
Alors que son père exerce dans l’éclairage architectural1, Emma Ferreira a louvoyé quelques années avant d’aborder le métier de conceptrice lumière…et de l’adopter. Son témoignage atteste que ce dernier reste malheureusement peu connu des jeunes à la recherche d’un univers professionnel. Après quelques mois de pratique, Emma se pose encore de pertinentes interrogations…
Avec, en 2018, un Bac S en poche (mention très bien), Emma Ferreira ne passe que deux années à Sorbonne-Université (Campus Pierre et Marie Curie, Jussieu) en double licence (biologie et géologie) car, précise-t-elle, « je ne m’y sentais pas à ma place ». En 2020, elle choisit alors de s’orienter vers un BTS audiovisuel option « métier de l’image » lui permettant, en 2022, de devenir intermittente du spectacle, tout en « ayant toujours été attirée par la lumière ». En revanche, poursuit-elle, « j’avais la volonté de mettre en lumière le vivant ». Aussi, raconter une histoire à travers une caméra et sa sensibilité cinématographique, l’ont « amenée, sans douter, à la lumière de plateau ». Ce qui lui a permis de valser entre caméra et lumière.
Toutefois, l’envie d’exercer un emploi plus stable a grandi. La lumière la fascinant toujours, Emma se tourna, vers un métier dont son père lui a si souvent parlé : celui de conceptrice lumière. Elle se remet en question et de laisse une chance à la lumière en dehors du cadre de la caméra qui la limitait. « Me serait-il possible de faire séjourner des gens à l’intérieur de la lumière ? », s’interroge-t-elle.
Début 2025, après un stage d’observation, mené auprès de Christophe Canadell (CEO d’Ikomé), elle fait la connaissance de Catherine da Silva, directrice artistique et conceptrice lumière chez Ponctuelle, qui lui présente ce qu’est vraiment le métier. « J’ai alors pris conscience de la beauté urbaine et du canevas sans limite qui pouvaient s’offrir à moi. » Très vite sa réticence a disparu, gagnée par la fascination pour ce métier ! Après cette initiation, Vincent Thiesson (agence ON et président de l’ACE) l’accueille en stage pendant deux mois, le temps de la former à la conception lumière. « Aujourd’hui, je m’y épanouis en tant qu’assistante éclairagiste ! », après plusieurs années sinueuses.
Après la fascination… les interrogations
Après avoir abordé la conception lumière, une profession encore jeune2 et mal connue, Emma considère que « la fonction de ce métier est centrale dans l’expérience des espaces, qu’ils soient publics, tertiaires voire domestiques ». Toutefois, à présent, elle s’interroge. Comment donner toute sa place à cette discipline dans un marché où l’éclairage est encore perçu comme une simple ligne de budget « électricité » ? Quels arguments valoriser pour montrer qu’un projet lumière impacte le confort, l’esthétique et même la santé ? Comment trouver les bons mots pour faire comprendre ces enjeux, aussi bien à un particulier, qu’à un architecte ou à un maître d’ouvrage ? Comment expliquer simplement que la lumière n’est pas du « bonus déco », mais la véritable clé d’un projet, son rôle étant essentiel dans l’expérience des espaces ?
Et puis, comme il n’existe pas vraiment de normes, comment apprécier la certaine liberté apportée par la lumière au lieu de la considérer comme un problème ? Comment profiter de cette liberté pour adapter chaque projet, sans se sentir illégitime par rapport à d’autres métiers plus cadrés ?
Quand on apprend essentiellement sur le terrain, comment réussir à se sentir légitime malgré le manque de bases théoriques ? Comment transformer cette expérience directe, très concrète, en un véritable atout qui petit à petit se fortifie ?
Comment continuer à se former dans un métier qui bouge constamment et pour lequel il n’existe pas de parcours éducatif officiel ? Quels autres domaines explorer, en dehors de la lumière (l’architecture, la photo, la perception, les sciences humaines) pour enrichir sa pratique et ouvrir encore plus son regard ? Comment éviter de répliquer toujours les mêmes recettes, celles qui marchent et plaisent, et réussir à se renouveler à chaque projet ? Comment garder une vraie identité créative dans un milieu où beaucoup s’inspirent des mêmes références ? Par ailleurs, dans le domestique, comment devenir aussi indispensable qu’un décorateur d’intérieur ? Est-ce qu’il faut former les vendeurs et conseillers qui accompagnent déjà les particuliers ?3 Enfin, comment faire réaliser aux usagers que la lumière est aussi essentielle que la qualité de l’air ou que l’isolation de leur logement ? Comment faire comprendre qu’elle n’est pas seulement ce qui éclaire, mais aussi ce qui relie, ce qui révèle et transforme l’expérience d’un lieu ?
Malgré ces nombreuses interrogations, Emma Ferreira perçoit que « c’est justement dans ces zones floues que se trouve la richesse du métier », la conception lumière se situant au juste milieu entre rigueur technique et liberté créative. « Je me rends compte que chaque projet représente une grande opportunité d’apprendre et d’ajuster mon regard. Aussi, si je me pose encore autant de questions, c’est signe que je suis exactement là où je dois être », conclut-elle. JD
1. Il s’agit de Filipe Ferreira, directeur commercial associé chez Lumenscia, après avoir exercé chez Thorn Lighting et Zumtobel Group.
2. Fin novembre prochain, Vincent Thiesson, président de l’ACE (Association des concepteurs lumière et éclairagistes) et les membres de l’organisation professionnelle fêteront les 30 ans
de la profession.
3.Lire également l’article du concepteur lumière Roger Narboni abordant l’approche du secteur domestique par la profession.