ier siècle av. JC). Pour la plupart en terre cuite, le tournage a été supplanté par le moulage à partir du IIIème siècle av. JC pour être complètement abandonné à l’époque impériale à partir du Ier siècle ap. JC. Les usines de production de masse se développent. A Délos, par exemple, deux grands groupes apparaissent : le groupe « Ariston » et le groupe « d’Éphèse »… La production de lampe en terre cuite explose, les coûts baissent et les techniques se perfectionnent : des rebords en saillie pour éviter que l’huile se répande accidentellement, etc… Et les contrefaçons apparaissent sur le marché… [15, 16]

Le confort moderne arrive dans les foyers, l’éclairage, l’eau courante, etc.
Les premiers modèles de lampes à huile sont généralement ouverts mais l’huile coûte cher et les rongeurs n’hésitent pas à se servir. Entre le VIème et le IVème siècle av. JC, les modèles évoluent vers une lampe fermée, puis plus tard avec des décors à motifs géométriques ou végétaux à l’époque hellénistique pour aller vers des sujets extrêmement variés aux scènes figurées sur le médaillon à l’époque impériale (Ier – Vème siècle ap. JC).

Le génie est dans la lampe et la technologie évolue…
Mais dans l’ensemble… peu d’évolution technologique…
Pendant ce temps-là, à l’Est… Ça gaze

A l’est, du nouveau…
1, 2, 3… Viva la Bougie !
La lampe à huile de l’antiquité perdurera durant tout le Moyen Âge. Parallèlement, la chandelle apparait doucement en Égypte vers 3000 av. JC. Constituée d’un jonc trempé dans de la graisse animale (graisse de rognon de bœuf ou de suif de mouton) ou végétale, elle sent mauvais et émet une épaisse fumée noire.
En Chine, c’est sous la dynastie Qin (221-206 av. JC) que l’on retrouve une technique semblable développée à partir de graisse animale (notamment celle de baleine) mais aussi de cire de plantes.
En Europe, la noblesse et le clergé se réservent les cierges en cire.
La ville de Bougie, actuelle Béjaïa, en Algérie, ou « Bgayet » en Berbère est l’antique « Saldae » fondée au IVème siècle av. JC. Elle fut notamment sous le règne de Juba II, roi de Numidie puis de Maurétanie entre 30 av. JC et 23 ap. JC. Cette ville bénéficie d’un climat idéal pour l’apiculture et la cire d’abeille produit des chandelles sans fumée et sans odeur… La « Bougie » est inventée.
En effet, Bougie exporte de la cire dès le XIIème siècle et le quintal de cire est plus cher que celui du cuir [18]. Si l’objet existe déjà probablement, le nom commun « bougie » est attesté dès le XIVème siècle dans la langue française [19].

Entre Bougie et les abeilles, une longue histoire d’amour, tout feu tout flamme…
Le chimiste français Michel-Eugène Chevreul n’inventera la première « bougie » sur le principe de la saponification (la bougie stéarique) que dans les années 1820…
A noter… La « bougie » est restée pendant longtemps l’unité de mesure de la lumière avant qu’elle ne soit remplacé par le Candela… mais ceci est une autre histoire longue et passionnante, avec le « carcel », le « violle », la « bougie de l’étoile, de 5 au paquet », la « bougie Hefner », etc… qui a fait l’objet de la thèse de Patrick Grelet en 2024 (404 pages à poser sur sa table de chevet) [20]
De la fin de l’obscurantisme vers le siècle des Lumières…
Le siècle des Lumières approche, la lampe à pétrole, la révolution industrielle, la science chasse l’obscurantisme moyenâgeux… Faraday écrit son « Histoire d’une Chandelle » [21], c’est le début de la fin de l’ère du feu, la « Fée électricité » fait son entrée dans les cabinets de curiosité… mais ceci est une autre histoire… à suivre.
Références
- L. Canale and M. Hamady, “History of Artificial Lighting, From Fire to LED [History],” in IEEE Industry Applications Magazine, vol. 31, no. 2, pp. 10-25, March-April 2025, doi: 10.1109/MIAS.2024.3516339
- Hlubik S, Cutts R, Braun DR, Berna F, Feibel CS, Harris JWK. Hominin fire use in the Okote member at Koobi Fora, Kenya: New evidence for the old debate. J Hum Evol. 2019 Aug; 133:214-229. doi: 10.1016/j.jhevol.2019.01.010. Epub 2019 Jul 16. PMID: 31358181.
- Berna, Francesco, et al. “Microstratigraphic evidence of in situ fire in the Acheulean strata of Wonderwerk Cave, Northern Cape province, South Africa.” Proceedings of the National Academy of Sciences 109.20 (2012): E1215-E1220.
- Gowlett, J. A., Harris, J. W., Walton, D., & Wood, B. A. (1981). Early archaeological sites, hominid remains and traces of fire from Chesowanja, Kenya. Nature, 294(5837), 125-129.
- M.J. Walker, et al. (2016). Combustion at the late Early Pleistocene site of Cueva Negra del Estrecho del Río Quípar (Murcia, Spain). Antiquity, 90, pp 571-589, doi : 10.15184/aqy.2016.91
- Joussaume S. (1999) : Climat d’hier à demain. Paris, Editions du CNRS (nouvelle édition).
- Menzies J. (Ed.) (2002) : Modern & Past Glacial Environments. Oxford, Butterworth-Heinemann.
- Hu, Wangjie, et al. “Genomic inference of a severe human bottleneck during the Early to Middle Pleistocene transition.” Science 381.6661 (2023): 979-984.
- D. Barsky, “How prehistoric humans discovered fire making,” CounterPunch, May 31, 2024. [Online]. Available: https://www.counterpunch.org/2024/05/31/how-prehistoric-humans-discovered-fire-making/
- J. Goudsblom, “The domestication of fire as a civilising process,” in Proc. Civilisations, Civilising Processes Modernity–A Debate: Documents Conf. Bielefeld, 2022, pp. 213–233, Cham, Switzerland: Springer-Verlag, doi: 10.1007/978-3-030-80379-7_14.
- S. A. de Beaune, A. Roussot, and J. Sackett, “Les lampes de Solvieux (Dordogne),” L’anthropologie, vol. 90, no. 1, pp. 107–119, 1986.
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